• Aucun résultat trouvé

Insertion contrastée des bacheliers professionnels et « carrière »

Chapitre 2. Comment évaluer l’éducation?

2. L’évaluation au service des enseignants

3.2. Insertion contrastée des bacheliers professionnels et « carrière »

Voyons d’abord ce qui ressort des entretiens et des données quantitatives sur l’insertion des salariés. A un premier niveau de lecture on peut faire ressortir des critères d’appréciation divergents entre les diverses catégories de personnes interrogées, les employeurs, les salariés et au sein de ces catégories les employeurs de divers domaines notamment. Au deuxième niveau de lecture si on prend pour critères d’évaluation les capacités d’agir en situation professionnelle, dans une perspective dynamique, il apparaît que les bacheliers technologiques ont un avantage sur les bacheliers professionnels.

3.2.1. Des jugements en partie divergents

Le jugement des recruteurs sur l’adéquation ou non des contenus de formation à l’activité de travail dépend des domaines d’activité. Les experts-comptables, pointent la bonne maîtrise des techniques de base des bacheliers professionnels, leur opérationnalité, ils dénoncent leur manque de recul, leurs connaissances trop scolaires de la comptabilité, leur faible capacité d’évolution ou leurs insuffisances en matière rédactionnelle et les dangers d’un apprentissage trop mécanique de l’informatique.

Pour les experts-comptables, la qualité au travail s’apprend, et en particulier de façon formelle dans le système éducatif. C’est ce qui les amène explicitement à faire en retour des propositions d’amélioration de l’enseignement de la comptabilité.

L’évaluation, par les entreprises de la grande distribution, de la qualité des bacheliers professionnels nous semble moins concerner les contenus d’enseignement, même s’il est reconnu qu’en matière commerciale, la formation permet, par exemple, d’acquérir des connaissances techniques qui rendent le jeune diplômé plus opérationnel. Cette moindre importance des contenus de formation scolaire dans la définition de la qualité au travail peut

être reliée à la croyance des recruteurs selon laquelle la qualité du vendeur trouve ses fondements en dehors de l’école et de l’apprentissage, en l’occurrence dans les personnes. Si l’apprentissage a lieu, et de fait il a lieu, à l’école ou sur le terrain, il vient se greffer sur « quelque chose » qui, selon eux, ne s’apprend pas. On est fait pour le commerce, ou on n’est pas fait pour le commerce. En pratique, la grande distribution recrute sur des postes de profils équivalents des vendeurs de niveau V et VI, sans privilégier très nettement le niveau IV.

Mais, les critères de jugements que nous avons essayé de mettre en évidence varient aussi selon le niveau de responsabilité à l’égard de la formation auquel se situent les employeurs. Dans les débats en CPC, on ne retrouve pas les mêmes positions qu’au niveau des entreprises. Tout d’abord les représentants des experts comptables se désintéressent ces dernières années du niveau IV, ils sont absents des réunions de Commission Paritaire Consultative (CPC) où il en est question, tant du bac professionnel que du baccalauréat technologique. Au contraire les employeurs sont très présents dans la quinzième CPC (Activité du commerce, de la vente), notamment pour définir les contours des emplois ciblés par le baccalauréat professionnel « commerce ». Cependant leurs positions ont nettement évolué entre la création de ce diplôme et les années 2000 où il est en rénovation. Lors de sa création, les employeurs militent pour un ciblage par type de commerce (petit commerce, grande distribution) et par produit. Ils insistent pour que le stage en entreprise soit couplé avec une spécialisation par produit, ils font créer de nombreux modules (bijouterie, arts de la table, droguerie etc.). Lors de la rénovation en 2003, les employeurs de la grande distribution abandonnent la revendication de modules par produit et demandent qu’on remonte le niveau d’exigence de ce baccalauréat, ils insistent, comme ils le font pour les baccalauréats technologiques, sur la formation générale. Ces positions des responsables de la profession est particulièrement surprenante quand on sait que les employeurs de la grande distribution recrutent massivement des non diplômés ou des titulaires de BEP, en concurrence avec les bacheliers. Autrement dit, ils participent à la définition des contours de l’offre, mais ne se sentent pas ensuite engagés collectivement à embaucher les jeunes qui ont suivi les formations qu’ils ont demandées.

L’appréciation de la formation par les salariés, résulte de l’utilisation d’entretiens menés auprès des jeunes salariés et exploités par une analyse lexicale qui fait ressortir une diversité de types de discours sur l’adéquation entre la formation et l’activité. Les appréciations que ces jeunes portent sur leur formation initiale sont en partie susceptibles d’être reliées à la nature de cette formation initiale. Certains d’entre eux ne répondent pas à la demande que nous leur

faisions de mettre en relation la formation et l’activité professionnelle. Il semble s’agir des jeunes les moins satisfaits de la position professionnelle qu’ils ont atteint. Ils n’évoquent celle-ci qu’en terme d’accès à l’emploi, de niveau de salaire et de relation avec les collègues ou les supérieurs dans l’entreprise. En général les niveaux de salaire et les relations au travail leurs paraissent assez peu satisfaisants, sans qu’il soit possible de faire de différence entre les diverses spécialités de baccalauréat étudiées.

Ceux qui répondent le plus aisément à notre demande le font sur deux modes, un mode qu’on peut dire statique et un autre plus dynamique. Les uns, ce sont principalement des jeunes titulaires d’un baccalauréat professionnel, portent sur leur formation initiale un jugement peu argumenté, ils la voient comme une évidence : le baccalauréat professionnel conduit à l’emploi, les matières professionnelles sont préférées aux matières générales, les choix « vont de soi ». Ils expriment globalement une satisfaction résignée de la position où ils se trouvent et semblent ne pas penser leur passé ou leur avenir en termes de projet ou de trajectoire. Les autres au contraire s’inscrivent dans un temps et un projet. Quand il s’agit de bacheliers professionnels, ils développent principalement l’idée qu’on apprend en faisant. A l’inverse, les jeunes bacheliers technologiques parlent de leur formation initiale en se souvenant du contenu des matières étudiées, comme s’ils en découvraient la valeur depuis d’éventuels projets professionnels ou de poursuite d’études.

3.2.2. L’avantage des bacheliers technologiques

Cet avantage apparaît si on fait la synthèse des jugements portés par les employeurs, les salariés et si on examine les trajectoires effectives des jeunes dans les années qui suivent la sortie d’étude, par l’enquête Génération98.

Les bacheliers professionnels de nos deux spécialités connaissent un accès plus rapide à l’emploi, notamment les bacheliers commerce, et sont moins souvent dans des trajectoires de reprise d’études ou de formation que les bacheliers technologiques.

Les bacheliers technologiques de leur côté accèdent plus que les autres à des positions de professions intermédiaires ou d’indépendants, voire même à une poursuite d’études et à des positions de cadres. Souvent, ils savent alors parler précisément de leur cursus et dire comment leur nouvelle position professionnelle leur permet de mobiliser des connaissances acquises à l’école. Ainsi le baccalauréat technologique, notamment ACC (Action et communication commerciale) sans poursuite en BTS, ouvre des possibilités professionnelles que les enseignants de ces filières semblent méconnaître.

Les bacheliers technologiques, connaissent en moyenne une trajectoire plus ouverte, potentiellement plus longue et avec assez souvent des occasions de poursuite d’études ou de formation supérieures courtes.

Ces résultats confortent la prégnance d’une embauche et d’une insertion des jeunes selon une logique de file d’attente dans laquelle le niveau de diplôme est le principal critère de classement et l’emporte sur la spécificité du contenu de la formation reçue. Dire cela est considérer que le baccalauréat technologique exprime un niveau supérieur au baccalauréat professionnel. Le diplôme révèle alors un classement méritocratique, reconnaît une « capacité d’agir » générique qui l’emporterait aux yeux des employeurs sur le caractère spécifique des formations. Cependant, d’autres éléments permettent de nuancer la prégnance unilatérale d’une simple logique de niveau et de montrer que le contenu de ce qui est enseigné a un

impact. Certains bacheliers professionnels, tant dans la spécialité « commerce » que

« comptabilité », connaissent eux aussi des trajectoires analogues. Il s’agit souvent de jeunes qui ont choisi volontairement la filière professionnelle et étaient d’un assez bon niveau scolaire. Ainsi, le baccalauréat professionnel, même comptabilité, souvent décrié au sein de l’éducation nationale parce qu’il accueille beaucoup de jeunes par défaut – ce qui suscite chez certains d’entre eux une grande amertume - peut être un moyen non seulement de motivation scolaire, ce qui se dit souvent, mais même de réussite scolaire et de promotion sociale. De plus, les bacheliers professionnels « commerce » sont beaucoup plus fréquemment embauchés durablement dans leur cœur de métier, ce qui montre que la spécialisation joue un véritable rôle.