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Chapitre IV : Stabilisation du laser MLLD par injection optique

IV.2 Injection du laser à verrouillage de mode assisté par un asservissement optoélectronique

IV.2.1 Généralités

La synchronisation des oscillateurs, c'est à dire la capacité qu'ont deux oscillateurs

couplés à présenter une relation de phase constante, est une propriété répandue, qui

apparait aussi bien dans les horloges biologiques [Goldstein 2009], les réactions chimiques

[Pikovsky 2001], les oscillateurs mécaniques ou électriques [Adler 1946], que dans les

lasers [Rosenblum 2003]. Le phénomène de couplage d’oscillateurs mécaniques a été

observé pour la première fois par Christian Huygens en 1665 qui constata la

synchronisation des balanciers de deux pendules accrochées de part et d’autre d’un mur

alors qu’elles ne fonctionnaient pas initialement à la même fréquence. Il en conclut que

les faibles vibrations mécaniques transmises à travers le mur suffisaient à synchroniser

les fréquences des deux horloges [Huygens 1893].

L’injection est un cas particulier du couplage entre oscillateurs. Le couplage est

alors unidirectionnelet le verrouillage par injection transfère les propriétés en phase de

l’oscillateur d’injection (oscillateur maitre) vers l’oscillateur injecté (oscillateur esclave).

Dans le cas des oscillateurs optiques (lasers) on parle d’injection optique. Les propriétés

de l’injection optique ont tout d’abord été établies à partir de résultats connus sur

l’injection dans les oscillateurs micro-ondes [Siegman 1986]. Les premières expériences

d’injection optique furent réalisées dans les lasers à gaz He-Ne par Stover [Stover 1966],

bien avant que la méthode ne soit généralisée aux lasers à semi-conducteurs [Kobayashi

1981, Kefelian 2005]. Le processus d’injection dans les lasers monomodes continus a été

largement étudié [Siegman 1986, Farinas 1995, Even 1997, Stephan 1998, Buczek 1973].

Une application fréquente de l’injection optique est le transfert de la pureté spectrale

d’un laser de faible puissance bien stable vers un laser de forte puissance [Barillet 1996].

Comme le montre la Fig. IV.1, le principe de l’injection optique repose sur

l’injection d’un premier laser dit maitre dans un second laser dit esclave, un isolateur

optique étant introduit entre ces deux lasers afin d’imposer un couplage unidirectionnel

en évitant que l’esclave ne puisse influencer le maitre. Dans le cas contraire on parle de

lasers couplés et non injectés [Blin 2003]. L’injection optique réalise le verrouillage de la

phase du laser injecté sur celle du laser maitre. Ce verrouillage ne se produit que si l’écart

de fréquences optiques entre le laser maitre et le laser libre (non injecté) reste inférieur à

une certaine valeur qui définit la largeur de la bande d’injection.

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Figure IV.1 : Principe d’une injection optique [Blin 2003].

L’injection optique des lasers à verrouillage des modes a également été étudiée. On

peut citer le verrouillage par injection d'harmoniques, dans lequel le verrouillage des

modes d'un laser à fibre à verrouillage de modes passif a été réalisé en injectant de la

lumière à partir d'un autre laser à verrouillage de modes [Margalit 1995]. Cependant,

l’injection par une source laser continue des lasers à verrouillage de modes a reçu moins

d’attention, sauf pour les lasers à semi-conducteurs. Dans ce cas, des résultats sont

rapportés dans la littérature sur l’injection optique de lasers à verrouillage de modes par

une source monofréquence [Arahira 2005, Quinlan 2007, Rebrova 2010, Sooudi 2011] ou

par une source bimode [Sooudi 2011, Ahmed 1996, Sooudi 2012], éventuellement

combinée avec un verrouillage des modes actif par une source RF externe [Sooudi 2013].

En 1946, Robert Adler a proposé une équation qui décrit la dynamique du

phénomène de verrouillage par injection dans les oscillateurs RF [Adler 1946]. Son

objectif était de trouver la relation entre les phases et les amplitudes de l’oscillateur

injecté et du signal externe ainsi que les conditions de synchronisation. Il souhaitait aussi

donner une image simple et claire du processus d’injection. Son modèle initialement

introduit pour décrire l’injection des oscillateurs RF s’applique, au moins en première

approximation, à tous les types d’oscillateurs, et en particulier aux oscillateurs lasers. Il

permet notamment de comprendre l’existence d’une bande d’injection au-delà de laquelle

le laser esclave décroche. Au cours de nos expériences, nous avons rencontré des difficultés

dues aux dérives en fréquence importantes de notre laser à verrouillage de modes qui

entrainaient des décrochages intempestifs. Pour remédier à ce problème, nous avons

introduit dans le montage un asservissement optoélectronique de la fréquence du laser

MLLD qui « assiste » l’injection, ce qui nous a permis d’assurer une injection stable sur

des durées de plusieurs centaines de secondes nous permettant de réaliser les mesures de

stabilité.

L’analyse du processus d’injection à partir du modèle simple de Adler permet de

comprendre le comportement du laser injecté et l’origine de ces décrochages. Le prochain

paragraphe introduit le modèle de Adler et donne quelques indications sur

l’asservissement mis en œuvre pour assurer une injection stable sur des durées suffisantes

pour réaliser les mesures de stabilités.

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IV.2.2 Le modèle d’Adler

La structure générale de l’oscillateur injecté envisagé par Adler est représentée en

Fig. IV.2 (a).

(a) (b)

Figure IV.2 : Modèle d’Adler. (a) Structure de l’oscillateur injecté. (b)

Diagramme de Fresnel représentant E1, E2 et Eg [Adler 1946].

L’oscillateur est constitué d’un amplificateur sélectif centré en Ω0 et d’une contre

réaction. Le point de fonctionnement stable de l’oscillateur correspond à un gain de

boucle égal à 1 (condition de Barkhausen). E2 est le signal délivré par l’oscillateur injecté

(l’oscillateur esclave), E1 le signal de perturbation (l’oscillateur maître) qu’on vient

ajouter au signal E2 à travers un circuit sommateur. L’évolution temporelle des signaux

E1 et E2 est représentée par le diagramme vectoriel de la Fig. IV.2 (b) où on prend

comme origine des phases le vecteur E1. E2 tourne par rapport à E1 à la vitesse 𝑑𝑑∆𝜑𝜑/𝑑𝑑𝜋𝜋,

Eg est le signal résultant de la somme de E1 et E2,, et ∆𝜑𝜑=𝜑𝜑2 − 𝜑𝜑1 représente la phase

relative du laser injecté, φ2 étant la phase du laser injecté et φ1 celle du laser maitre.

L’équation de Adler décrit la dynamique de l’oscillateur injecté moyennant les

deux hypothèses suivantes :

• Ω0/2Q >> ∆Ω0 où ∆Ω0 = Ω0 - Ω1 représente la différence de fréquence entre la

fréquence de l’oscillateur libre Ω0 et la fréquence du signal injecté Ω1 (fréquence

du battement non perturbé) et Q représente le facteur de qualité du circuit

résonnant de l’oscillateur esclave. Cette hypothèse suppose que la fréquence de

l’oscillateur maitre est très proche de celle de l’oscillateur esclave libre, plus

précisément que l’écart de fréquence doit être dans la bande passante de

l’amplificateur sélectif.

E1 << E2 le signal d’injection est de faible amplitude par rapport au signal délivré

par l’oscillateur esclave.

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Adler montre que lorsqu’un oscillateur libre E2 est perturbé par un signal extérieur

E1 selon la structure de la Fig. IV.2 (a), la dynamique de ce système est régi par

l’équation différentielle suivante (équation de Adler) :

𝑑𝑑

𝑑𝑑𝜋𝜋∆𝜑𝜑= −0

2𝑄𝑄

𝐸𝐸1

𝐸𝐸2𝑠𝑠𝑖𝑖𝑛𝑛∆𝜑𝜑+∆Ω0. (IV.2)

Puisque 𝑑𝑑∆𝜑𝜑/𝑑𝑑𝜋𝜋 représente l’écart de fréquence Ω2 - Ω1, l’équation peut se réécrire

Ω2 = −𝐵𝐵sin∆𝜑𝜑+Ω0 (IV.3)

avec B = Ω0E1/(2QE2). Cela signifie qu’à tout instant la fréquence instantanée de

l’oscillateur injecté Ω2 est décalée de sa fréquence libre Ω0 d’une quantité proportionnelle

au sinus du déphasage entre l’oscillateur et le signal extérieur.

On peut extraire l’expression de la plage de fréquence de verrouillage en considérant

l’équation de Adler (IV.2) en régime permanent (𝑑𝑑∆𝜑𝜑/𝑑𝑑𝜋𝜋= 0) où on a introduit B :

∆Ω0 = 𝐵𝐵𝑠𝑠𝑖𝑖𝑛𝑛∆𝜑𝜑. (IV.4)

La fonction 𝑠𝑠𝑖𝑖𝑛𝑛𝛼𝛼 étant bornée entre -1 et 1, le verrouillage n’est possible que si |∆Ω0| <

𝐵𝐵. C’est la condition d’injection de l’oscillateur. La phase relative et les fréquences des

deux oscillateurs sont alors verrouillées. Dans le cas contraire les deux oscillateurs ne

peuvent se synchroniser, et leur phase relative dérive indéfiniment au cours du temps.

Cela permet de fixer la plage de verrouillage qui dépend de l’amplitude du signal injecté

E1 (l’oscillateur maitre) et de la largeur de résonance de l’oscillateur non injecté qui vaut

Ω0/Q.

Il est remarquable que ce modèle très simple permet de donner une première

compréhension et une première analyse du fonctionnement de l’injection de tout type

d’oscillateur. En particulier, ce modèle développé dans le cadre des oscillateurs RF

s’applique aussi aux oscillateurs optiques [Barillet 1996, Siegman 1986].

A partir de ce modèle simple et d’après l’équation (IV.4) on conclut que le processus

de verrouillage du laser esclave est limité par la bande de verrouillage B. Notamment, si

la fréquence du laser non injecté dérive au cours du temps et sort des limites de cette

bande, le processus d’injection ne peut perdurer. Une solution efficace est de réaliser un

asservissement en phase du laser esclave sur le laser maitre [Man 1984, Barillet 1996].

Pour des questions de disponibilité de matériel, nous avons mis en place une autre

solution basée sur un asservissement en fréquence du laser MLLD sur la cavité confocale.

On montre dans le paragraphe suivant l’amélioration apportée par ce dispositif à la

stabilité de l’injection optique.

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IV.2.3 Analyse de l’asservissement

On rappelle l’équation d’Adler :

𝑑𝑑

𝑑𝑑𝜋𝜋∆𝜑𝜑= −𝐵𝐵𝑠𝑠𝑖𝑖𝑛𝑛∆𝜑𝜑+∆Ω0. (IV.5)

On peut la représenter par le schéma de la Fig. IV.3. On pose ∆Ω2 = 2− Ω1 =

𝑑𝑑

𝑑𝑑𝜋𝜋∆𝜑𝜑. On a 1 =𝑑𝑑𝜋𝜋𝑑𝑑 𝜑𝜑1et 2 = 𝑑𝑑𝜋𝜋𝑑𝑑 𝜑𝜑2. Dans notre cas, la pulsation du laser maitre Ω1 est

une constante ; on verra dans la suite du chapitre que la fréquence optique du laser

maitre sera verrouillée sur la référence optique à travers la cavité de transfert.

Figure IV.3 : Schéma représentatif de l’oscillateur injecté.

En régime stationnaire, ∆Ω0 et ∆φ sont constants ; 𝑑𝑑𝜋𝜋𝑑𝑑 ∆𝜑𝜑= 0, d’où Ω2 = Ω1. La

pulsation du laser injecté est alors rigoureusement égale à celle du laser maitre. Pour que

cela soit possible, il faut avoir sin(∆𝜑𝜑) =∆Ω0

𝐵𝐵 , ce qui impose |∆Ω0|≤ 𝐵𝐵 pour assurer

|sin∆𝜑𝜑|≤1 : la pulsation du laser libre Ω0 doit appartenir à l’intervalle [Ω1− 𝐵𝐵,Ω1+𝐵𝐵].

Le paramètre B représente donc la demi-largeur de la bande d’injection autour de Ω1. Le

déphasage (Fig. IV.4) est alors donné par : ∆𝜑𝜑 = arcsin (∆Ω0

𝐵𝐵 ).

Figure IV.4 : Déphasage ∆φ en fonction de ∆Ω0 en régime stationnaire.

arcsin(∆Ω0/B)

∆Ω0

B

0

- B

∆φ

π/2

− π/2

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Si lors de l’injection, la pulsation du laser libre est égale à celle du laser maitre

(∆Ω0 = 0), il n’apparait pas de déphasage entre le laser injecté et le laser maitre. Si elle

est différente (mais appartenant à la bande d’injection), il apparait un déphasage

d’autant plus important que |∆Ω0| est grand. Ce déphasage ne peut excéder ±π/2 : si

|∆Ω0| devient supérieur à B, il y a décrochage et le laser injecté n’est plus verrouillé en

phase sur le laser maitre.

En régime dynamique, ∆Ω0 évolue dans le temps et 𝑑𝑑𝜋𝜋𝑑𝑑 ∆𝜑𝜑 ≠0 ; le déphasage ∆φ

évolue au cours du temps. La pulsation du laser injecté n’est plus rigoureusement égale

à celle du laser maitre. En écrivant l’équation (IV.5) sous la forme ∆Ω2 =−𝐵𝐵𝑠𝑠𝑖𝑖𝑛𝑛∆𝜑𝜑+

∆Ω0on déduit que :

∆𝜑𝜑= 𝑃𝑃𝑟𝑟𝑎𝑎𝑠𝑠𝑖𝑖𝑛𝑛 �∆Ω0−∆Ω2

𝐵𝐵 �. (IV.6)

Le déphasage dépend maintenant aussi de ∆Ω2 et la condition qui détermine la

bande d’injection devient |∆Ω0− ∆Ω2|≤ 𝐵𝐵. Tant qu’elle est vérifiée, le point de

fonctionnement se déplace sur la courbe de la Fig. IV.4. Une analyse plus poussée de

l’équation d’Adler montre que ∆Ω2 reste en général négligeable devant ∆Ω0. Si on

suppose par exemple une dérive linéaire de la forme 0(𝜋𝜋) =Ω1 +𝜆𝜆𝜋𝜋, on trouve que ∆Ω2

et de l’ordre de λ/B, l’inverse du temps nécessaire pour que Ω0 « parcoure » la bande

d’injection. On a donc en général :

∆𝜑𝜑(𝜋𝜋)≈ 𝑃𝑃𝑟𝑟𝑎𝑎𝑠𝑠𝑖𝑖𝑛𝑛 �∆Ω0(𝜋𝜋)

𝐵𝐵 � (IV.7)

et la pulsation du laser injecté reste très proche de celle du laser maitre (Ω2 ≈Ω1). Sur

la Fig. IV.5 le point de fonctionnement se déplace sur la courbe et sa projection sur l’axe

des fréquences se déplace à la vitesse λ. Au bout du temps B/λ, il arrive à la limite de la

bande d’injection et on a décrochage.

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Figure IV.5 : Déphasage ∆φ en fonction de ∆Ω0 en régime dynamique.

L’asservissement que nous avons introduit génère un signal de correction qui pilote

la fréquence du laser MLLD à partir de l’écart de fréquence ∆Ω2. En pratique, on

détermine celui-ci par comparaison de la fréquence du laser injecté avec la fréquence d’un

mode d’une cavité référencée sur la référence optique et on agit sur le courant du laser

MLLD. Le montage expérimental sera présenté au paragraphe IV.4.2.

Le principe de l’asservissement peut être représenté par le schéma de la Fig. IV.6.

Un intégrateur de constante de temps 1/α génère une correction qui est soustraite à ∆Ω0

de manière à compenser ses dérives. La quantité ∆Г0 représente la pulsation qu’aurait le

laser libre en présence de l’asservissement.

Figure IV.6 : Schéma représentatif de l’oscillateur injecté assisté par

l’asservissement optoélectronique.

On déduit de la Fig. IV.6 les équations du système :

𝑑𝑑

𝑑𝑑𝜋𝜋∆𝜑𝜑=−𝐵𝐵sin∆𝜑𝜑+∆Г0 ,

𝑑𝑑

𝑑𝑑𝜋𝜋∆Г0 = 𝑑𝑑𝜋𝜋𝑑𝑑 ∆Ω0− 𝛼𝛼∆Ω2 . (IV.8)

∆Ω0

∆φ

π/2

− π/2

- B t = 0

t= B

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La première équation est l’équation de Adler dans laquelle la pulsation relative du

laser non injecté ∆Ω0 est remplacée par ∆Г0. La deuxième équation indique comment on

réalise ∆Г0 à partir du signal d’erreur ∆Ω0.

Supposons qu’à t = 0, on réalise l’injection lorsque la pulsation du laser libre

coïncide avec celle du laser d’injection. Le laser recopie la pulsation du laser maitre Ω1

et le point de fonctionnement se trouve à l’origine de la Fig. IV.5. Si à partir de cet

instant, la fréquence Ω0 présente une dérive linéaire (0(𝜋𝜋) =Ω1+𝜆𝜆𝜋𝜋), le point de

fonctionnement va se déplacer sur la courbe. La correction (terme -αΩ2 dans la deuxième

équation de (IV.8) ralentit le déplacement du point de fonctionnement, ce qui retarde le

décrochage, comme on l’observe expérimentalement.