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6. 1.1 Inhibition de la nitrification par les Poacées

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6.1 Discussion générale

Les savanes tropicales recouvrent environ 12-13% des terres émergées, et cependant le fonctionnement microbien fin de leurs sols (comprenant l’étude moléculaire de leur diversité fonctionnelle), notamment le cycle de l’azote (N), a été jusqu’ici très peu étudié (6 articles publiés à l’heure actuelle sur les gènes nitrifiants). Dans le cadre de ma thèse, j’ai cherché à étudier les interactions plantes-sols dans ces écosystèmes en prenant l’exemple de l’impact des plantes sur le cycle de l’N. J’ai aussi cherché à décrire l’impact des perturbations telles que la saisonnalité et le feu sur ces interactions plantes-sol. Ces résultats peuvent contribuer à expliquer la coexistence entre les Poacées et les arbres en savane (Boudsocq et al., 2012). Pour cela, j’ai cherché à répondre aux questions globales suivantes :

(1) Les espèces de Poacées dominantes de la savane de Lamto inhibent-elles globalement la

nitrification ?

(2) Les espèces d’arbres dominantes ont-elles une influence différente de celle des Poacées sur la

nitrification ? Stimulent-elles la nitrification ?

(3) La saisonnalité, le feu et le type de couvert végétal ont-ils un impact croisé sur le

fonctionnement des microorganismes du sol, notamment ceux impliqués dans le cycle de l’N ?

6. 1.1 Inhibition de la nitrification par les Poacées

Les Poacées dominantes de la savane de Lamto semblent, au final, toutes inhiber la nitrification. En effet, les résultats obtenus dans le Chapitre 3 ont permis de démontrer que le taux de nitrification sous ces Poacées était aussi faible que sous Hyparrhenia diplandra, sachant que des études précédentes avaient démontré la capacité d’inhiber la nitrification par cette espèce (Lata et al., 1999, 2000, 2004) et qu’elle a été également directement testée par Subbarao et al. pour cette capacité (Srikanthasamy et al., 2018). Dans les études correspondantes aux Chapitres 4 et 5, des parcelles sans Poacées ont été créées un an avant l’échantillonnage. On peut noter que le taux de nitrification des parcelles nues est significativement supérieur à celui sous les espèces de Poacée (dont Hyparrhenia diplandra). Ceci permet de confirmer la présence de l’inhibition de la nitrification, et ce quelle que soit la saison. Actuellement, plusieurs espèces de Poacées sont connues pour inhiber la nitrification (Coskun et al., 2017a; J. Lata et al., 2000; Subbarao et al., 2009), mais les molécules intervenant dans cette

inhibition ne sont pas toutes identifiées, et ces molécules inhibitrices peuvent jouer d’autres rôles chez la plante que l’inhibition de la nitrification. Par exemple, le Sorgoleone exsudé par les racines du sorgho est connu pour avoir un effet herbicide (Coskun et al., 2017b). De plus, les mécanismes d’inhibition de la nitrification ont été jusqu’à présent mal décrits (Subbarao et al., 2012). Un blocage d’une voie enzymatique a été mis en évidence, mais un blocage direct de l’expression des gènes de la nitrification chez les microorganismes reste possible, et certains de mes résultats (Chapitre 4) pourraient aller dans ce sens. Enfin, l’organisme modèle actuellement utilisé pour estimer le taux d’inhibition de la nitrification par Subbarao et al., (2009) est une bactérie nitrifiante, alors que des archées ont également cette capacité d’effectuer la nitrification. Mes résultats suggèrent fortement que l’Inhibition Biologique de la Nitrification (BNI) par les Poacées peut aussi inhiber la nitrification par les archées. La récente étude de Nuñez et al. (2018) suggère également qu’une étude de l’impact du BNI sur les archées semble nécessaire.

Un début de piste pour vérifier cet impact, en condition in vitro dans un premier temps, serait d’extraire les exsudats racinaires d’une Poacée inhibitrice (e.g. H. diplandra) en conditions d’hydroponie telles que pratiquées par Subbarao et al. (2009). Dans un deuxième temps, ces exsudats racinaires pourraient être mis en contact à différentes concentrations (pour se rapprocher des fluctuations en conditions in situ, e.g. en fonction des conditions d’activités saisonnières de la plante, et pour observer des effets seuils) avec des souches pures d’archées nitrifiantes (exemple Candidatus

Nitrosocosmicus franklandus, Lehtovirta-Morley et al. (2016)) puis de suivre leur activité et leur

croissance (Catão et al., 2017). Ce type d’expérience nous permettrait d’avoir un début de piste sur l’impact des molécules inhibitrices sur les archées nitrifiantes. Sachant que l’on ne dispose actuellement que de peu d’archées nitrifiantes cultivables (Lehtovirta-Morley et al., 2016), les résultats ne permettront cependant pas d’extrapoler immédiatement à toutes les archées nitrifiantes des sols, et en particulier des sols de savanes.

6.1.2 Stimulation de la nitrification par les arbres

Les espèces d’arbres dominantes à Lamto semblent toutes stimuler la nitrification. En effet dans le Chapitre 3, des taux de nitrification nettement supérieurs à ceux sous Poacées ont été mesurés. Les Chapitres 4 et 5 nous ont permis de confirmer cette hypothèse : le taux de nitrification sous les arbres est significativement supérieur à celui des sols des parcelles nues. Ainsi, mes résultats supportent l’hypothèse de la stimulation de la nitrification par les arbres. Une étude de Zhang et al. (2016) en zone tempérée, rapporte l’existence d’une stimulation de la nitrification par les arbres, mais peu d’études existent sur ce type de mécanisme en savane. Des études approfondies seront

Chapitre 6

169 nécessaires afin d’évaluer la généralité de cette stimulation de la nitrification par les arbres de savane, et pour analyser les mécanismes expliquant cette stimulation.

Deux types de mécanismes sont a priori possibles : (1) Les arbres peuvent stimuler spécifiquement la nitrification en stimulant les communautés nitrifiantes par des exsudats particuliers. (2) Le sol sous les arbres (et en particulier sous les bosquets d’arbres) est enrichi en matière organique, en N et en eau, ce qui pourrait favoriser les communautés nitrifiantes. Un fort taux de minéralisation sous les arbres a également été constaté à Lamto (Mordelet et al., 1993). Ceci peut s’expliquer par une plus grande humidité du sol et une concentration plus élevée en matière organique, permettant donc d’augmenter la disponibilité en ammonium via la minéralisation, et pouvant donc potentiellement favoriser la nitrification. De plus, à Lamto, une forte présence des termites dans l’environnement des arbres est souvent observée (Mordelet & Le Roux, 2006) : les arbres poussent en moyenne à proximité des buttes termitiques (Barot et al., 2005). Sachant que les termites sont connus pour favoriser la décomposition dans les savanes et les forêts tropicales (López-Hernández, 2001), on peut s’attendre ici à ce qu’ils rendent plus d’ammonium disponible. D’autre part, le taux de nitrification dans les termitières est plus élevé que loin des termitières (Abbadie, 2006). Des études complémentaires peuvent être envisagées en échantillonnant des arbres en présence et en absence de termitières.

A ce stade, mes données ne permettent pas de trancher entre les deux types de mécanismes pouvant expliquer la stimulation de la nitrification sous les arbres. Cependant, certains de mes résultats du Chapitre 4 montrent une augmentation des abondances microbiennes, aussi bien totales que des nitrifiants, sous les arbres par rapport au sol nu. Ils vont plutôt dans le sens d’une stimulation générale des microorganismes sous les arbres et pas d’une stimulation spécifique des nitrifiants, car on n’observe pas de différence sur les ratios AOA/archées totaux et AOB/bactéries totaux. L’effet d’une stimulation générale pourrait être vérifié par des expériences en microcosmes, en utilisant des sols n’ayant pas subi l’effet des arbres, comme le sol nu de savane. Il s’agirait de réaliser une incubation en microcosmes du sol nu, et de faire varier les apports en nutriment comme l’N, le carbone et la quantité d’eau jusqu’à atteindre les quantités présentes habituellement sous les arbres, puis au bout de plusieurs semaines d’incubation, de réaliser des mesures de nitrification et de quantifier les communautés microbiennes du sol, totales et nitrifiantes. Si la nitrification augmente lorsque l’apport en nutriment dans les sols augmente et que les microorganismes du sol suivent la même tendance, on pourra alors conclure à une stimulation générale des microorganismes par les arbres. Des analyses complémentaires pourraient inclure la présence de litière, et/ou de termites, dans les microcosmes.

6. 1.3 Impact global du couvert végétal sur les microorganismes et les