• Aucun résultat trouvé

2. L E MÉCANISME D ' INTÉGRATION

2.1. L'intégration selon Act-in

L'intégration telle que décrite par Act-in avait, auparavant, surtout été étudiée dans le domaine de la perception visuelle et notamment à travers les travaux de Treisman et de la

feature-integration theory (Treisman & Gelade, 1980). Cette théorie avance l'existence de deux étapes impliquées dans l'identification visuelle d'un objet: une étape initiale d'analyse rapide et parallèle des caractéristiques élémentaires de l'objet (sa forme, sa couleur, sa taille, etc…) qui, à ce stade-là, n'existe pas encore en tant qu'objet; et une étape où ces différentes propriétés sont intégrées afin de permettre l'identification de l'objet et l'extraction de connaissances relatives.

Versace et collaborateurs (Versace et al., 2009 ; 2014) propose de décrire l'émergence des connaissances de manière similaire. Les différentes propriétés d'une situation vont être très rapidement activées de façon parallèle au sein de différentes structures cérébrales responsables de leur traitement. Par exemple, entendre un son va activer très rapidement les aires auditives correspondantes. Cette activation va se propager aux autres propriétés partagées par la situation présente: les autres composantes sensorielles (visuelles par exemple), les composantes motrices ou encore émotionnelles. A partir du moment où différentes aires cérébrales sont impliquées, ces activités doivent être intégrées graduellement aux niveaux intra et inter-modaux permettant ainsi d'accéder à des connaissances unitaires de plus en plus élaborées. Une différence majeure

entre le modèle de Treisman et la proposition de Versace et collaborateurs repose sur le fait que les propriétés sensorielles décrites par Treisman sont également, pour Versace et collaborateurs, des propriétés mnésiques dépendantes des expériences de l'individu, soumises au changement, et pouvant varier en fonction de la situation. La plupart des travaux sur l'intégration ont porté sur des propriétés effectivement présentes lors de l'événement mais ne se sont pas intéressés aux propriétés non présentes, mais réactivées en mémoire.

Cette conception de l'intégration est soutenue, et s'illustre parfaitement, par les travaux de Labeye, Oker, Badard, et Versace (2008). Dans cette étude qui utilise un paradigme d'amorçage à court terme, des participants devaient catégoriser des objets cibles comme étant soit des outils soit des ustensiles des cuisines. Les amorces étaient des objets appartenant ou non à la même catégorie sémantique (outils vs. ustensiles de cuisine) et qui impliquaient des gestes d'utilisation similaires ou différents. Deux groupes de participants étaient confrontés à deux durées de SOA (Stimulus Onset Asynchrony) différentes. Dans la condition avec un SOA de 100 ms, l'analyse des temps de réponse a révélé des effets additifs de la similarité motrice et de la similarité catégorielle alors que dans la condition avec un SOA de 300 ms, l'analyse a révélé une interaction. Les auteurs ont interprété ces résultats en termes de mécanismes d'activation et d'intégration impliqués dans l'émergence des connaissances. Le délai plus long de 300 ms permet d'intégrer les différentes propriétés de l'amorce (similarité motrice et gestuelle) mais empêche ces différentes propriétés de s'exprimer individuellement. Pour résumer, ici, l'intégration correspond à une somme d'activation mais contrairement aux modèles d'appariement global (e.g. Hintzman, 1986), l'intégration est online, dynamique, progressive et non-linéaire. La somme des activations s'effectue en parallèle des calculs de similarité avec la situation présente et différentes formes de connaissances peuvent être construites et élaborées au fur et à mesure.

L'intégration décrite ici est donc un mécanisme intervenant au moment de l'émergence des connaissances et ne semble, a priori, pas jouer sur la formation des traces en mémoire. Toutefois, dans une conception hautement intégrée du fonctionnement cognitif, les fonctions cognitives telles que la perception, l'imagerie mentale ou la mémoire ne sont pas dissociables les unes des autres. Cela a pour effet de flouter également les frontières entre la formation des traces en mémoire (encodage) et l'émergence des connaissances. Act-in déclare que l'émergence des connaissances requiert l'intégration, dans une même trace mnésique, des différentes propriétés de l'événement rencontré et ce au moment de l'encodage (Versace et al., 2014). Cette intégration est appelée intégration intra-trace et introduit la notion de niveau d'intégration des

21 propriétés. Cette notion fait référence à la force du lien entre les propriétés intégrées au sein de la trace mnésique. Ce niveau d'intégration va directement influencer l'émergence de traces spécifiques (l'émergence de connaissances épisodiques). Plus les propriétés seront intégrées, c’est-à-dire fortement liées les unes aux autres, plus la trace qui les contient sera facilement dissociées des autres traces et donc plus facilement réactivée.

En bref, deux types d'intégration se distinguent au sein des travaux de Versace et al. (2014, 2009). Tout d'abord une intégration dite multi-composants qui, au moment de l'émergences des connaissances - ou pour reprendre les termes employés dans le modèle Act-in, au moment de la réactivation des propriétés conservées en mémoire - va correspondre à la réactivation de plusieurs propriétés sensori-motrices de façon unitaire et indissociable et ce dans le but de participer à la perception, à l'orientation de l'attention ou à l'exécution d'une action. Il serait sans doute judicieux de changer de terme pour la désigner et éviter la confusion avec la seconde forme. Cette seconde forme d'intégration dite intra-trace qui, au moment de la formation de la trace d'un événement en mémoire, va lier entre elles ces différentes propriétés sensori-motrices entre elles au sein d'une trace. Ces propriétés sont des propriétés présentes dans la situation nouvellement encodée mais également des propriétés que cette situation a pu réactiver en mémoire et qui vont être intégrées, liées aux nouvelles propriétés au sein de la trace. Finalement, l'intégration multi-composants peut dépendre en partie de l'intégration intra-trace et ce particulièrement lors de l'émergence de connaissances discriminantes, épisodiques. Par exemple, entendre un piano pour la première fois va créer une trace en mémoire au sein de laquelle l'intégration intra-trace va lier les propriétés visuelles aux propriétés auditives du piano. Plus tard, en rencontrant de nouveau un piano, ces propriétés vont être réactivées conjointement par intégration multi-composants qui va permettre de dire qu'il s'agit d'un piano.

C'est sur l'intégration intra-trace et sur son influence sur l'efficacité de la mémoire que nous nous concentrerons dorénavant. Cependant, afin de mieux cerner les différents enjeux et d'ancrer ces travaux dans des considérations théoriques plus vastes que le simple cadre délimité par Act-in, il semble nécessaire de rapprocher le mécanisme d'intégration d'autres notions fréquemment rencontrées dans la littérature sur le domaine.

2.2. Les mécanismes proches de l'intégration

Documents relatifs