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Information et imperfections de marché

Gains d’un Put

Chapitre 6. La coordination entre acteurs économiques

2. Information et imperfections de marché

2.1. Le problème de l’information sur la qualité

En décrivant le mécanisme de coordination marchand, nous avons fait l’hypothèse que le consommateur potentiel connaissait parfaitement la qualité de la marchandise qu’il se propose d’acheter, si bien qu’il n’a besoin que d’une seule information : le prix, pour prendre sa décision d’achat. Cette hypothèse est indispensable au fonctionnement d’un marché. Or elle est loin d’être toujours vérifiée dans la réalité.

Dans un article célèbre "The market for lemons" (lemons en argot américain veut dire une voiture complètement pourrie), Akerlof a montré qu’une information symétrique entre vendeur et acheteur est nécessaire à l’existence même de transactions marchandes.

Supposons un vendeur de voitures d’occasion, qui connaît parfaitement la qualité des voitures qu’il a en stock, soit parce qu’il connaît leur histoire, soit parce qu’il les a examinées de manière approfondie. Il en connaît donc exactement la "valeur", par rapport à un véhicule neuf.

Dans son stock, il dispose de 5 voitures de même marque, modèle et ancienneté, dont les valeurs sont les suivantes :

− V1 : 1 000

− V2 : 700

− V3 : 500

− V4 : 0

− V5 : - 200

V4 tombera en panne définitive dès la première journée. Elle "vaut" donc 0. V5 est une voiture dangereuse, susceptible de provoquer un accident, d’où son prix négatif.

Les acheteurs quant à eux, n’ont qu’une idée de la qualité et donc de la valeur moyenne de ce type de voiture, valeur qui leur est fournie, par exemple, par des publications du type « Argus ».

Dans notre exemple, supposons que cette valeur soit 400, c’est-à-dire la valeur moyenne du stock que détient le vendeur (2 000/5 = 400).

L’acheteur rationnel, s’il veut un véhicule moyen, est donc prêt à l’acheter 400. Mais si l’on suppose que le vendeur cherche à maximiser son profit, à un acheteur prêt à payer 400, il ne vendra que V4 ou V5, c’est-à-dire un véhicule dont la valeur est inférieure à ce prix. Mais naturellement l’acheteur sait que le vendeur a de bonnes chances de se comporter ainsi et qu’il sera trompé sur la qualité.

Donc il n’achète pas et le marché ne peut fonctionner.

S’il ne peut fonctionner c’est que l’information sur la qualité des produits est asymétrique entre vendeur et acheteur. Le vendeur la connaît exactement, l’acheteur n’en a qu’une connaissance statistique.

On voit bien les moyens de sortir de ce dilemme et de faire fonctionner malgré tout un marché de voitures d’occasion. Ce sont les suivants :

− La construction d’une réputation des vendeurs par circulation de l’information entre acheteurs. Vous n’irez que chez un vendeur dont plusieurs acheteurs en qui vous avez confiance vous ont assurés qu’avec eux, il a été honnête. Mais cela reste encore fragile.

− La construction d’une réputation par un organisme indépendant, techniquement compétent, et dont l’objectivité ne fait pas de doute. Un organisme public ou privé peut ainsi décerner un

"label" aux vendeurs de qualité. C’est le rôle du guide Michelin pour les restaurants et les hôtels, car là aussi, il y existe, à l’évidence, un problème d’asymétrie d’information.

− L’achat, avec le produit, de l’information qui vous manque sur sa qualité. C’est le cas quand vous faites expertiser la voiture par un centre de Contrôle technique avant de l’acheter, ou quand vous demandez le certificat de conformité au vendeur qui l’aura fait établir et vous le fera payer. Le mécanisme de garantie est de ce type. En vous donnant une garantie de 6 mois, le vendeur vous vend une information sur la qualité.

Bref, il faut qu’une information sur la qualité du bien ou sur celle du vendeur soit produite avant l’achat pour tous les biens dont vous ne pouvez évaluer la qualité avant l’achat. Or cela est extrêmement fréquent dans la réalité.

Voici d’autres exemples d’asymétrie d’information.

Vous allez chez le dentiste pour une dent cariée et vous en ressortez avec une prothèse à 2000 €.

Etait-ce bien nécessaire ? Votre moteur chauffe et le garagiste affirme qu’il faut changer le joint de culasse. Qu’est-ce qui prouve que cela ne vient pas d’une simple durite ? Vous êtes sensible à la protection de l’environnement et vous êtes prêt à payer plus cher les produits "verts" et vous n’achetez que des produits "biologiques". Mais le sont-ils vraiment ? Vous êtes directeur du personnel d’une grande entreprise et vous engagez un(e) jeune polytechnicien(ne) sur la base de la réputation de cette Ecole, mais cette réputation n’est-elle pas exagérée et surtout celui (celle) que vous engagez n’est-il (elle) pas le (la) plus incapable de sa promotion pour les tâches que vous envisagez de lui confier ?

Tous ces exemples ont ceci de commun. Il manque à l’un des deux acteurs d’une transaction de l’information soit sur les choses, en particulier sur la qualité des biens, sur la nature exacte

2.2. Incertitude et contrats incomplets

Dans le fonctionnement d’un marché tel qu’il vient d’être décrit, le rapport entre acteurs est une

"transaction" simple, instantanée, éventuellement répétable, mais sans que cela crée le moindre lien durable entre acheteurs et vendeurs. Acheteurs et vendeurs sont parfaitement indifférents l’un à l’autre en ce sens que seules les intéressent les spécifications du bien et son prix.

Or dans le monde réel, de nombreuses transactions ont lieu dans le cadre de "contrats" qui organisent des transactions répétées, éventuellement portant sur des ensembles de biens et de services associés, pendant une durée plus ou moins longue. Dans le cadre d’un contrat, les parties prennent des engagements marchands pour l’avenir.

C’est le cas par exemple des contrats de sous-traitance entre deux firmes (un donneur d’ordre et un sous-traitant), ou des contrats de franchise entre une firme et un réseau de distributeurs exclusifs.

Les termes du contrat spécifient généralement comment doivent être tranchés des litiges pouvant survenir à propos d’une transaction dans le cadre du contrat. Mais un contrat ne peut jamais être « complet », c’est-à-dire prévoir tout ce qui pourrait se passer pendant la durée du contrat.

En cas d’évènement imprévu, l’une des deux parties peut se trouver en situation d’être contrainte par l’autre d’accepter une réduction des profits qu’elle espérait du contrat. Par exemple : un constructeur automobile passe un contrat avec un sous - traitant pour une pièce spécifique d’un modèle donné. Le contrat suppose évidemment des flexibilités quant aux quantités qui devront être livrées durant la durée de vie du modèle, car personne ne sait exactement ce que sera son succès. Supposons qu’un évènement imprévu fait que le modèle se vend extrêmement mal. Le constructeur est en position de force pour renégocier le contrat, car le sous traitant, pour fournir la pièce, a du faire des investissements spécifiques qui ne peuvent généralement pas être utilisés à autre chose. Si le sous-traitant refuse et va en justice, cette démarche aura également un coût pour lui.

En situation d’incertitude (c’est-à-dire d’information incomplète sur l’avenir), le caractère nécessairement incomplet des contrats donne donc également la possibilité à l’opportunisme des acteurs de s’exercer, ce qui a un coût, éventuellement très élevé, pour celui qui le subit.

Retenons de ceci que :

- Les prix fixés par les marchés sont loin d’être la seule information dont ont besoin les acteurs pour prendre des décisions.

- Le fonctionnement même des marchés exige la production et la circulation d’informations sur la "qualité" des biens et des acteurs.

- L’usage du marché comme mécanisme de coordination a donc un coût.

- Les coûts engendrés par l’usage des marchés sont appelés : « coûts de transaction » Ce coût est soit un coût de production et d’acquisition d’information, soit un coût engendré chez certains acteurs par le fait que leur information étant insuffisante, ils n’ont pas pris la "bonne décision", celle qu’ils auraient prise en information parfaite, et ont étés ainsi victimes de l’opportunisme d’autres acteurs.

C’est parce que l’usage du marché comme mécanisme de coordination engendre des coûts, pouvant être potentiellement si importants que le marché ne peut fonctionner, qu’il existe dans la réalité d’autres mécanismes de coordination.

La théorie économique explique leur existence par le fait que ce sont des mécanismes de coordination qui s’avèrent, dans certaines circonstances, moins coûteux que le marché. Il s’agit, à l’extrême opposé de la coordination marchande, de la coordination hiérarchique qui caractérise ce qui se passe à l’intérieur des entreprises. Entre pure transaction marchande et pure hiérarchie, on trouve des mécanismes de coordination de nature intermédiaire : les relations contractuelles.