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L'insertion des Mafor dans les systèmes de production des agriculteurs

2. Intérêts agronomiques des Mafor et impacts environnementaux associés

2.5. L'insertion des Mafor dans les systèmes de production des agriculteurs

Les pratiques observées et les questions posées

Rares sont les données portant sur le recensement des pratiques culturales. La principale source est l'enquête quinquennale "Pratiques culturales", dont l'édition 2011 est exploitée dans l'étude "Bilan de la mise en œuvre de la directive nitrate 2008- 2011" publiée par le MEDDE en 2012.

Cette enquête montre d’abord une forte disparité régionale en ce qui concerne l’épandage des Mafor sur les grandes cultures et sur les prairies (voir Chapitre 1), liée à la disponibilité locale plus ou moins forte de Mafor issues d’élevage (plus de la moitié des surfaces en grandes cultures et en prairies reçoivent des Mafor en Bretagne, moins de 15% des grandes cultures en région Centre, par exemple).

Au niveau national (Tableau 2-3), si certaines cultures comme le blé ne reçoivent, pour plus de 80% des surfaces, aucun apport de Mafor, d’autres comme la betterave, la pomme de terre ou le colza peuvent en recevoir aux côtés de fertilisation chimique classique (respectivement 55%, 34% et 32% des surfaces) ; le maïs ensilage est quant à lui fertilisé en mixte pour 70% de ses surfaces, et pour 12% uniquement par des Mafor. Ceci est bien sûr en relation avec les systèmes de production dans lesquels s’insèrent ces cultures (maïs ensilage et élevage), mais aussi avec les places des cultures dans les successions (apport de vinasses devant betterave ; apport avant colza, tête d’assolement devant blé).

Tableau 2-3. Part des surfaces recevant des apports d’azote minéral et/ou organique Surfaces ne recevant

que des apports N minéraux

Surfaces recevant à la fois des apports N organiques et minéraux

Surfaces ne recevant que des apports N

organiques Surfaces sans apport Blé tendre 87% 10% 2% 1% Blé dur 92% 4% NS 4% Orge d'hiver 86% 13% 0,5% 1% Orge de printemps 85% 12% 1% 2% Maïs grain 62% 29% 7% 2% Maïs ensilage 15% 70% 12% 3% Colza 67% 32% 1% 0% Tournesol 69% 7% 10% 14% Pomme de terre 65% 34% 1% 0% Betterave 45% 55% NS 0% Prairie temporaire 35% 23% 15% 27%

Prairie permanente intensive 28% 11% 14% 47%

Source : données Agreste - enquête "Pratiques culturales" 2011

Sur quelques cultures (Tableau 2-4), l’enquête montre qu’en moyenne, au niveau national, les cultures recevant des Mafor reçoivent moins d’unités d’azote minéral que celles qui n’ont pas d’apport de Mafor (par exemple en 2011, pour le blé, 161 kg N/ha sans Mafor, contre 128 kg N minéral avec apport de Mafor), mais que l'apport total de N (minéral + organique) excède l'apport réalisé sur les cultures ne recevant que du N minéral. La comparaison 2006-2011 montre que l’écart de fertilisation N totale persiste. Ce constat rejoint le diagnostic de sur-fertilisation porté par les GREN (Groupes Régionaux d’Expertise Nitrates) dans plusieurs régions, donc d’un décalage entre les pratiques réelles d’utilisation des Mafor et d’ajustement de la fertilisation minérale en cas d’apport de Mafor, et les prescriptions de la réglementation.

Tableau 2-4. Dose moyenne d’azote minéral (suivant l’apport ou non d’azote organique) et d’azote total, en 2006 et 2011

2006 2011

Dose moyenne de N (kg/ha)

Parcelles sans

apport organique apport organique* Parcelles avec apport organique Parcelles sans apport organique* Parcelles avec N minéral N minéral N total N minéral N minéral N total

Blé tendre 165 125 171 161 128 166

Orge d'hiver 137 98 146 138 110 147

Maïs grain 177 104 206 168 116 186

Maïs ensilage 97 74 228 93 69 190

Colza 165 165 178 169 154 186

Source : données Agreste - enquête "Pratiques culturales" 2011

* Précautions à adopter vis-à-vis des données sur l’azote organique compte tenu de la difficulté à estimer les quantités apportées par les effluents d’élevage notamment

Au-delà des données brutes, il s’agit donc de comprendre comment se fait, ou non l’insertion des Mafor (effluents d'élevage ou autres) dans les systèmes de production, et quels sont les principaux obstacles recensés. En termes d’analyse des règles de décision des agriculteurs concernant les Mafor et/ou d’analyse des contraintes, la littérature scientifique est globalement pauvre, mais on peut cependant tirer quelques éléments majeurs.

Les déterminants de l’insertion des Mafor dans les systèmes de production agricole

Les quelques études disponibles permettent de mettre en évidence cinq facteurs majeurs déterminant les décisions d’utilisation de Mafor par les agriculteurs. Ce sont :

- La surface épandable dans l’exploitation, qui dépend d'abord de critères réglementaires : plan d’épandage obligatoire pour les Mafor "déchets", respect des plafonds d'apports (170 kgN/ha/an) et des restrictions sur les caractéristiques du terrain (pente, proximité de cours d’eau…) pour déterminer si des parcelles de l’exploitation sont éligibles. Mais au-delà du réglementaire, les agriculteurs ont aussi leurs propres critères d’éligibilité des parcelles ; distance à l’exploitation ou au lieu de stockage de la Mafor, accessibilité pour les épandages, présence dans la succession pratiquée d’une culture considérée comme particulièrement apte à valoriser cette Mafor. Pour les boues de STEU en particulier, la surface épandable est généralement réduite lorsque le système de production inclut des productions valorisées sous signe de qualité (AOC, chartes...) qui excluent l’épandage de boues (explicitement ou plus tacitement).

- Les modalités d’attribution des Mafor aux cultures : les Mafor sont de fait attribuées aux successions de cultures, et en leur sein, à certaines cultures (têtes d’assolement). Ces modalités d’attribution comportent d’abord des règles d’exclusion, réglementaires (pas de boues sur maraîchage) ou propres à l’agriculteur (productions valorisées). Pour les cultures non exclues, les règles d’attribution différent selon que la Mafor est surtout amendante ou fertilisante. Pour les Mafor fertilisantes, les cultures retenues sont fonction du risque que l'agriculteur accepte de prendre, compte tenu qu’il ne connait pas bien la dynamique de minéralisation des Mafor : le faible épandage sur blé est en partie lié au fait que cette production représente souvent, dans les exploitations de grande culture, une forte part du revenu, et que son rendement et la teneur en protéines des grains sont très sensibles aux carences azotées. Pour les Mafor amendantes, ce sont surtout les têtes d’assolement qui sont ciblées (colza, maïs, betterave).

- Les périodes d’épandage de Mafor, qui sont contraintes d'abord par la règlementation "Nitrates", puis par le calendrier cultural associé aux successions de cultures pratiquées (présence de plages de temps sans culture permettant d'épandre la Mafor), et par les objectifs de production. Au sein des périodes autorisées et agronomiquement possibles, les dates réelles d’apport sont déterminées par la météorologie, mais aussi par les modalités d’apport : le recours à des matériels spéciaux (pendillards ou enfouisseurs pour le lisier), la possession ou non du matériel, la réalisation du travail par des tiers... ont des effets importants sur les plages de jours disponibles pour les épandages. Ces questions des équipements disponibles, des niveaux d’investissement et de l'utilisation des matériels visant à limiter les effets environnementaux (volatilisation, lixiviation) sont très peu traités dans la littérature, alors qu’elles ont dans la pratique un rôle déterminant pour la capacité à utiliser des Mafor sous une forme et en temps voulus.

- Les doses d’apport, qui peuvent être plafonnées par la réglementation, mais font aussi l'objet de recommandations voire de prescriptions - davantage d'ailleurs dans les outils techniques à disposition des agriculteurs (cf. section 2.6) que dans la littérature scientifique. Diverses études ont constaté des sur-fertilisations azotées fréquentes chez les agriculteurs utilisant des Mafor (cf ci-dessus) Trois grandes raisons expliquent cette situation. En premier lieu, la méconnaissance des éléments réellement apportés par les Mafor (teneurs et disponibilité pour les plantes) conduit les agriculteurs à une sur- complémentation en engrais minéraux - même si des conseils de doses existent, on constate que les agriculteurs ont rarement confiance en ces conseils et apportent des doses chimiques plus fortes. Ensuite, la variabilité interannuelle, voire intra-annuelle, des compositions chimiques de certaines Mafor rend leur inclusion difficile dans un calcul de doses. Enfin, comme les Mafor contiennent plusieurs éléments minéraux, dont N et P, en quantités souvent très déséquilibrées, il est fréquent que les décisions de doses fondées sur un élément entrainent un fort déséquilibre sur l’autre (une dose d’effluents d’élevage raisonnée sur N a ainsi toute chance d’apporter du P en excès, et inversement un apport raisonné sur P risque d’être limitant en N). L’ensemble de ces raisons conduit de fait à des décisions de doses par les agriculteurs qui sont loin d’être calculées uniquement sur des critères "agronomiques" optimisant la fertilisation.

Enfin, les capacités de stockage sur la ferme apparaissent déterminantes pour les Mafor de type liquide, puisqu'elles conditionnent la durée possible de stockage des Mafor produites par l’exploitation (et/ou d'origine exogène) et donc le délai avant leur utilisation. A ce dimensionnement du stockage pour limiter les risques de débordements ou d'épandages en dehors des périodes optimales, s'ajoute la couverture des lieux de stockage pour éviter les dilutions par les eaux de pluie ainsi que les fuites gazeuses. L’augmentation des capacités de stockage à la ferme est l'une des solutions qui a été beaucoup mise en œuvre en Bretagne ces dernières années. L’autre option, plus émergente, est de limiter les volumes à stocker par le traitement des effluents (compostage, méthanisation), qui permet aussi d'étendre les périodes d’épandage autorisé ; on connait bien les réductions de volume permises par ces traitements des Mafor, mais encore mal leurs conséquences sur les modes de gestion des effluents dans les exploitations.

Les décisions concernant l’introduction des Mafor dans les systèmes de production et les modes de raisonnement des agriculteurs sont ainsi difficiles et fortement conditionnées par des facteurs propres au fonctionnement interne des exploitations, qui reste peu étudié.