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Une description renouvelée de l’action éducative et de son produit

Chapitre 3. Une méthode pour une économie

1. Education et économie des conventions

1.2. L’économie des conventions peut-elle fonder une économie de l’éducation ?

1.2.1. Une description renouvelée de l’action éducative et de son produit

Dans ma thèse et les travaux de cette période (Chatel 1995, 1998, 2001, 2002), je trouve dans l’économie des conventions une possibilité de rendre compte des faits éducatifs de façon renouvelée, et à mon sens plus en phase avec leur spécificité.

Je me suis saisie essentiellement de trois suggestions qui me viennent de ce courant : une problématisation de la coordination qui mène au traitement conventionnel de l’incertitude, l’affirmation de la pluralité des logiques ou des raisons de l’action, la caractérisation conventionnelle des produits, par exemple des résultats scolaires.

J’emprunte en effet au courant conventionnaliste et particulièrement à Robert Salais49, l’idée que l’action ne peut être réduite à la décision car « tout produit est produit » (Salais 1996). Concernant l’action éducative cela m’a conduite à mettre l’accent sur l’aspect relationnel qui provient de ce que l’enseignement s’adresse aux élèves. L’éducation est donc une sorte de service, puisqu’elle est immatérielle et suppose, comme tous les services interpersonnels, un certain degré de participation de celui qui le reçoit. C’est néanmoins un service d’une sorte particulière puisque, visant l’apprentissage et la socialisation, il contribue à la transformation des personnes, il contribue à leur développement. Je suis donc conduite à parler de l’action du professeur comme étant une action relayée, puisque elle vise à mettre l’élève en mouvement pour apprendre, pour accéder à la culture que le professeur souhaite lui transmettre. L’action éducative connaît une incertitude relative au déroulement de l’enseignement et aux résultats des élèves, elle est elle-même cadrée par des dispositifs, puis canalisée par le savoir faire professionnel du professeur. Ce savoir faire professionnel, plus ou moins attendu des élèves, constitue ce qu’on appelle « le contrat didactique » (ou « disciplinaire »). On peut parler à ce sujet de « convention » puisqu’il n’y a là rien d’écrit, ni de négocié explicitement mais des régularités de comportement, ce qui correspond à la définition de la convention. Les dispositifs les plus directement influents sur l’action du professeur sont matériels (la salle de classe, les éléments matériels qui étayent l’enseignement etc.) et immatériels (les programmes, le règlement intérieur, les règlements et us et coutumes relatifs à l’évaluation pédagogique, les habitudes d’enseignement de cette matière etc.).

J’ai montré sur le cas de l’enseignement des sciences économiques et sociales comment cet encadrement institutionnel laisse place à une diversité de façons de faire, une pluralité de logiques d’action. J’ai tenté de les caractériser en opposant deux façons de concevoir la relation au savoir et la relation aux élèves ; j’ai donc transposé les figures de la diversité des conventionnalistes dans le domaine de l’action éducative du professeur et des modes courants de gestion de l’incertitude. La description dans laquelle les mondes me servent de grammaire, me permet de montrer que le monde « didactique », qui représente une sorte d’idéal régulateur, dans mon schéma (voir supra, chapitre 1) a peu de chances de se réaliser compte tenu des caractéristiques pérennes du système éducatif français. Celui-ci favorise plutôt des modes d’action selon le « monde scolaire » ou selon le monde « magistral » du moins au lycée. Le « monde didactique » est conçu pour faire accéder les élèves à la problématisation

49. Notamment du fait des séminaires du GDR IEPE qu’il dirigeait à l’IRESCO quand j’ai fait ma thèse entre 1992 et 1996.

dans la discipline qui leur est enseignée, il est très exigeant pour les élèves et aussi pour les professeurs ; dans les dispositifs collectifs actuels il est aussi très risqué pour les professeurs car l’incertitude sur la première dimension, celle du déroulement de l’enseignement, y est accrue. Ce modèle m’a permis une description contrastée et une approche critique du type de pédagogie active pratiquée dans les classes de SES, qui ressortissent plus du « monde pédagogique » au sens où il s’agit de « faire participer les élèves », plus que de réussir véritablement à les tirer vers une activité intellectuelle (Chatel et alii 2000, rapport joint).

L’économie des conventions a joué un rôle important pour rendre les économistes conscients du caractère fabriqué des « données » économiques. La construction du produit n’est pas naturelle dans le domaine des biens et services qui s’échangent sur les marchés, elle l’est moins encore en ce qui concerne l’éducation, qui n’est pas un simple service échangeable, notamment l’éducation scolaire. J’ai essayé de montrer les simplifications, voire les réductions que ces tentatives de mesure d’un « produit éducatif » comportaient (Chatel 2001 ; 2005). On peut les analyser comme un travail social de construction d’une équivalence entre les résultats éducatifs, travail social cohérent avec la visée d’une régulation par les résultats. La critique de cette mise en équivalence n’empêche pas d’accepter, suivant une logique conséquentialiste familière aux économistes, de relier la conduite de l’enseignement à ses résultats attendus. Je retrouve donc une tournure de pensée que la pédagogie par les objectifs et le souci de l’évaluation pédagogique d’une part et de l’autre la volonté politique de voir se développer une nouvelle régulation du système éducatif a diffusé dans les recherches et les pratiques éducatives. Cependant, mon expérience enseignante et mon travail sur l’enseignement des SES, m’inclinent à refuser une vision trop linéaire des apprentissages et une approche du produit éducatif unidimensionnelle. La régulation par les résultats ne s’applique pas aisément en éducation. La notion de résultat ne s’identifie pas sans problème à celle de « produit » éducatif. Je crois l’avoir montré dans le chapitre précédent. Plutôt que d’entrer dans ces constructions avec un idéal de mesure quantitative et une visée implicite de réforme des pratiques enseignantes, j’ai préféré examiner l’évaluation pédagogique telle qu’elle se fait de façon habituelle par les exercices scolaires, les notes, les examens, la certification. Cet examen permet d’établir l’existence d’un consensus des jugements portés sur les élèves par les professeurs, consensus dont les critères sont peu élucidés. Ces analyses mettent aussi en évidence la multi-dimensionnalité des attentes sociales relatives à l’éducation scolaire. La question de la « qualité » de l’éducation consiste alors à tenter de caractériser ces attentes, sans considérer qu’il faille nécessairement les aligner, les réduire ou les modifier.

Cet ensemble de critiques problématise l’action éducative, dénaturalise son produit et déconstruit, par voie de conséquences, la notion d’efficacité qui est au fondement de l’économie de l’éducation standard.