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1.2 L’influence, les pouvoirs, les enjeux

1.2.2 Influencer pour inciter à consommer

SI les publicitaires dépensent des sommes considérables pour acquérir des durées et des moments d’antenne, c’est qu’ils sont persuadés que la télévision influe sur les comportements d’achat. Les temps d’antenne et leur place sur la grille des programmes font l’objet de discussions âpres entre les publicitaires et les chaînes, dont les programmes sont en partie financés par les recettes publicitaires.

Les publicitaires se sont donc intéressés aux consommateurs potentiels : comment utiliser la télévision pour influencer les comportements d’achat ? Selon une étude de l’Institut Français d’Opinion Publique (IFOP, 2009), il faudrait, pour influencer dans le domaine de la consommation, informer, donner confiance et donner envie. Pour agir sur le conscient et/ou l’inconscient, la publicité télévisée tend à associer, dans des séquences de courte durée, le produit à des images agréables ou à des activités effectuées par des modèles auxquels les spectateurs auront envie de s’identifier, se référant aux valeurs communément admises dans le public considéré. Celui-ci peut être atteint même s’il n’est pas centré sur son écran. Shapiro (1999, cité par Courbet et Fourquet, 2003), a ainsi montré comment le téléspectateur est, à son insu – lorsqu’il se trouve à proximité d’un récepteur allumé, mais occupé à d’autres tâches – influencé par les messages publicitaires : s’il a entendu présenter tel objet ou telle marque, même simplement en fond sonore, il ne s’en souviendra généralement pas consciemment. Néanmoins, ultérieurement, il tendra à leur attribuer d’emblée une appréciation plus favorable qu’à un objet ou une marque qui ne lui auront jamais été présentés. L’influence, ici, vise à séduire un téléspectateur conscient ou non, pour vendre. Mais se limite-t-elle à la consommation et aux écrans publicitaires ? D’autres messages ne peuvent-ils pas être entendus dans d’autres domaines, même si l’attention est diffuse ?

Lorsque l’intention d’influencer existe, elle se manifeste sous diverses formes. La publicité directe se présente, visible, à la télévision sous forme de spots. Mais elle peut se montrer plus insidieuse : au cours du déroulement des séries, des émissions sportives, des jeux, etc., on peut entrevoir les marques de certains produits (chaussures, ordinateurs, voitures, etc.). Elle peut aussi prendre la forme du sponsoring ou parrainage : ouvert à tous les secteurs, non limité dans le temps, le parrainage télévisuel donne à l’annonceur l’occasion d’associer son nom à un programme télévisé et la possibilité de choisir entre différents types de parrainages et de programmes. Or, nous venons de voir que le seul fait d’apercevoir une marque tend à lui valoir une appréciation positive. L’incitation indirecte à la consommation est également présente dans les dessins animés, en dehors même des écrans publicitaires qui les encadrent : les jeunes et belles héroïnes du dessin animé « Totally Spies »7 par exemple, dès qu’elles sortent de leur activité d’agents secrets se précipitent au centre commercial pour faire du shopping. Cette attitude est relayée par la publicité, directe cette fois, pour les nombreux produits dérivés : des poupées, des DVD, des jeux vidéo ou de société, des magazines, des vêtements, des mallettes de maquillage, etc., que les jeunes téléspectatrices (beaucoup de dessins animés sont ciblés à destination soit des filles soit des garçons, de même que les publicités qui les accompagnent) sont ensuite invitées à acheter.

Marchand (2004) commente ce phénomène en précisant que « … la télévision a moins d’impact que ce qui est généralement supposé dans les domaines directement construits pour être persuasifs, comme la publicité ou les campagnes politiques » (p.29). En particulier à cause d’un phénomène que Brehm (1966, cité par Marchand) a appelé « réactance », à savoir « notre tendance à chercher à préserver intact notre sentiment de liberté » (p.97). Cette constatation peut s’observer dans les expériences de psychologie sociale, où l’on montre que le meilleur argument pour pousser des personnes à agir dans le sens que l’on souhaite consiste à leur dire qu’ils sont libres (Joule et Beauvois, 1998). C’est d’ailleurs un procédé repris par certaines publicités, allant jusqu’à appeler un produit « A ma guise ».

Qu’en est-il donc de l’impact dans les domaines qui ne semblent pas, de prime abord, conçus pour être persuasifs ? Beauvois (2005) l’étudie dans un ouvrage polémique, sous-titré « Petit traité des grandes illusions ». Il illustre son propos dès la couverture par une reproduction du

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Totally Spies! ou Espionnes de choc (2001) : dessin animé français de Vincent Chalvon-Demersay, David Michel et Gil Formosa , http://video.google.com/videoplay?docid=-7011105568564765817#

« Jardin des délices » de Jérôme Bosch : des hommes enchaînés à des instruments de musique et tourmentés par des démons. Peut-on y voir les accents harmonieux des media pour asservir leur auditoire ? Ces media sont vus par lui comme des dispensateurs d’une « propagande glauque », qu’il définit comme « …une dissémination d’idées, d’opinions et d’affects dans une population en dehors du débat public, dissémination qui s’opère par l’usage de techniques scientifiquement éprouvées réalisant des influences inconscientes. L’absence d’argumentation des idées et opinions disséminées est une condition de son efficacité. » (p.208). Pour lui, les individus n’ont plus confiance dans des instances qui chercheraient à les former ou à les informer. Se défiant des influences s’affichant comme telles, ils n’en seraient que plus perméables à cette « propagande glauque », qu’ils absorberaient puis s’incorporeraient inconsciemment. Il se réfère à Herman et Chomsky (1988), pour qui :

les mass media sont un système de messages et de communication au plus grand nombre. Leur rôle consiste à divertir et informer les individus en leur inculquant les valeurs, les croyances et les codes de conduite qui faciliteront leur intégration sociale. Dans un monde de concentration des richesses et de conflits d’intérêts de classe, cela exige un recours systématique à la propagande. (p.161)

Marchand (2004) ne semble pas éloigné de cette position lorsqu’il distingue, à propos de la violence médiatique, un double niveau : celui, explicite, des images montrées et celui, plus insidieux, de leur mises en scène. Ses observations suscitent de nombreuses questions : Qui est violent ? Y a-t-il une violence présentée comme légitime qui serait exercée par certaines personnes ? Lesquelles ? Comment présente-t-on ceux qui représentent le pouvoir légitime ? On pourrait se demander aussi quelles personnes sont sanctionnées pour leur violence. Et élargir ce questionnement bien au-delà du thème de la violence.