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Il est indéniable que de nos jours, la question de l’insécurité est si banale qu’on ne pense pas à l’histoire du phénomène. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la question n’inquiétait pratiquement personne57. En effet, la question de l’insécurité peut avoir plusieurs

conceptions et chacun peut avoir sa propre définition. Pour certains, c’est un pur et simple fantasme ; ou un moyen pour les États de légitimer leurs actions de répression sur les populations, voir même pour son existence ; conséquence de l’écroulement des valeurs morales ; résultat de l’influence des images de violence que certains médias diffusent. Toutefois, l’insécurité est un phénomène réel et ses attributs sont aussi multiples que ses causes (agressions, vols, vandalisme, terrorisme international, « bavures », etc.).

La complexité du phénomène de l’insécurité impose qu’il soit bien et mieux encadré, d’une manière qu’il soit plus facile à comprendre. Aussi bien pour les responsables de la sécurité ou des groupes sociaux et autres. L’insécurité est loin d’être une évidence, elle est le sujet d’un débat d’interprétation, du coup, il mérite d’être éclairci. 58

- L’insécurité : quelle origine ?

Traditionnellement, l’agression extérieure constitue la principale menace et source d’insécurité, notamment pour les grandes puissances. Mais de nos jours, avec l’avènement des nouvelles menaces, les tendances ont changé, et ces agressions ne constituent plus la principale source d’insécurité. Les craintes aujourd’hui sont le crime organisé, le terrorisme, l’acquisition d’armes de destruction massive par des États voyous59 et acteurs non étatiques. En conséquence,

les États accordent un intérêt particulier à cette question, notamment à l’immigration, même si le contrôle des frontières ne peut constituer un moyen de suppression de ces menaces. Selon Mary Kaldor on ne peut y faire face qu’en s’attaquant aux conflits contemporains qu’elle a

56 Jean François GUILHAUDIS, relations internationales contemporaine, op-cit, p. 661 57 Sebastien ROCHE, Insécurité et liberté, Seuil, mai 1994, p. 9.

58 Ibidem, p. 19-20

59 L'expression d'état voyou renvoie à l'idée d'un État qui ne respecte pas les lois internationales les plus

essentielles, organise ou soutient des attentats, ou viole de manière systématique les droits les plus élémentaires de l'être humain. C’est un concept, qui, jusqu’à ces derniers temps, un rôle primordial dans l’analyse et la stratégie politique américaines. Voir Noam Chomsky, L’Amérique, « État voyou », Le Monde diplomatique, août 2000, p. 4-5

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appelés « nouvelles guerres », qui sont le corpus des guerres (multiformes), des crimes organisés et violations des droits humains. L’auteur souligne que ces guerres nouvelles prennent de l’ampleur le plus souvent dans les pays à histoire autoritaires ou totalitaires et qui furent fermés au monde extérieur. Ces nouvelles guerres sont bien différentes des anciennes guerres qu’a connues l’Europe et qui inspirent la pensée moderne de la sécurité. D’abord, les guerres anciennes de l’Europe opposaient des armées régulières, alors que ces nouvelles guerres détruisent l’État, en érodant sa légitimité, fragilisent ou ruinent l’économie et banalisent la violence. Ces guerres n’éclatent plus pour des raisons géopolitiques et/ou idéologiques comme jadis, mais, le plus souvent, pour des raisons exclusives et identitaires60 basées sur la différence qui installe la division des peuples (ethnique et religieuse principalement), elles mettent en place des unités dissidentes des forces de sécurité régulières, des réseaux d’acteurs paraétatiques (mercenaires) et non étatiques, des chefs de guerres, des gangs…etc. Ces guerres évitent le combat direct et privilégient la monopolisation de contrôle des territoires à travers l’usage de la violence délibérément et faire régner la terreur. Ce sont des guerres dans lesquelles on peine à distinguer les acteurs combattants et non combattants (tel qu’en Afghanistan avec les Talibans61et au Pakistan, en Somalie avec Shebab62 ou au Nigéria avec les combattants de BH). De ce fait, quand il faut intervenir pour régler le conflit avec les moyens qui s’imposent comme la force, la contre-insurrection par exemple, est menée par des forces régulières, qui disposent les dernières technologies sophistiquées, dans certaines régions, le niveau de destruction et de peur des attaques aériennes, navales et parfois terrestres et des bombardements est bien plus important. Conséquence, aux victimes civiles viennent s’ajouter les déplacements de population en masse (tel que l’on assiste actuellement au Moyen-Orient avec la guerre syrienne ou sur la corne d’Afrique avec les affrontements au Soudan du Sud et dans la région du lac Tchad qui est l’objet de notre travail)63.

Une réalité inéluctable est que de ces nouvelles guerres, nous connaissons le début, mais leur fin est difficile à saisir tant elles semblent non maitrisables et interminables. Ce sont des guerres sans victoire ni défaite claire (tel que la guerre américaine en Somalie) et la poursuite de la violence constitue aux parties en conflit le seul moyen de se maintenir, politiquement et

60 Voir, Élise Féron et Michel Hastings, « Les nouvelles guerres de cent ans », Revue internationale des sciences

sociales, n° 177, mars 2003, p. 545 à 556

61 Les talibans sont un mouvement fondamentaliste islamiste se faisant appeler Émirat islamique d'Afghanistan et

qui s'est répandu au Pakistan et surtout en Afghanistan depuis octobre 1994.

62 Harakat al-Chabab al-Moudjahidin est un groupe terroriste islamiste somalien d'idéologie salafiste djihadiste

créé en 2006. C’est une Faction de l'Union des tribunaux islamiques, créée pour promouvoir la Charia en Éthiopie.

63 Mary KALDOR, « La sécurité humaine : un concept pertinent ? », Politique étrangère, n° Hiver, avril 2006,

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économiquement. De plus, ces guerres se propagent à travers le passage des réfugiés, des déplacés, des réseaux criminels et des idées extrémistes et dangereuses qu’elles alimentent, que ce soit en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie centrale ou dans le Caucase (les réfugiés syriens en Turquie en sont une illustration). Mais il y a aussi, récemment, l’influence de la technologie, notamment de l’Internet, à travers lequel des personnes se radicalisent parfois et passent à l’acte violent, aussi bien collectivement qu’individuellement. C’est dans ces « trous noirs », dans cette jungle et ce contexte complexe que naissent la majorité des menaces que vit l’humanité actuellement. Il résulte souvent de ces « nouvelles guerres » un État faible ou en situation d’échec, une société civile faible, une dépendance financière forte à l’égard de l’extérieur, notamment les aides humanitaires et onusiennes (pour le cas des pays du Tiers monde), l’érosion du monopole de la violence, la disponibilité d’armes légères un peu partout et par tous genres de personnes, telles que de jeunes hommes (bras valides) sans emploi, souvent anciens soldats ou policiers, et la propagation d’une économie illégale ou informelle. Bref, un monde sans définition64. Ceci vient en appui des conditions dans lesquelles BH s’est installé dans la région de Diffa au cœur de notre terrain.

Parler, agir et réfléchir sur la question de l’insécurité transnationale est un véritable défi pour les États et leurs collaborateurs, car cette insécurité touche toutes les couches de la société sans épargner aucun domaine. Elle se présente sous toutes ses formes et dans de très nombreux États. Par ailleurs, au vu du rôle du terrorisme dans la propagation quasi générale de ce phénomène d’insécurité, il est important d’examiner la notion du terrorisme pour aborder cette question d’insécurité transfrontalière en Afrique de l’ouest, mais il y a obligation, à notre sens, de revenir sur la notion de frontière également, notamment les frontières africaines près et postcoloniale, car elle joue un rôle déterminant dans la clarification du phénomène de l’insécurité sur la frontière qui fait l’objet de notre étude et d’une manière générale cela peut expliquer la facilité par laquelle l’insécurité transfrontalière devient une situation incontrôlable en Afrique de l’ouest (le Sahel en l’occurrence).

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