• Aucun résultat trouvé

La construction du public

Chapitre 3. Une méthode pour une économie

2. L’enquête sociale en éducation : une méthode de recherche inspirée

2.3. L’enquête sociale et le positionnement du chercheur

2.3.4. La construction du public

La publication des résultats de l’enquête qui permet au public d’en prendre connaissance, de la critiquer, contribue à en assurer la liberté. Les résultats de l’enquête participent ainsi du processus de formation de l’opinion publique. Joëlle Zask, dans la préface de l’ouvrage « Le public et ses problèmes » dont elle est la traductrice, signale la satisfaction de Dewey d’avoir réussi à inclure l’expérimentation dans une philosophie politique et sociale. La politique est vue comme une expérimentation, une expérimentation progressive dans laquelle l’enquête sociale aide à corriger ce qui a été fait auparavant en fonction des conséquences. L’enquête permet de faire le tri et de choisir les conditions qui développent les libertés et les capacités de chacun. Mais pour les connaître et les changer, il faut que les personnes affectées par les conséquences d’une action publique se manifestent, participent, bref, constituent un public. Le public « consiste en l’ensemble de tous ceux qui sont tellement affectés par les conséquences indirectes de transactions qu’il est jugé nécessaire de veiller à leurs conséquences » (Dewey, 1926 [2003], p. 63). En effet, ces conséquences peuvent être étendues, complexes, mal perçues, de sorte qu’il se peut, notamment dans nos sociétés où les organisations sont souvent vastes et impersonnelles, que le public concerné ne s’identifie pas comme tel. Il reste alors diffus, éparpillé, non constitué et impuissant. Dewey estime que l’apathie fréquente de l’électorat peut provenir du fait que les questions qui sont agitées publiquement sont pour lui souvent obscures, artificielles ou hors de propos.

La connaissance sociale constituée en prenant pour origine des troubles sociaux effectivement ressentis est au service du public qu’elle contribue à construire. Elle peut en effet engendrer une volonté collective de s’attaquer aux problèmes identifiés. Toutes deux deviennent motrices du changement démocratique des institutions. Le public qui soutient ce changement est une entité toujours en voie de construction.

En voulant dans mes travaux définir à qui l’évaluation s’adresse, en acceptant de reconnaître que les critères des évaluations peuvent ne pas être consensuels, en voyant celle-ci comme un tableau pour éclairer des débats, je me sens en cohérence avec cette vision de l’enquête sociale de Dewey et cette conception du chercheur, vue non comme celui qui détiendrait la vérité et l’objectivité, mais plutôt comme celui qui rassemble systématiquement les éléments cohérents au service d’un jugement « des personnes affectées », de façon à œuvrer pas à pas pour une évolution de dispositifs institutionnels susceptible de prendre en considération et de faire s’affronter une diversité de points de vue sur ce qui est « bien », tout en s’appuyant sur l’enquête systématique.

L’objectif est fondamentalement d’avoir une démarche de recherche à portée démocratique.

Conclusion

J’ai voulu dans mes recherches maintenir actif le ferment que mon expérience enseignante leur apportait. Cependant, il m’a fallu me dégager progressivement de la proximité avec l’exercice de l’enseignement en adoptant un point de vue plus extérieur et en tentant une montée en généralité. En maintenant néanmoins la posture compréhensive, il s’agissait toujours de ne pas se contenter de « réponses » qui ne pouvaient rendre compte des problèmes rencontrés par les praticiens, mais il fallait conjointement sortir de l’étroitesse des expériences singulières en prenant plus largement en considération la pluralité des points de vue des diverses parties prenantes des actes éducatifs.

Cette discipline du travail de recherche, je la relie après coup à la démarche philosophique du pragmatisme. Je l’ai vue comme étant en accord avec ma conception de l’économie des conventions qu’elle m’a permise de clarifier. Cette philosophie sous-tend donc le parcours dont je fais la synthèse. Celui-ci prend pour objet principal la conduite de l’action d’éducation ou de formation en relation à l’évaluation. Sur cet objet j’adopte relativement à d’autres orientations scientifiques et politiques une posture depuis laquelle je décris ou analyse les faits d’éducation ou de formation. On peut la résumer en trois points.

1. L’éducation scolaire ou la formation que je souhaite promouvoir doit contribuer à la vie démocratique. Elle a donc pour finalité le développement de la personne, par là l’enrichissement de sa perception de significations et de ses capacités d’agir. Cette finalité en

tant qu’elle est émancipatrice concourt à la démocratie. Cependant ce développement à valeur émancipatrice est le fait de la personne elle-même, il ne doit pas lui être imposé de l’extérieur. Il y a donc un espace de responsabilité propre des élèves, des personnes formées dans leur développement.

2. A cet espace de liberté des élèves, des formés doit correspondre un espace de liberté, d’initiative, de responsabilité des enseignants dans la didactisation des contenus et dans la

conduite de leur enseignement ; c’est en quelque sorte le versant complémentaire

indispensable de la reconnaissance de la nécessaire conquête d’autonomie de l’élève dans une éducation a finalité émancipatrice, car l’éducation scolaire s’opère dans cette interaction.

3. Cependant l’action éducative, tout comme les autres actions, est en partie cadrée par des dispositifs sociaux ; parmi ceux-ci les évaluations jouent un rôle régulateur, mais il ne va pas de soi que les évaluations socialement instituées ou en cours d’élaboration contribuent à la finalité émancipatrice exposée ci-dessus.

L’évaluation est examinée au regard de la position normative brièvement indiquée ci-dessus et la recherche d’une mesure objective de quelque chose d’établi est mise en question, car l’émancipation, la perception enrichie, la capacité d’agir des personnes ne peuvent se juger qu’en situation. L’évaluation, à mon sens, doit être conçue comme plurielle, diverse, évolutive. Elle doit donc constamment adapter ses critères, qualitatifs ou quantitatifs, pour informer les divers acteurs de l’éducation, aux divers niveaux de responsabilité qui sont les leurs, au regard des situations dans lesquelles ils agissent, tout en restant orientée par des méta-principes qui doivent être explicités.