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10. S YNTHÈSE DES RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX

10.2. Emotion et intégration

Les travaux rapportés dans les chapitres 5 et 6 avaient pour objectif d'étudier les effets de l'émotion sur l'intégration. L'étude du chapitre 5 portait sur l'effet d'une émotion contextuelle. L'hypothèse générale sous-jacente était que l'influence de l'émotion sur la mémoire dans les paradigmes expérimentaux dépend fortement de la manière dont l'émotion est introduite: via les stimuli ou via le contexte. Cette variation de l'influence de l'émotion en fonction de la méthode d'introduction s'observerait par des différences entre intégration des propriétés d'un item et l'intégration item-contexte. Dans le paradigme employé, des images neutres apparaissaient séquentiellement par séries de 8 dans une matrice de 16 cases. Après chaque série, un type de rappel parmi trois était proposé : un rappel oral des items, un rappel indépendant des positions spatiales occupées par les items qui s'opérait à l'aide de la souris d'ordinateur dans une matrice vierge, et enfin le rappel des associations entre les items et leurs positions. L'émotion était manipulée via des fioles contenant des odeurs. Une première fiole contenait une odeur jugée neutre et la seconde une odeur jugée négative. La moitié des essais expérimentaux (présentations des images + rappel) était réalisée avec l'odeur neutre et l'autre avec l'odeur négative. L'hypothèse formulée prenait le contre-pied des travaux unifiés par Mather (2007) qui stipulent que l'émotion issue d'un item va améliorer le binding des propriétés de l'item et se montrer sans effet ou délétère pour le binding de l'information contextuelle entourant l'item émotionnel. Ici, une émotion véhiculée par le contexte verrait ses effets bénéfiques influencer l'intégration item-contexte et non l'intégration des propriétés de l'item. De cette façon, le rappel des positions spatiales et de l'association item-position s'en trouverait améliorer par l'odeur négative par rapport à l'odeur neutre et aucun effet de l'odeur ne devrait être observé lors du rappel de l'item.

Les résultats ont confirmé les hypothèses formulées. La présence de l'odeur négative a bel et bien augmenté le nombre de positions spatiales et le nombre d'associations entre items et positions correctement rappelées. En d'autres termes, l'introduction d'une émotion contextuelle a permis de renforcer l'intégration des propriétés contextuelles et l'intégration item-contexte sans affecter l'intégration des propriétés de l'item lui-même. La Figure 13 propose une

représentation schématique des effets de l'émotion sur l'intégration en regroupant l'object-based

135 expérience la moitié des images étaient des images négatives. L'étude précédente a démontré que l'émotion contextuelle pouvait améliorer l'intégration item-contexte et donc sans doute pallier le déficit associatif lié au vieillissement. La littérature dans le domaine montre que l'intégration des propriétés d'un item est préservée chez les personnes âgées alors que l'intégration des propriétés contextuelles est dégradée. Pour autant, comme le suggère certains travaux (Brouillet et al., 2014; Brunel, Carvalho, & Goldstone, 2015; Labeye et al., 2008; Versace et al., 2002, 2009), au moment de l'émergence des connaissances lors d'un événement, des propriétés sensori-motrices absentes perceptivement peuvent être intégrées au sein de la trace mnésique de cet événement et influencer l'émergence future de la trace. L'intégration de telles propriétés n'a jamais été investiguée chez l'adulte âgée et pourrait également expliquer une partie des déficits observés dans cette population. C'est pourquoi la moitié des images présentées dans cette expérience représentait des items fortement associés à un son (e.g une abeille). L'hypothèse était que si les personnes âgées ne souffraient pas d'un déficit d'intégration des propriétés perceptivement absentes alors les items dits sonores seraient mieux rappelés que les items non-sonores. De plus, il est possible que l'effet de l'émotion issue de l'item (Mather, 2007) n'affecte pas l'intégration de propriétés uniquement réactivées en mémoire. Si cette intégration est affectée de la même manière que l'intégration des propriétés perceptivement présentes, alors les items sonores seront mieux rappelés d'autant plus s'ils sont négatifs.

Les résultats ont tout d'abord confirmé l'ADH en montrant un effet de l'âge uniquement dans le rappel de l'association entre items et positions. Ensuite, le rappel de l'item était meilleur pour les items associés à un son que pour les items qui ne l'étaient pas. Le rappel de l'item était également meilleur pour les items négatifs que pour les items neutres. Et enfin, l'interaction observée entre les facteurs valence et sonorité montre que les items sonores étaient mieux rappelés s'ils étaient négatifs. Nous avons interprété ces résultats comme montrant a) que l'intégration des propriétés réactivées en mémoire était préservée chez les personnes âgées, b) l'effet de l'émotion issue des stimuli l'était aussi et c) que l'amélioration de l'intégration des propriétés des stimuli par l'émotion négative issue des stimuli touchait également l'intégration des propriétés absentes perceptivement.

Il semble important de revenir sur le fait que nous n'avons manipulé, au sein de nos expériences, que la valence émotionnelle en comparant une valence négative à une valence neutre. C'était le cas pour les odeurs utilisées dans le chapitre 5 et pour les images employées dans le chapitre 6 qui, équivalentes en termes d'arousal, ne se distinguaient que par leur valence. Notre but n'était pas en soi de comparer différentes valences et encore moins différents niveaux

d'arousal mais d'évaluer si le caractère émotionnel seul pouvait influencer l'intégration. La littérature regorge de travaux sur les effets dissociés de la valence et de l'arousal (voir par exemple Kensinger, 2009a). Il semblerait que l'arousal rende une trace plus distinctive lui permettant ainsi d'émerger plus facilement alors que la valence accentuerait la mémorisation des détails. On peut donc émettre l'hypothèse que l'arousal colore en quelque sorte l'ensemble des propriétés d'une trace, rendant cette trace plus facilement dissociable des autres et donc plus facilement réactivable en mémoire. La valence quant à elle ne marquerait que les éléments par lesquels elle est véhiculée lors d'un événement, que ce soit un item ou un élément contextuel tel que l'odeur, et n'améliorerait ainsi que l'intégration des propriétés de ces éléments. Cette hypothèse reste à investiguer mais les travaux de Mather (2007) et les résultats des chapitres 5 et 6 semblent aller dans ce sens.

Les résultats de ces deux études, pris dans leur ensemble, confortent l'hypothèse du rôle crucial de l'intégration dans l'efficacité de la mémoire et montrent qu'un facteur tel que l'émotion peut être employé pour agir de façon bénéfique sur l'intégration et ainsi rendre la mémoire épisodique plus efficace. Les difficultés mnésiques liées au vieillissement normal de la mémoire semblent donc réellement n'affecter que l'intégration item-contexte, intégration pouvant être améliorée grâce à une émotion véhiculée autrement que par le matériel à retenir. Cela pourrait s'appliquer dans des techniques de stimulation ou remédiation de la mémoire à destination des personnes âgées en mettant l'accent sur le ressenti des individus plutôt qu'en utilisant du matériel émotionnel.

Il serait cependant intéressant d'évaluer si la dégradation de l'intégration item-contexte observée chez les personnes âgées sur des propriétés perceptivement présentes touche aussi l'intégration de propriétés contextuelles perceptivement absentes. Si une dissociation entre intégration d'éléments perceptivement présents et perceptivement absents est rapportée, la première étant atteinte et pas la seconde, cela pourrait préciser la nature du déficit en montrant que la dégradation de l'intégration chez les âgés pourrait être principalement due à une altération sensorielle. Si au contraire, et c'est l'hypothèse que nous formulerons, l'intégration de propriétés perceptivement absente est touchée de la même façon que celle des propriétés perceptivement présentes alors cela renforcerait l'hypothèse d'un déficit de nature mnésique avant tout.

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