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L’inspiration, l’Institut des nonnes du Sichuan et l’ermitage Jixiangl’ermitage Jixiang

Étude xue 学 et pratique xiu 修 , le modèle éducatif bouddhiste

4.2 Développer l’Institut des nonnes du mont Wutai à l’époque contemporaineWutai à l’époque contemporaine

4.2.1 L’inspiration, l’Institut des nonnes du Sichuan et l’ermitage Jixiangl’ermitage Jixiang

Lorsque l’on se penche sur l’organisation et le positionnement de l’Institut des nonnes du mont Wutai, l’influence des maîtres de Rurui, Tongyuan et Longlian est clairement visible. Les deux nonnes ont en effet été particulièrement actives dans le domaine éducatif, s’engageant dans des activités d’enseignement dès la réception de leur ordination plénière au début des années 1940, et ont toutes deux été à l’initiative de la création de structures éducatives pour les nonnes au cours de leur carrière. Long-lian établit en 1983 l’Institut des nonnes du Sichuan (Sichuan nizhong foxueyuan), et Tongyuan ouvre en 1986 l’ermitage Jixiang (Jixiang jingshe), les deux structures où Rurui étudie avant 1991.

En effet, dans un premier temps, et pendant la période de noviciat de Rurui (1981-1984), Longlian met en place ce qui est considéré comme le premier institut d’études bouddhistes pour les nonnes depuis 1949 et le premier à fournir une éducation supé-rieure, l’Institut des nonnes du Sichuan. Inauguré en 1983, il ouvre ses portes en 1984 avec le soutien des instances officielles et notamment de Zhao Puchu, alors président de l’ABC. Longlian en est alors la présidente, une fonction occupée par la suite et

jusqu’à aujourd’hui par l’une de ses plus proches étudiantes, Ruyi, sous la supervision de laquelle l’Institut est déplacé du temple Tiexiang au temple Qifu en 2008. Selon le Règlement abrégé pour le recrutement des étudiantes en 1990 (yijiujiuling nian zhaosheng jianzhang 1990 年招生简章), l’Institut a pour objectif “[...] to train nuns who are devoted to their country and to Buddhism, to offer them a deep knowledge of Buddhist teachings, and to prepare them to take charge of the administration of monasteries, teaching or research”. D’autre part la règle générale qui demande de

“accompany religious study with practice” le place directement dans la ligne de la politique d’intégration de l’étude et de la pratique (xue xiu yitihua) mise en place en 1992 (voir Bianchi 2001, 106-108). Au fur et à mesure de son développement, l’Ins-titut des nonnes du Sichuan a successivement ouvert trois programmes de formation pour les nonnes, chacun s’étendant sur trois ans, programmes accessibles aux nonnes ordonnées depuis au moins un an, ayant entre 18 et 28 ans, et titulaires d’un diplôme de niveau lycée. Le parcours intermédiaire (zhongji ban 中级班) ouvre en 1984 et correspond dans l’éducation séculière à une école d’enseignement technique. Il est suivi en 1987 par l’ouverture d’un parcours de spécialisation (zhuanxiu ban 专修班), qui peut être rapproché d’un cursus dans l’enseignement supérieur professionnel, puis en 1990 par un parcours de recherche (yanjiu ban 研究班), comparable à la licence (106-107). Depuis les années 2000, ces programmes ont évolué pour se calquer sur le système universitaire chinois contemporain tout en conservant les neuf ans d’étude préconisés par Longlian, et l’Institut propose aujourd’hui un parcours préparatoire (yuke ban 预科班) de deux ans, un parcours de licence (benke ban 本科班) de quatre ans, et un parcours recherche (yanjiu ban 研究班) de trois ans (Yang Xiaoyan 2011, 37)11. Selon les conditions de recrutement de ces dernières années, disponibles sur les sites Web mentionnés dans la note précédente, les parcours préparatoire, de licence et de recherche sont ouverts aux nonnes, et pour les deux premiers aux novices, entre 18 et 38 ans, en possession toujours d’un diplôme de l’éducation séculière de niveau lycée minimum. En 2020, la classe d’étude du Vinaya (lüxue ban) n’accepte que les étudiantes ayant entre 35 et 50 ans. Le programme scolaire de l’Institut est construit

11. Une recherche rapide pour des informations récentes sur les programmes menés par l’Institut permet de discerner quelques variations. Les conditions de recrutement pour les nonnes en 2016 et 2020 font en effet mention d’un cursus consacré à l’étude du Vinaya (lüxue ban律学班) d’une durée de deux ou trois ans, et le parcours préparatoire n’y apparait pas. Ces conditions sont respective-ment publiées sur les sites https://rufodao.qq.com/a/20160126/041934.htm et https://www.

ichanfeng.com/2020/10/25/37026.html. Par ailleurs, d’autres sources ramènent la durée du par-cours préparatoire à un an, voirhttp://www.fjnet.com/kuaixun/201806/t20180604_258139.htm ethttps://www.pusa123.com/pusa/news/hdyugao/122797.shtml.

autour de matières majoritairement religieuses, comme la littérature et l’histoire du bouddhisme, le Vinaya, l’étude de la pensée et de la doctrine dans les différentes traditions (Theravāda, bouddhismes chinois et tibétains), doctrine approfondie après la complétion du parcours de base. Il est complété par des matières séculières en-seignées par des intervenants extérieurs, comme le chinois, l’anglais, le tibétain, la calligraphie, et la politique12. Enfin, Longlian ayant été active dans les hautes sphères institutionnelles bouddhistes et ayant favorisé les relations avec le politique, l’Institut des nonnes du Sichuan est depuis sa création soutenu par les instances dirigeantes et notamment par l’ABC, et reçoit des subventions gouvernementales. Comme c’est le cas pour tous les instituts officiellement reconnus, le patriotisme, et l’adhésion aux valeurs du socialisme sont alors des prérequis au recrutement des étudiantes.

De par sa fréquentation des leaders bouddhistes du début duxxesiècle, Longlian a été influencée dans sa structuration de l’Institut des nonnes du Sichuan par les idées de l’époque concernant le développement de l’éducation moderne bouddhiste, et en particulier celles relatives à l’accès des nonnes à cette éducation. Bien que n’ayant a première vue aucun lien direct avec l’Institut Wuchang pour les femmes (Wuchang foxueyuan nüzhong yuan), les réseaux auxquels elle appartient la relient indirecte-ment à Taixu et à son héritage, et ont indubitableindirecte-ment façonné sa conception de l’éducation. En effet, exception faite de Nenghai, collègue de Taixu, elle a notam-ment étudié le tibétain avec Fazun (法尊 1902–1980), lui-même disciple de Taixu et ancien étudiant de l’Institut Wuchang (Wuchang foxueyuan), et a été l’élève de Guankong (观空 1903–1989), enseignant à l’Institut des études bouddhistes sino-tibétaines (Han Zang jiaoli yuan 汉藏教理院) fondé par Taixu et Fazun au début des années 1930 (Bianchi 2017a, 282-283)13.

De son côté, on l’a vu, Tongyuan entreprend d’établir au milieu des années 1980 une structure éducative pour les femmes bouddhistes issues des communautés mo-nastiques et laïques, avec pour but de proposer une éducation supérieure centrée sur l’étude du Vinaya. Voici ce qui, selon un discours à ses disciples datant de 1981, doit être fait sur le plan éducatif afin d’élever le niveau d’éducation des femmes bouddhistes :

12. Pour une description du programme scolaire au commencement de l’Institut et jusqu’à 1997, voir Bianchi (2001, 110-119). Une liste des cours pour les parcours de licence et de recherche, année par année, est également fournie par Yang Xiaoyan (2011, 41-43).

13. À propos de Fazun se référer entre autres à Wang-Toutain (2000). Sur l’Institut d’études sino-tibétaines et son développement jusqu’en 1950 voir également Sullivan (2008).

Actuellement, le plus important n’est pas de construire des temples, mais de former des personnes ; [...] si possible, il faudrait fonder une école de perfec-tionnement spirituel pour les femmes sur le plan national. Les femmes sont aujourd’hui très nombreuses, mais leur vie spirituelle est insuffisante, la quali-té de leur foi peu élevée. Si nous avons une école comme celle-là, pour étudier et approfondir la doctrine bouddhiste, elles pourront au terme de leurs études aller partout aider d’autres personnes à s’exercer à la pratique de la perfection (Cochini 2015, 293).

C’est ainsi qu’en 1986, alors qu’elle enseigne au temple Dayuan dans la province du Shaanxi, elle prend la décision de créer un site de pratique religieuse (daochang).

En effet, le temple Dayuan étant un temple héréditaire, il ne peut théoriquement accueillir ni cérémonies d’ordination, ni institut ou séminaire (voir Welch 1967, 137), ce qui va à l’encontre des desseins de Tongyuan. Elle achète donc cinq maisons de village à proximité de Xi’an (西安), toujours dans la province du Shaanxi, et crée l’ermitage Jixiang. Lieu de propagation de la discipline monastique, de nombreuses femmes, laïques et nonnes, viennent y étudier dans les classes de recherche (yanjiu ban 研究班) sur le Vinaya. Quarante étudiantes intègrent l’ermitage en 1988, cinquante en été puis vingt en hiver 1989, et cinquante en 1990 au cours de la dernière année d’activité. Les enseignants sont issus d’instituts d’études bouddhistes du Fujian et du Zhejiang (Wen 1991, 34 ; Li Hongru 1992, 258). Au total environ 160 femmes étudient au sein de cette structure entre 1986 et 1990 (Chen et Deng 2000, 149). En 1990, au vu des difficultés d’accès et du manque de logements à l’ermitage, Tongyuan retourne au mont Wutai, avec lequel elle éprouve une affinité certaine, afin de trouver un lieu plus adapté à son projet, à savoir l’établissement d’un temple public qui hébergerait une structure de formation dédiée à l’étude du Vinaya. Elle n’aura pas le temps de mettre ce projet à exécution, mais suite à son décès en 1991 ses étudiantes Rurui et Miaoyin se consacrent à la restauration du temple Pushou et à l’établissement de l’Institut des nonnes du mont Wutai, qui ouvre dès 1992.

Si, de la même façon que Longlian, Tongyuan n’a pas de lien direct avec Taixu et les initiatives qu’il lance dans le domaine éducatif, elle est toutefois influencée par les discours tenus à l’époque sur la nécessité de former les moines, mais aussi les nonnes, à la théorie et à la pratique du Vinaya dans le but d’en faire des acteurs au comportement irréprochable. Elle occupe en effet entre 1941 et 1950, au cours de son séjour au temple Tongjiao à Pékin, centre du Vinaya, des positions administratives et éducatives, et est présente pour la création de l’Institut des gurudharma (Bajing

xueyuan) au début des années 1940 (DeVido 2015, 81). La création de l’ermitage résulte donc de ces expériences éducatives, ainsi que de l’affiliation de Tongyuan aux réseaux de son maître, Cizhou, spécialiste du Vinaya et contemporain de Taixu. La promotion des méthodes de ce dernier dans l’enseignement et la transmission du Vinaya à l’ermitage Jixiang est par ailleurs révélateur de son influence sur Tongyuan dans le domaine éducatif (Chen et Deng 2000, 149).

Comme dans le cas de ces deux nonnes éminentes, ce sont les expériences éduca-tives de Rurui qui forgent sa vision pour l’Institut des nonnes du mont Wutai. Dans son cas cependant, ces expériences ne sont constituées que par les deux initiatives mentionnées ci-dessus, à savoir l’Institut des nonnes du Sichuan et l’ermitage Jixiang où elle étudie entre 1984 et 1990, puisqu’elle ouvre les portes de l’Institut dès 1992 à l’âge de 34 ans. Elle occupe dès lors la fonction de présidente, et y enseigne le dharma et le Vinaya. Si l’Institut ne propose lors de son établissement que des programmes de formation courts (peixunban) il se développe rapidement et offre aujourd’hui des cur-sus d’éducation supérieure pour les nonnes ainsi que des classes de recherches. Avant d’aborder en détail sa structure et son organisation à l’époque contemporaine dans la section suivante, notons-en les points majeurs de corrélation ou de distinction avec les structures créées par Longlian et Tongyuan. L’Institut des nonnes du mont Wutai est un institut d’études bouddhistes (foxueyuan), tout comme celui du Sichuan, et en cela s’inscrit dans un système officiel d’éducation bouddhiste moderne, légitimé par le soutien des autorités et par les subventions gouvernementales. Selon Yang Xiaoyan (2011, 40), celui du mont Wutai appartient encore au début des années 2010 au ni-veau intermédiaire (zhongji foxueyuan) de la classification développée par l’ABCen 1986, quand celui du Sichuan appartient au niveau supérieur (gaoji foxueyuan), les deux délivrant pourtant des diplômes à équivalence universitaire. Ils offrent de plus à leurs étudiantes des cursus longs, séparés en trois niveaux. Plus fortement influen-cée par Tongyuan que par Longlian, et s’inscrivant de manière informelle dans sa lignée, Rurui n’a cependant pas reproduit le modèle du système académique tibétain des geshe employé dans les cours avancés de l’Institut des nonnes du Sichuan (voir Bianchi 2001, 105). Enfin, le type de structure éducative créé par Rurui est visible-ment plus abouti et ancré dans le processus d’institutionnalisation du bouddhisme que l’ermitage Jixiang, mais s’inscrit dans la continuité des projets de Tongyuan : l’Institut se focalise sur l’étude du Vinaya, et siège au sein d’un temple public. Ainsi s’est-il construit sur des initiatives antérieures, tout en les réaménageant pour

dé-gager sa propre vision de ce que devrait être l’éducation bouddhiste contemporaine pour les nonnes.

4.2.2 La concrétisation ou le parcours éducatif à l’Institut