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Une injonction à l’autonomie pressante

PARTIE 2. RENCONTRE AVEC UNE SOCIÉTÉ D’ACCUEIL EXIGEANTE

3. EXIGENCES DE RÉGULARISATION ET D’AUTONOMISATION

3.3. Une injonction à l’autonomie pressante

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« J’aimerais aller le plus loin possible. Plus tard, c’est sûr que je travaille et si cela se passe bien, je suis le chef et je gère un chantier. »

Farhad, afghan, 17 ans.

Lorsque nous rencontrons les jeunes, les formations ne sont pas terminées et leur avenir au sein des entreprises n’a pas forcément été discuté mais plusieurs indiquent être appréciés dans leur travail et se sentir bien intégrés.

« L’électricité, ça me plaît, ça me plaît trop ! Il y a beaucoup de travail, tu n’as pas de temps libre ! Avec l’équipe, cela se passe bien. Les collègues s’occupent de moi. Il faut car je suis apprenti ! Au lycée aussi ! C’est pour cela que je suis content ici, il n’y a aucun problème ! Je suis étranger, et alors, il n’y a rien du tout ! »

Walid, afghan, 18 ans.

« Au CFA43, ça va. Tous les professeurs, ils m’aiment. Et les copains, c’est pareil ! Présentement, je suis en train de m’intégrer parce que je suis en formation, je travaille, j’approfondis mon français. Pour pouvoir vivre comme tout le reste des jeunes. »

François, camerounais, 18 ans.

Enfin, les deux personnes qui ont quitté le dispositif sont en emploi dans le secteur du bâtiment, un en intérim et le second en contrat à durée indéterminée.

Si l’on reprend ces parcours scolaires, tous les jeunes rencontrés en début de prise en charge ont l’intention de se former et d’apprendre un métier, dont une grande majorité avec déjà des idées de secteurs professionnels. Les cours de français répondent dans la plupart des cas à une nécessité immédiate, même si certains regrettent de ne pas être scolarisés plus tôt. Ce désir d’aller à l’école, assez présent à l’arrivée en France, laisse progressivement place à un projet de formation professionnelle en alternance, répondant au besoin d’émancipation financière. Malgré parfois des difficultés scolaires, les jeunes interrogés présentent des compétences appréciées tant dans les établissements qu’en entreprise. La valorisation de leurs parcours leur permet de se projeter dans une poursuite d’études.

61 entrant dans l’âge adulte. Nous retiendrons le passage de l’école au travail, de l’hébergement familial (ici institutionnel) au logement autonome et enfin, de la dépendance à l’autonomie financière. Cependant, les jeunes pris en charge à l’Aide Sociale à l’Enfance sont soumis à un délai pour franchir ces étapes, qui répond à un critère administratif d’âge. Les contrats jeunes majeurs permettent de reculer l’échéance. Créés lors de l’abaissement de la majorité à 18 ans en 1974, ils offrent aux départements la possibilité de maintenir la protection et l’assistance éducative jusqu’à 21 ans. Il s’agit de dispenser un accompagnement à ces jeunes ayant atteint le statut de « majeurs », mais pas forcément autonomes dans toutes les sphères de la vie quotidienne.

Selon Vincenzo Cicchelli, l’expression « jeunes adultes » relie deux termes a priori « contradictoires » pour signifier « l’allongement de la dépendance entre les parents et les jeunes » (2001). L’auteur compare l’évolution des modes d’émancipation des jeunes. Alors qu’auparavant, l’autonomie passait par la décohabitation, c’est-à-dire « une séparation spatiale entre les générations », dans la société contemporaine, elle se construit « dans le cadre d’un parcours individuel de maturation psychique et sociale qui légitime le rôle de médiation des parents » (Scabini et Cigoli, 2007). Ces derniers facilitent en effet les démarches d’insertion de leur enfant, mais aussi sa construction en tant qu’individu « autonome ». Il continue d’appartenir à sa famille tout en redéfinissant « les modalités d’attachement à ses parents » et en poursuivant sa socialisation. Pour les jeunes placés à l’Aide Sociale à l’Enfance, ces rôles de médiation et d’insertion sont justement assurés par les services éducatifs.

L’autonomisation est, comme au sein d’une famille, matérielle, mais aussi psychique.

« Il faut travailler la séparation » entend-on dans le jargon des éducateurs, autrement dit, favoriser l’investissement d’une relation éducative et permettre ensuite aux jeunes de s’en détacher progressivement pour voler de leurs propres ailes.

Selon la situation et l’âge auquel a lieu l’admission dans le service, le temps de suivi peut suffire ou non. D’autant que dans le cas des Mineurs Non Accompagnés, les difficultés sociales auxquelles Anne Oui (2012) fait référence (problèmes d’insertion, de logement, de santé, fragilités psychologiques etc.), peuvent être renforcées du fait de leurs parcours, mais aussi de leur statut spécifique en France. Pourtant, l’injonction à l’autonomie est d’autant plus forte pour ce public. En effet, au regard du nombre croissant de demandes de prises en charge dans certains départements et du manque de places, les durées d’accompagnement tendent à se réduire.

62 Les jeunes interrogés ont des réactions très différentes au sujet de l’accès à l’autonomie selon l’étape à laquelle ils se trouvent dans leurs parcours au sein de l’Aide Sociale à l’Enfance. Neuf en phase de recours, d’évaluation ou en début de prise en charge ne se projettent pas encore dans l’avenir. Leurs priorités sont ailleurs. A mesure que les situations évoluent et que l’installation s’opère, la question se pose de façon plus concrète. En plus des deux jeunes ayant quitté le dispositif qui vivent dans leur propre appartement, quatorze aspirent à leur autonomie. Ils attendent que les conditions soient réunies pour pouvoir accéder à leur propre logement et « se débrouiller » seuls. Huit autres ne se sentent pas encore prêts et évoquent leurs inquiétudes. Les propos de Semei, tout juste majeur, illustrent ce mélange d’émotions.

Il met en avant son appréhension face aux démarches administratives et à la gestion financière, mais aussi face à la solitude.

« Cela fait peur ! Être autonome, les factures, les meubles que tu dois acheter… Si tu n’es pas prêt financièrement, ça va être un peu chaud quoi ! C’est comme si tu rentrais dans la vraie vie, dans la vie des gens, d’un travailleur qui travaille ! Pourtant, moi je suis apprenti ! Cela me fait un peu peur ! Apprenti et tu fais ça ! […] Et puis j’ai un peu peur parce que j’ai toujours vécu avec des gens et tout ça mais… pour le moment je ne suis pas encore à cent pour cent prêt mais je pense que ça ira. Gérer tout ça… Cela fait peur ! […] Oui, ils ont trop d’attentes ! Déjà, ils me disent que vite, je dois quitter la structure. Mais d’abord, l’homme doit se construire ! Tout petit, tu es avec ta maman, tes frères et sœurs. Tu sais que petit à petit, en grandissant, tu vas quitter ta famille.

C’est comme ça. Mais quand tu n’es pas encore prêt et que ta famille te dit de quitter la maison, tu fais comment ? »

Semei, ivoirien, 18 ans.

Pour Semei, la sortie du dispositif est précipitée et il fait le parallèle avec un enfant à qui sa famille demanderait de partir, trop tôt. La question du statut est ici centrale. Un adolescent n’est pas encore un adulte. Nous développerons dans la troisième partie les concepts liés à la jeunesse et à l’ambivalence de statut. Semei nous dit aussi qu’un apprenti n’est pas un « travailleur », dans le sens où il l’entend lui, c’est-à-dire un salarié gagnant un salaire complet. On lui demande pourtant d’être autonome financièrement. Pour lui, les exigences à son égard sont trop élevées. N’est-ce pas N’est-ce que tentent de nous dire nombre de jeunes à travers N’est-ce que les équipes nomment les « revendications financières » ? Ange l’explique très bien. Il ne comprend pas que le foyer lui demande une participation financière. « Je n’ai pas 18 ans, je n’ai pas un salaire qui avoisine par exemple les cinq-cents euros ». Pour un jeune de 19 ans qui s’apprête à quitter le dispositif, il peut l’entendre, mais dans son cas, à 17 ans, il trouve cela un peu tôt. Anne Oui reprend le constat de la Cour des Comptes de 2009 :

« le passage d’une logique de protection pour un mineur à une logique d’insertion et de responsabilisation de jeune adulte est toujours difficile » (2012).

63 Enfin, Semei évoque un élément culturel d’importance, à savoir que dans certaines sociétés, on n’est pas habitué à vivre seul. Oussy l’exprime aussi, en quelques mots : « Nous, on ne prend pas d’apparts ! » Nombreux sont les jeunes interrogés qui expliquent que chez eux, même marié, on reste vivre avec sa famille. Souvent, on agrandit la maison pour fonder son propre foyer, à côté des siens. Ils précisent que le niveau social peut influer sur les pratiques puisque si l’on en a les moyens, on peut effectivement s’installer dans un logement indépendant. Mais ce n’est pas la majorité des cas. Nous constatons néanmoins que les Mineurs Non Accompagnés s’adaptent à la société d’accueil, comme en témoigne leur capacité à se projeter dans ce nouveau mode de vie individuel.

« Moi, ce que je veux, c’est être autonome, avoir mon espace, ma chambre personnelle, pouvoir gérer mon espace. On m’a demandé : « Dans ton pays, c’est comme ça que tu étais ? Tu dormais seul dans une chambre ? » J’ai dit que ce n’était pas l’affaire de mon pays. Mon pays, c’est mon pays ! Ici c’est ici ! […] Quand j’aurai mon appartement, je vais essayer de m’adapter. Cela va être difficile oui ! Mais après, ça va aller. Au fil du temps, tu changes, les choses changent pour toi. Du côté positif, j’espère ! Je serai comme, par exemple, vous ! Moi, je vais faire comme ça après ! Cela me plaît ! »

Ange, guinéen, 17 ans.

Les équipes, conscientes des fragilités et des besoins potentiels de ces jeunes, envisagent (comme pour les autres) la mise en place de relais auprès d’institutions de droit commun en prévision de leur sortie. Cependant, lors des entretiens, il n’y est pas allusion. Comme si toute possibilité d’étayage était absente en dehors de la prise en charge. Il semble que la question du lien soit à interroger pour ces publics qui, après un parcours migratoire souvent traumatique et de nombreuses ruptures, se sont autorisés à s’appuyer sur des services et n’ont pas forcément l’énergie pour investir de nouveaux lieux ressources plus à distance. Entre le foyer avec une présence éducative quotidienne et le service de chambres en ville proposant des rencontres hebdomadaires, l’écart est conséquent et souvent déstabilisant, mais les jeunes s’adaptent et ils y trouvent généralement leur compte. Mais en quittant le dispositif, passer la porte du CCAS44, expliquer de nouveau sa situation pour s’entendre dire que l’on peut rencontrer l’assistante sociale de permanence, mais uniquement sur rendez-vous entre 9h00 et 17h00, pour des démarches très ciblées, avec un délai d’attente de cinq ans pour les demandes de logement, c’est un cap que tous ne sont pas forcément en mesure de franchir. Une réflexion est menée dans certains départements sur l’accompagnement des plus de 21 ans et la mise en place de structures intermédiaires paraît en effet appropriée pour ce public.

44 Centre Communal d’Action Sociale.

64 Une injonction forte à l’autonomie donc, pour les jeunes pris en charge dans les services de l’Aide Sociale à l’Enfance, d’autant plus difficile à vivre peut-être pour les Mineurs Non Accompagnés sous certains aspects. Nous constatons néanmoins combien ils sont capables de s’adapter non seulement à la société d’accueil, mais aussi aux exigences institutionnelles. Il aurait été intéressant de rencontrer davantage de jeunes ayant quitté l’Aide Sociale à l’Enfance pour recueillir le vécu de cette étape de transition et de leurs parcours post-institutionnels.

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

Les Mineurs Non accompagnés se confrontent dans la société d’accueil à des exigences élevées, souvent en décalage avec les pratiques rencontrées dans les pays d’origine. Les lois en matière de droit au séjour peuvent constituer un frein au processus d’installation. A l’inverse, le dispositif de protection de l’enfance, par son caractère exigent, favorise la concrétisation des projets en tendant vers l’autonomisation. Il se constitue en intermédiaire et en vecteur d’adaptation. Notre étude met en évidence combien les besoins et les possibilités des jeunes évoluent au fil de leur installation, d’où l’importance de leur proposer des prises en charge individualisées qui intègrent la notion de parcours.

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PARTIE 3 : UNE JEUNESSE DANS L’ENTRE-DEUX