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Intégration des résultats aux effets connus de l’interaction entre le gène

Chapitre 4. Conclusion Générale

4.2 Intégration des résultats aux données de la littérature

4.2.2 Intégration des résultats aux effets connus de l’interaction entre le gène

4.2.2.1 Vulnérabilité et CYP1A1. La majorité des composants présents dans la fumée

de tabac, dont les composants carcinogènes (e.g. HAPs), sont métabolisés lors de deux phases distinctes impliquant différentes réactions enzymatiques (Suter et al., 2010). Le gène CYP1A1 fait partie de la superfamille du cytochrome P450 réunissant de nombreuses enzymes responsables de la biotransformation de divers composés organiques (Jorde et al., 2004). CYP1A1 code l’enzyme aryl hydrocarbone hydroxylase, qui est impliquée dans la première phase de détoxification des carcinogènes. Cette première phase permet l’activation des carcinogènes alors qu’ils deviennent des composés hydrophiles, réactifs et électrophiles qui pourront ensuite être facilement excrétés hors de la cellule par les enzymes de la deuxième phase de détoxification (e.g. GSTT1, GSTM1) (Suter et al., 2010).

Les résultats de travaux antérieurs s’étant intéressés au gène CYP1A1 suggèrent que l’allèle C serait associé à une vulnérabilité (Chen et al., 2011; Delpisheh et al., 2009; Hsieh et al., 2010; Infante-Rivard et al., 2006; Lammer et al., 2004; Rand et al., 2006), ce qui pourrait se traduire en une capacité réduite à métaboliser en composants moins nocifs les composés carcinogènes (e.g. HAPs) ou addictif (e.g. nicotine) de la fumée de tabac.

4.2.2.2 Hypothèse de la susceptibilité différentielle. Les résultats de la thèse

suggèrent plutôt une protection associée aux génotypes CC et TC (allèle C) en l’absence de l’EPT suivant partiellement le modèle de la susceptibilité différentielle. Bien que ce modèle

soit de plus en plus documenté, les mécanismes biologiques explicatifs demeurent méconnus (Pluess et al., 2013).

Parmi les hypothèses avancées, des chercheurs évoquent l’idée que le SNC des individus présentant une susceptibilité accrue face aux influences environnementales serait davantage sensible (Aron & Aron, 1997). L’amygdale semble également jouer un rôle important (Pluess et al., 2013). Les individus qui présentent un facteur génétique de plasticité associé à 5-HTTLPR, MAOA et COMT seraient ceux dont l’amygdale serait davantage active et réactive (Pluess et al., 2013). Des travaux empiriques suggèrent aussi que les individus avec une amygdale plus réactive ne sont pas seulement plus sensibles aux stimuli anxiogènes, mais également aux stimuli neutres et positifs (Heinz et al., 2007; Sergerie, Chochol, & Armony, 2008). Cette observation suppose que l’amygdale jouerait un rôle de médiation très important dans le modèle de la susceptibilité différentielle. Dans leur conception théorique de l’hypothèse de la susceptibilité différentielle, Pluess et ses collègues suggèrent également le rôle possible des facteurs endophénotypiques comme la réactivité physiologique au stress, la réactivité au cortisol et certains facteurs phénotypiques comme l’émotionnalité négative sur la base de travaux antérieurs (Bradley & Corwyn, 2008; Holmboe, Nemoda, Fearon, Sasvari-Szekely, & Johnson, 2011; Obradovic, Bush, Stamperdahl, Adler, & Boyce, 2010; Pluess & Belsky, 2009).

De plus, parce que les mêmes facteurs génétiques de plasticité semblent associés à une amygdale plus réactive, à une réactivité physiologique plus grande au stress et à une émotionnalité négative plus importante, il est suggéré de façon spéculative que ces caractéristiques seraient communes chez l’ensemble des enfants présentant une susceptibilité accrue aux influences environnementales (Pluess, Stevens, & Belsky, 2013). Bien que Pluess et ses collègues n’en discutent pas, il serait intéressant de tracer un pont avec l’axe hypothalamo-hypophysaire (HPA) qui est régulé notamment par l’amygdale. Ce système est impliqué dans la régulation de la sécrétion du cortisol à partir des glandes surrénales (Bear, Connors, & Paradiso, 2002). Par ailleurs, la régulation de la réactivité de l’axe HPA serait intimement liée au processus de méthylation de l’ADN, qui est un des

mécanismes épigénétiques par lequel la programmation fœtale se produirait (Boivin, & Hertzman, 2012).

4.2.2.3 Programmation fœtale et plasticité développementale. À ce jour, les travaux

qui tentent d’identifier les mécanismes complexes derrière les interactions GxE fournissent peu de réponses (Smith, Maccani, & Knopik, 2013). La programmation fœtale est un modèle théorique d’interaction GxE qui pourrait permettre d’expliquer le mode d’action de l’EPT sur l’organisme et les modifications biologiques qu’elle entraine et qui semblent persister à long terme (Barker & Clark, 1997). Selon la théorie de la programmation fœtale, la période intra-utérine serait un moment critique du développement pendant lequel il y aurait une interaction entre les facteurs environnementaux et génétiques, ce qui influencerait le développement fœtal, mais également le développement ultérieur en « programmant » le fœtus (Smith et al., 2013). Cette programmation se baserait sur la qualité de l’environnement intra-utérin qui permettrait de prédire la qualité de l’environnement postnatal. Par exemple, un environnement intra-utérin riche en nutriments et dépourvu d’expositions hostiles serait annonciateur d’un environnement postnatal similaire. À l’inverse, un environnement intra-utérin exposé à plusieurs agents défavorables annoncerait un environnement postnatal pauvre (Knopik, Maccani, Francazio, & McGeary, 2012; Smith et al., 2013). Le fœtus serait ainsi préparé ou « programmé » à évoluer dans un environnement postnatal concordant avec l’environnement prénatal auquel il a été exposé. La discordance entre la qualité des environnements intra-utérin et postnatal (i.e. l’environnement intra-utérin prédirait incorrectement l’environnement postnatal) serait à la source de la vulnérabilité, des difficultés et des maladies futures, car l’enfant naitrait dans un environnement pour lequel il n’aurait pas été « programmé » (Barker & Clark, 1997; Hales & Barker, 1992; Smith et al., 2013).

Des chercheurs proposent l’idée que la programmation fœtale se produirait via des mécanismes épigénétiques (Knopik et al., 2012; Maccani & Marsit, 2009). Ces mécanismes joueraient un rôle de médiation permettant d’expliquer les influences environnementales sur la santé physique et psychologique chez l’enfant et l’adulte (Maccani & Marsit, 2009). Selon Bird (2007), l’épigénétique est l’étude des changements dans l’expression génétique

qui ne sont pas expliqués par des modifications dans la séquence de l’ADN. Les travaux des dernières années ont identifié quatre modes principaux pour la régulation épigénétique des gènes : la méthylation de l’ADN, la régulation de l’ARN non codant, l’empreinte et la modification d’histone.

La méthylation de l’ADN est le mode qui a été le plus étudié. Ce processus implique l’ajout d’un groupement méthyle à la base cytosine dans les séquences cytosine-guanine de l’ADN (Smith et al., 2013). De façon générale, lorsque les bases cytosines dans le promoteur d’un gène sont méthylées (i.e. ajout du groupement méthyle), ce gène deviendra « silencieux » alors qu’en l’absence de méthylation sur les bases cytosines, le gène ne sera pas « silencieux » (Maccani & Marsit, 2009). Des travaux récents ont rapporté une association entre l’EPT et la méthylation de l’ADN. Suter et ses collègues (2010) ont observé que l’EPT modifierait l’expression du gène CYP1A1 par des mécanismes de méthylation. Leurs résultats indiquent que le placenta des mères qui avaient fumé pendant la grossesse présentait des niveaux significativement plus faibles de méthylation comparativement au placenta des mères n’ayant pas fumé. Ces niveaux faibles de méthylation étaient également significativement associés à une augmentation de l’expression de CYP1A1 dans le placenta, ce qui représente une avenue prometteuse pour mieux comprendre les mécanismes épigénétiques dans le développement des difficultés de comportement suite à l’EPT.

À la lumière des résultats de cette thèse et de la littérature existante, la plasticité développementale des difficultés de comportement externalisé semble reposer en partie sur le rôle des facteurs génétiques. Toutefois, la plasticité développementale semble aussi être influencée par des facteurs physiologiques et comportementaux tel qu’avancé par la théorie de la programmation fœtale. Le modèle théorique de plasticité développementale proposé par Pluess et ses collègues (2013) témoigne de la grande complexité des interactions GxE où la susceptibilité serait influencée par des facteurs génétiques, où les facteurs génétiques seraient eux-mêmes influencés par des facteurs de susceptibilité comportementale et physiologique alors que ces derniers seraient influencés par les environnements prénatal et

postnatal. Les facteurs génétiques interagiraient aussi avec les environnements prénatal et postnatal, alors que ceux-ci interagiraient également ensemble.