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Les caractéristiques et la réglementation des CTO présents dans les Mafor

3. Les apports de contaminants via les Mafor

3.2. Les contaminants organiques (Composés Traces Organiques)

3.2.1. Les caractéristiques et la réglementation des CTO présents dans les Mafor

Spécificité des CTO et difficultés d'analyse

Persistance et modalités de la dissipation des CTO

De par leur nature organique, ces contaminants sont potentiellement dégradables, plus ou moins rapidement, par voie biotique (biodégradation) ou abiotique (par photolyse ou hydrolyse). Cette dégradation peut être partielle, avec formation de métabolites (voie biotique) ou de sous-produits (voie abiotique) intermédiaires, ou complète (minéralisation).

Leur plus ou moins grande résistance à la dégradation ou transformation détermine la persistance des contaminants organiques, caractéristique fondamentale pour leur devenir dans l'environnement. Cette persistance est évaluée par la mesure de la demi-vie du composé (le DT50 est le temps nécessaire pour que 50% des molécules aient disparu) ou par des constantes cinétiques de dégradation. Plus sa demi-vie est longue, plus le contaminant est persistant. Toutefois, comme on va le voir, la "disparition" d'une molécule ne correspond pas toujours à son élimination réelle ; c'est donc une demi-vie "apparente" qui est mesurée.

Ce critère de persistance conduit à opposer deux types de contaminants :

• les contaminants dits persistants, dont la dégradation est très lente, avec des demi-vies apparentes de plusieurs mois. Appartiennent à cette catégorie : les HAP, PCB, PCDD/F, PBDE, PFOA, et des produits pharmaceutiques (triclosan, triclocarban, fluoxetine, carbamazépine) ;

• les contaminants dits non persistants, qui se dissipent rapidement : leurs demi-vies sont de quelques jours. Relèvent de cette catégorie : LAS, oestrogènes, ibuprofène, diclofenac, sulfaméthazine.

Entre ces deux classes, certains contaminants sont considérés comme moyennement persistants : c'est le cas d'antibiotiques (triméthoprime, ciprofloxacine, sulfaméthoxazole, tétracyclines), du NP, du BPA ou du DEHP.

14 La convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants les définit comme persistants, bioaccumulables, toxiques, mobiles

Les propriétés des contaminants organiques déterminent leurs devenirs possibles dans l'environnement, mais aussi les conditions de leur analyse16. La capacité de liaison d'un contaminant à de la matière organique dépend de ses propriétés chimiques. Son affinité avec la matière organique est ainsi d'autant plus élevée que la molécule est hydrophobe.

Les contaminants organiques développent des interactions avec les matrices minérales et surtout organiques de la Mafor. Ces liaisons, initialement réversibles, deviennent de plus en plus fortes jusqu’à rendre la molécule inextractible. On parle de rétention des contaminants. Dans ces résidus dits "inextractibles" ou "liés", les contaminants sont donc non accessibles à l’analyse chimique mais présents. Ils peuvent cependant être mis en évidence par l'utilisation de molécules radiomarquées. L’intensité et la réversibilité de la rétention d'un contaminant vont conditionner sa mobilité et sa biodisponibilité potentielle vis-à-vis des organismes vivants (microflore, microfaune, plantes, animaux), et donc sa possible dégradation et les risques de transfert vers les eaux ou vers des plantes ou animaux destinés à la consommation humaine.

La dissipation ou disparition apparente d'un contaminant peut donc en fait résulter de plusieurs phénomènes, dont les conséquences diffèrent :

- une réelle dégradation/transformation de la molécule, qui peut être complète, mais aussi partielle avec production de composés intermédiaires (ou métabolites), potentiellement toxiques eux aussi ; leur prise en compte multiplie le nombre de composés à rechercher ;

- une conjugaison à la matière organique du sol, qui rend la molécule inextractible par un solvant chimique et donc inaccessible à l’analyse. Ces résidus liés pourront toutefois être libérés lors de la dégradation de la matière organique de la Mafor après apport au sol ; leur formation induit donc des risques potentiels de relargage dans l’environnement des contaminants dans le futur ;

- une migration hors de la couche de sol échantillonnée, par transfert en profondeur ou par ruissellement.

Les difficultés et limites méthodologiques actuelles

Il est important de rappeler que les méthodes d’analyse de certains contaminants organiques sont encore en développement ; les difficultés tiennent aux larges gammes de concentrations de contaminants – qui restent toutefois dans des concentrations faibles (ng/kg ou pg/l) –, aux fortes interactions avec les matrices des Mafor, et aux modes de détection

et de quantification suite à l’extraction. De la mise au point et de la précision de ces méthodes d’analyse dépend la disponibilité d’informations sur la présence de contaminants organiques dans les Mafor. Ainsi par exemple, le développement actuel des méthodes multi-résidus permettra d’analyser de nombreuses molécules simultanément.

Une autre difficulté réside dans le fait que les méthodes d'analyse diffèrent entre les études (les limites de détection et limites de quantification sont variables et évolutives), de même que les représentations des résultats (min, max, médiane, moyenne, simple graphique…).

La très grande majorité des références porte sur des contaminants organiques "totaux", c'est-à-dire analysés en une seule extraction, qui ne distingue donc pas les formes chimiques. Pour les composés organiques, les informations sont beaucoup moins nombreuses que pour les ETM concernant l'association des contaminants à différentes fractions de la Mafor, qui les rend plus ou moins disponibles pour des transferts dans l’environnement ou l'action de la microflore dégradante.

Les CTO étudiés

La littérature scientifique et "grise" permet d’accéder à beaucoup de données sur des molécules qui, de par leurs propriétés physico-chimiques (forte hydrophobicité), sont listées dans les textes réglementaires et sont donc analysées de façon quasi systématique : ce sont les polluants organiques persistants (POP), avec les HAP et PCB (les deux seules familles réglementées en France dans les Mafor), et les PCDD/F. Pour ces trois familles, des données existent sur les boues, mais aussi sur les composts et digestats de déchets verts, biodéchets et ordures ménagères résiduelles (OMR), ainsi que sur les effluents d’élevage, les sédiments, les biochars et les cendres. Plus récemment, d’autres contaminants qui, en raison de leur persistance, se retrouvent dans toutes les matrices environnementales, ont aussi été quantifiés dans les Mafor : il s'agit des PBDE, PFC, PCN et PCA. Ces autres molécules dites persistantes sont surtout quantifiées dans les boues, et quelques données existent sur d’autres Mafor (Tableau 3-3).

A ces molécules persistantes, s’ajoutent des molécules à usages domestique et industriel importants : les détergents (LAS, NP, QAC) et plastifiants (phtalates [DEHP] et bisphénols), les parfums, les produits de soin et agents antimicrobiens (triclosan, triclocarban, parabens), les polymères (PDMS). Pour ce groupe, la Mafor la plus étudiée reste la boue, mais les LAS, NP, DEHP, BPA ont aussi été analysés dans des composts et digestats de déchets verts et biodéchets, et des effluents d’élevage.

16 Le dosage d’un composé organique présent dans une matrice solide (Mafor ou sol) passe toujours par une phase d’extraction à l’aide d’un

Actuellement, on assiste à un fort développement des données sur les composés pharmaceutiques, du fait d'une plus grande attention portée à ces molécules et de l'amélioration des méthodes d'analyse. De nombreux travaux rapportent des données de présence, dans les boues et effluents d’élevage, de diverses molécules pharmaceutiques : des antibiotiques (fluoroquinolones, macrolides, sulfamides), analgésiques, anti-inflammatoires, antihistaminiques, hormones, beta-bloquants, agents de contraste… Parmi les antibiotiques, les trois grandes familles les plus utilisées que sont les fluoroquinolones, les sulfamides et les macrolides sont retrouvées dans les Mafor. Une dernière famille est aussi concernée : les pesticides, qui ont été quantifiés dans des boues et des composts et digestats de déchets verts et biodéchets. Les Mafor les moins étudiées sont les digestats autres que ceux de biodéchets et de déchets verts.

Les CTO réglementés

En France, sur l’ensemble des contaminants organiques potentiellement présents dans les Mafor, seuls trois HAP et un

ensemble de 7 PCB sont règlementés et ce, uniquement pour les boues issues du traitement des eaux usées, les effluents ICPE hors élevage et les amendements organiques répondant aux normes NFU 44 051 ou 44 095 (voir Annexe – Tableau 1). Ces 10 composés font l'objet d'une réglementation parce qu'ils sont à la fois persistants dans l’environnement (et présents dans tous les compartiments de l’environnement sans exception), bioaccumulables dans la chaîne alimentaire et toxiques.

Peu de pays européens ont fixé des normes sur les composés traces organiques, et il y a une grande variabilité dans les choix de molécules et les seuils. Ainsi l’Allemagne a fixé un seuil plus sévère que la France pour les PCB, lesquels ne sont pas réglementés au Danemark. A l’inverse, l’Allemagne ne réglemente pas les HAP, alors que le seuil sur la somme de neuf HAP est plus sévère au Danemark que celui sur la somme de trois HAP en France.

Au niveau européen, l'instauration de limites pour une nouvelle série de contaminants organiques (AOX, LAS, DEHP,

PCDD/F, NPE et PFC notamment) est envisagée. Des propositions ont ainsi été élaborées lors des discussions engagées sur le projet de règlement "End of waste", portant notamment sur des teneurs limites en contaminants, qu'un déchet devrait respecter pour devenir un "produit".