• Aucun résultat trouvé

La coordination par le marché

Gains d’un Put

Chapitre 6. La coordination entre acteurs économiques

1. La coordination par le marché

En théorie économique, le marché est un mécanisme de coordination entre acteurs.

La nécessité de la coordination vient de ce que les acteurs prennent en permanence et en toute indépendance quantité de décisions - de consommation, de production, d’épargne - et que rien n’assure a priori que, par exemple, tout ce qui a été produit dans une période sera consommé dans cette période.

Comment se fait-il que l’extrême diversité et le très grand nombre d’acteurs prenant chacun quantité de décisions indépendantes ne conduisent pas, dans une société capitaliste, à un chaos total, à l’interruption des flux d’objets économiques, laissant chacun face à la nécessité de survivre seul dans une autarcie impossible ? La réponse est : la coordination marchande.

Un marché est un mécanisme qui assure la coordination entre acteurs en produisant une information particulière : un "prix", connu de tous, et qui est un signal suffisamment précis pour que chacun prenne des décisions qui s’avéreront compatibles avec les décisions prises par tous les autres.

Par exemple, à ce prix, la somme des quantités d’un bien produites dans une période donnée est exactement égale (à de petites variations de stocks près) à la somme des quantités consommées dans la période. Autre exemple : à un certain prix, le nombre d’actions d’Amazon que ceux qui en détiennent sont prêts à vendre dans la minute qui suit est exactement égal au nombre d’actions que des investisseurs sont prêts à acheter.

1.1. Fonction de demande et d’offre

Considérons un bien particulier parfaitement spécifié et dont la qualité est parfaitement connue des acheteurs potentiels. Plaçons-nous du côté des consommateurs potentiels de ce bien. En les interrogeant tous et en leur demandant : "à tel prix, quelle quantité êtes-vous prêt à acheter de ce bien ?", et en répétant la question pour une série (idéalement un continuum) de prix, on obtient

la "fonction de demande" de chaque consommateur. On peut agréger ces fonctions. On obtient ainsi une fonction de demande du bien : Q(p) : quantité demandée en fonction du prix.

Quelle est la forme de cette fonction. Pour la déterminer, il faut faire des hypothèses sur le comportement de cet acteur économique qu’est le consommateur.

Il existe n biens produits à la disposition des consommateurs. Chaque consommateur individuel se caractérise par une fonction d’utilité (on dit aussi de « bien être » ou de « satisfaction ») : Uj=Uj(q1,….,qi,……,qn)

Où les qi sont les quantités du bien i consommées.

On fait les hypothèses suivantes sur ces fonctions : - H1 : dU/dqk > 0, i =1,….n

- H2 : d2U/d2qi < 0, i =1,….,n, hypothèse qui traduit un phénomène de saturation : la seconde automobile procure moins d’utilité que la première et plus que la troisième.

On prête au consommateur le comportement suivant : - Max U

- Sous une contrainte de budget : R= Σ pi.qi, pi étant le prix du bien i, R étant le budget que le consommateur consacre à sa consommation totale.

La dérivation du lagrangien donne :

- dU/ dqi = λ pi : chaque consommateur compose son panier de bien de manière à ce que l’utilité marginale de chaque bien soit proportionnelle à son prix.

Il en résulte que si un prix pi baisse, chaque consommateur consommera plus du bien i, jusqu’à ce que son utilité marginale pour ce bien (décroissante avec la quantité consommée en raison de l’hypothèse 2 ci-dessus) ai baissé en proportion.

La courbe de demande de chaque consommateur : qj,i (pi) est donc décroissante.

En agrégeant la demande de tous les consommateurs, on obtient la courbe de demande pour le bien. Elle est décroissante, ce qui est intuitif, du moins pour les biens « ordinaires ».

D

Q

Fonction de demande d'un bien P

Réciproquement, on peut interroger les producteurs et leur demander pour chaque prix quelle quantité ils sont prêts à produire. On obtient la fonction d’offre du bien. On la supposera ici croissante. Mais elle peut être aussi bien constante, voire décroissante, on verra pourquoi au plus loin.

O

Q Fonction d'offre du bien Q P

1.2. Le fonctionnement de la coordination par les prix

Si un individu, une sorte de "commissaire-priseur" par exemple, peut rassembler toutes ces informations, il est capable de déterminer le "prix d’équilibre" de ce marché, celui auquel ce que les producteurs sont prêts à produire égale exactement ce que les consommateurs sont prêts à consommer.

En affichant ce prix, il peut s’engager à acheter toute la production à ce prix car il sait qu’il pourra la revendre instantanément à ce prix. L’affichage du prix d’équilibre et la garantie donnée que toute la production offerte à ce prix sera achetée et toutes les demandes à ce prix servies est le signal qui provoque des actions compatibles entre la multitude des producteurs et des consommateurs.

1.2.1. Les bourses

De fait, rares sont les marchés qui fonctionnent réellement comme cela, avec un acteur particulier qui construit les courbes d’offre et de demande et détermine le prix d’équilibre, mais ils existent : ce sont les bourses. Par exemple, c’est ainsi que fonctionnent les bourses de commerce de commodités (marchandises standardisées comme les lingots de cuivre, le blé, etc.) ou les bourses de valeurs mobilières (actions émises par des entreprises). Dans ce cas, une institution, souvent appelée "chambre de compensation" joue le rôle de notre individu : elle propose des prix, compare les offres et demandes à ces prix formulées par un petit nombre de

"brokers" agréés par elle, qui eux-mêmes rassemblent les offres et demandes de leurs nombreux clients, fixe le prix d’équilibre et réalise alors la totalité des transactions à ce prix en achetant aux vendeurs et en vendant aux acheteurs. Naturellement elle se fait payer pour ce service et il y a donc une toute petite différence entre prix vendeur et acheteur.

1.2.2. Les marchés de biens manufacturés

Reste que la plupart des marchés, en particulier les marchés de biens, ne fonctionnent pas du tout comme cela. Prenons un bien quelconque de consommation finale courante vendu dans les supermarchés. D’abord il s’agit de biens "différenciés" et non standardisés et de qualité unique.

Chaque "marque" va d’abord tenter de convaincre, par de la publicité, que son produit présente des qualités supérieures à ceux de ses concurrents, et justifie une différence de prix positive par rapport à eux. Mais si les produits sont qualitativement très proches, on aura un ensemble de prix très rapprochés.

Ce sont donc les marques qui fixent leurs prix, en surveillant évidemment ceux de la concurrence. Supposons qu’à un ensemble de prix fixé, les consommateurs ne sont subitement plus prêts à acheter tout ce que les différentes marques ont produit et espèrent vendre à ce prix.

Les producteurs ne s’en aperçoivent pas tout de suite et continuent de produire les quantités habituelles. Les stocks s’accumulent chez les détaillants, qui réduisent leurs commandes et donc les stocks commencent de s’accumuler chez les producteurs aussi.

Dans ces conditions, au moins un producteur baissera ses prix pour tenter d’écouler ses stocks au détriment de ses concurrents. Mais naturellement les autres vont être obligés de suivre. Parmi eux, les moins efficaces (ceux dont les coûts de production sont les plus élevés) trouveront

retrouver son "équilibre" à un prix inférieur.

Réciproquement, supposons que pour une raison quelconque (effet de mode par exemple, engendrant des comportements d’achats mimétiques), la consommation à un prix donné augmente brusquement. Les étagères vont se vider, puis les stocks des distributeurs, puis les stocks des fabricants. Il se peut que certains consommateurs ne puissent se procurer le bien, et doivent attendre. En effet les fabricants ne vont pas tarder à réapprovisionner les distributeurs, mais cela prend un certain temps et de plus, ils vont en profiter pour augmenter leurs prix, puisque le produit se "vend bien". Ceci incite chacun à augmenter sa production, et éventuellement de nouveaux producteurs à entrer dans cette industrie. La production augmente, tandis que la hausse des prix a pu modérer quelque peu la frénésie de consommation. Un nouvel équilibre entre production et consommation, avec des niveaux de stocks stables, s’établit à un prix supérieur.

Le processus de coordination marchande est dans ce cas décentralisé, il fonctionne par tâtonnements successifs, les "signaux" sur lesquels se fondent les acteurs pour modifier leurs actions (de production ou de consommation) sont non seulement "les" prix, mais aussi les stocks et/ou les files d’attente.

Mais le principe général reste le même, des variations de prix modifient les décisions de production et de consommation (ou pour les titres les décisions d’achat et de vente) de manière à rétablir une égalité entre elles lorsque cette égalité a été rompue pour une raison quelconque.

1.3. Rationnement et flexibilité des prix

Remarquons cependant que dans cet exemple, il y a en fait deux mécanismes de coordination à l’œuvre. D’abord des phénomènes de rationnement : une production réalisée n’arrive pas à se vendre ou des consommateurs n’arrivent pas à trouver un bien qu’ils sont pourtant prêts à acheter à son prix, puis un ajustement des prix qui rééquilibre production et consommation. On peut généraliser.

Il existe donc en fait deux manières polaires de réduction des déséquilibres entre offre et demande sur un marché : la variation des prix, qui modifie les offres et les demandes, et le rationnement, qui fait qu’une partie des offres (ou demandes) ne sont pas satisfaites, sans pour autant que les prix aient bougés.

Dans la réalité, c’est rarement tout l’un (mais cela peut se trouver, par exemple les bourses fonctionnent de façon quasi pure par des variations de prix) ou tout l’autre. On a le plus souvent affaire à une combinaison des deux, à la fois diachronique (les deux en même temps) et surtout

synchronique : rationnement d’abord, puis au fur et à mesure qu’il y a prise de conscience des déséquilibres, ajustement des prix. Ceci suppose que les prix soient flexibles, c’est-à-dire qu’ils puissent varier à la hausse et à la baisse. S’ils ne sont pas flexibles, les situations de rationnement, en particulier les files d’attente, peuvent être durables.

1.4. Plan et marchés

Dans les années 20 s’est développée une vaste controverse économique sur les mérites respectifs du plan et des marchés, puisque l’URSS était en train de consolider un système de coordination de la production différent de celui des économies socialistes de marché. Une autre manière de coordonner les activités humaines de production et de répartition de richesse est en effet la planification. Il suffit qu’un organisme, le Plan, rassemble toutes les informations sur les fonctions d’utilité des consommateurs, les capacités de production et les coûts de toutes les unités productive, pour pouvoir, après des calculs éventuellement lourds, réaliser la coordination entre toutes les unités de production sous forme de directives précises adressées à chacune et satisfaire au mieux les consommateurs en leur livrant directement ce qu’ils souhaitent.

Dans le débat, les protagonistes (partisans des marchés comme du plan) reconnurent très facilement qu’une coordination réalisée par une planification parfaite aboutirait exactement au même résultat que le fonctionnement parfait d’un ensemble de marchés décentralisés. Le débat, du moins dans sa dimension technique, s’est focalisé sur les propriétés informationnelles des deux systèmes.

Hayek, en particulier (un économiste libéral de l’Ecole autrichienne) affirma que la supériorité du marché résidait dans l’extraordinaire économie d’informations qu’il permettait par rapport à la planification.

Pour lui, un système de marché réussit à coordonner les activités de millions d’acteurs simplement en produisant des prix de marché, une quantité d’information très inférieure à celle que la planification devrait produire pour prétendre atteindre la même efficacité.

Néanmoins, dans les systèmes de marchés existants, l’information est loin d’être aussi parfaite que nous l’avons supposé en en décrivant ci dessus les mécanismes. D’où l’existence d’un