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La température de transition vitreuse est l’une des propriétés physiques les plus importantes dans l’évaluation de la viabilité d’un verre de conditionnement de déchets nucléaires. En premier lieu, la température de transition vitreuse d’un verre (Tg) conditionne la température nécessaire au processus de vitrification. Mais plus important encore, la Tg doit être suffisamment élevée pour prévenir toute dévitrification, conséquence de la nature exothermique des désintégrations des radionucléides présents dans le verre (Ewing et al. 1995, Weber et al. 1997, Maji et al. 2016).

La Tg est dépendante de la viscosité. Tg peut être définie par la température à laquelle le log de la viscosité est de 12 Pa.s (Dingwell & Webb 1990, Moynihan 1995). La Tg est également dépendante de paramètres cinétiques et thermodynamiques, comme la vitesse de trempe (Moynihan et al. 1976, Dingwell & Webb 1990, Moynihan 1995). Pour une vitesse de trempe donnée, la Tg dépend de la composition. Dans le cas des borosilicates, la Tg est contrôlée par plusieurs paramètres compositionnels : les ratios R (Na2O/B2O3) et K (SiO2/B2O3, Boekenhauer et al. 1994, Avramov et al. 2005); la teneur en Al2O3 (Maji et al. 2016) ; ainsi que des cations non formateurs de réseau présents dans la composition (Mazurin et al. 1983, Neyret et al. 2015, Maji et al. 2016, Shih & Jean 2017).

La présence d’éléments volatils a une influence sur la Tg des verres. La présence d’H2O dans un verre diminue fortement la Tg (e.g. Whittington et al. 2001, Deubener et al. 2003, Giordano et al. 2005, Behrens et al. 2018) tandis que le CO2 n’abaisse que faiblement la Tg (Morizet et al. 2017). Les halogènes sont connus pour abaisser la viscosité et Tg, notamment le fluor (Dingwell et al. 1985, Dingwell & Hess 1998, Zimova & Webb 2006, 2007, Baasner et al. 2013), mais aussi le chlore, qui est utilisé comme agent d’affinage dans les processus de vitrification (Dalton 1935, Volf 1986, Sandland et al. 2004, Zimova & Webb 2006, 2007, Evans et al. 2008, Zhao et al. 2019). L’iode fut envisagé comme agent d’affinage, au même titre que le chlore (Dalton 1935, Volf 1986, Hrma 2010). Une seule étude récente montre que l’iode abaisse la Tg dans les verres borosilicatés, pour une large gamme de ratios K (Grousset 2016, Cicconi et al. 2020). Les connaissances actuelles sur l’influence de l’iode sur la Tg sont donc assez limitées, et ne s’étendent pas encore aux verres nucléaires.

Les variations de Tg dans les verres se traduisent par des modifications structurales à l’échelle microscopique. Dans les verres silicatés, la Tg est directement corrélée au degré de polymérisation, et donc au NBO/T (Giordano & Russell 2007, Giordano et al. 2008, McMillan & Wilding 2009). Dans les verres borosilicatés, le comportement de Tg est plus complexe que dans les verres silicatés, car il est dépendant de l’interconnexion des unités boratées et silicatées, ainsi que de la proportion d’unité BO4 (Dell et al. 1983, Wang & Stebbins 1999, McKeown et al. 2000, Du and Stebbins 2005, Holland et al. 2007, Angeli et al. 2008, Smedskjaer et al. 2011, Holbrook et al. 2014). En ponctionnant les cations non formateurs de réseau, l’iode modifie indirectement les unités structurales formatrices. En conséquence, la Tg devrait varier avec l’incorporation de l’iode dans le réseau.

La figure 4.15 présente des courbes DSC obtenues sur plusieurs échantillons de verres haute pression dopés en iode. La Tg obtenue par la méthode des deux tangentes est représentée sur chaque courbe par un point gris. Les valeurs de Tg sont reportées dans le tableau 4.5. L’erreur associée aux valeurs de Tg est de ±7°C. On considère ici que les variations de conditions thermodynamiques sont négligeables, car la vitesse de trempe ne varie pas significativement entre les expériences (~90°C/s). La Tg varie fortement entre la composition ISG (>570°C), et la composition NH (>500°C, figure 4.15, tableau 4.5). La Tg obtenue pour le verre ISG de départ est de 570°C, ce qui est cohérent avec les données de la littérature, situées entre 570 et 577°C (Gong et al. 2015, Guerette and Huang 2015, Kaspar et al. 2019).

On voit sur la figure 4.15 que l’ajout d’iode dans le verre fait décroitre Tg dans la composition ISG. Par exemple, les échantillons dopés en iode ISG 21-2 et ISG 13 (0.7 et 0.9 mol.% I respectivement) ont des Tg de 550 et 558°C, contre 570°C pour le verre de départ, et 578°C pour le verre sous pression ISG 22 I-free (figure 4.15, tableau 4.5). Le verre ISG 22-2 dopé à 1.2 mol.% d’iode a une Tg de 518°C à la même pression que l’échantillon ISG 22 I-free (tableau 4.5), ce qui confirme également que l’iode abaisse la Tg du verre ISG.

Le même comportement est observé pour le verre NH, dont Tg diminue avec la teneur en iode. Cependant, l’écart entre la Tg des verres sans iode et des verres dopés en iode est plus faible que pour les échantillons ISG. Par exemple, les échantillons NH 22 I-free et NH 22-2 (2 mol.% I), tous deux synthétisés à 1 GPa, ont des Tg de 494°C et 471°C, soit un écart deux fois moindre qu’entre ISG 22 I-free et ISG 22-2 (tableau 4.5, figure 4.16).

Figure 4.15 : Flux de chaleur en fonction de la température pour des verres haute pression et dopés en iode. Les

courbes ont été lissées. La Tg est représentée par un point gris sur chaque courbe. Tg varie en fonction de la

composition et de la teneur en iode.

F lu x d e ch al eu r (m W ) Tg mol.% I 0.7 0 2.0 2.5 0.9 ISG 21-2 ISG 22 I-free ISG 13 NH 23-2 NH 22-2

Tableau 4.5 : Résultats des expériences DSC.

Sample Name T P I content Tg N4a

°C GPa mol.% °C ISG - - - 570.0 0.50 ISG 12 1300 1 1.0 (0.3) 548.3 0.48 ISG 13 1300 1.5 0.9 (0.2) 557.7 ISG 21-1 1400 0.5 0.9 (0.1) 539.9 0.47 ISG 21-2 1400 0.5 0.7 (0.2) 549.5 ISG 22 I-free 1400 1 - 578.4 0.51 ISG 22-1 1400 1 1.0 (0.2) 557.0 ISG 22-2 1400 1 1.2 (0.2) 518.0 ISG 31 1500 0.5 0.8 (0.1) 482.2 ISG 32-2 1500 1 0.9 (0.2) 493.4 ISG 33-2 1500 1.5 0.9 (0.1) 506.8 NH - - - 504.0 0.37 NH 21-2 1400 1.5 1.7 (0.1) 470.0 NH 22 I-free 1400 1 - 493.8 0.41 NH 22-1 1400 1 1.0 (0.1) 493.4 0.42 NH 22-2 1400 1 2.0 (0.3) 470.5 0.44 NH 23 I-free 1400 1.5 - 490.9 0.41 NH 23-1 1400 1.5 1.9 (0.3) 492.5 0.45 NH 23-2 1400 1.5 2.5 (0.2) 479.8 0.45

a Les valeurs de N4 ont été calculées à partir des simulations des spectres RMN du 11B, et proviennent du tableau 4.4.

L’évolution de la Tg en fonction de la teneur en iode est représentée sur la figure 4.16. Il y a un écart très marqué entre la tendance de la Tg en fonction de la teneur en iode entre les compositions ISG et NH. La baisse de la Tg en fonction de la teneur en iode a été simulée à partir de deux fonctions affines, sans prendre en compte la Tg des verres de départ. La pente de la tendance pour ISG est de -38.1°C par mole d’iode incorporé, contre -6.7°C par mole d’iode pour NH (figure 4.16). En considérant que l’iode est incorporé dans des environnements similaires entre ISG et NH (i.e. sous forme I- au voisinage de cations non formateurs de réseau), il apparait clairement que les modifications structurales conséquentes de l’incorporation de l’iode sont à l’origine de ces écarts de pente.

Figure 4.16 : Évolution de la Tg en fonction de la teneur en iode dans les verres ISG et NH. L’augmentation de la

teneur en iode abaisse la Tg pour les deux compositions. Les tendances représentées ne tiennent pas compte des

verres de départ (en blanc), ceux-ci ayant été synthétisés dans des conditions différentes des verres haute pression.

La baisse de Tg avec la teneur en iode est bien plus marquée pour les échantillons ISG que pour les échantillons

NH.

La figure 4.17 présente l’évolution de la Tg en fonction du N4 pour les verres ISG et NH. Pour les deux compositions, la Tg décroit clairement, en fonction de la teneur en iode. Toutefois, la décroissance de Tg en fonction du N4 est bien plus marquée pour la composition ISG que pour la composition NH car ce dernier polymérise sous l’effet de l’iode (figure 4.17). En effet, l’influence moins marquée de l’iode sur la Tg dans la composition NH, comparé à la composition ISG, est due à un effet de compétition entre la baisse de la viscosité provoquée par l’iode, et son effet sur l’état de polymérisation du réseau (figures 4.16 & 4.17).

Pente ~ - 6.7 °C/mol.% I

Pen

te ~

- 38.1

°C/m

ol.%

I

Pristine Pristine

Figure 4.17 : Comportement de la Tg en fonction du N4 (déterminé par RMN MAS du 11B tableau 4.4 & 4.5). La différence de comportement entre les verres ISG et NH est due à l’action de l’iode sur l’état de polymérisation du réseau : le réseau polymérise sous l’effet de l’iode, et inversement pour ISG.

La Tg est fonction de la composition du verre et des arrangements structuraux dans les verres silicatés et borosilicatés (Sen 1999, Wu & Stebbins 2010, Smedskjaer et al. 2011, Angeli et al. 2012); en particulier, une augmentation du N4 est corrélée à une augmentation de la Tg. Cela est dû au fait que les unités BO4 sont les unités boratées les plus connectées dans le réseau, s’entourant uniquement d’oxygènes pontants (Smith 1986, Angeli et al. 2010).

Dans le verre ISG, l’incorporation d’iode dans le réseau induit une dépolymérisation, car l’iode est en compétition avec les unités BO4 pour obtenir l’utilisation des cations compensateurs de charges (Na+), ce qui se traduit par une baisse du N4 avec la teneur en iode (figures 4.13 & 4.17). La dépolymérisation du réseau a pour conséquence une baisse de la viscosité dans la composition ISG (les unités BO3 sont moins connectées que les unités BO4). Cet effet indirect est accompagné d’une baisse de la viscosité directement liée à l’incorporation de l’iode dans le réseau. Cela explique la forte diminution de la Tg d’ISG avec la teneur en iode (figure 4.16).

mol

.% I

augm

ente

mol.%

I aug

mente

L’effet de l’iode sur le réseau du verre NH est à l’opposé de son effet dans le verre ISG (figures 4.13 & 4.17) : l’iode ponctionne les cations non formateurs de réseau en excès, précédemment employés à dépolymériser le réseau, l’iode provoque la polymérisation du réseau du verre NH, ce qui s’observe par une augmentation du N4 avec la teneur en iode (figures 4.13 & 4.17). La hausse du N4 dans NH a pour effet d’augmenter la viscosité (Smedskjaer et al. 2011). Cet effet s’oppose à la diminution de la Tg induite directement par l’iode, ce qui se traduit par une diminution plus faible de la Tg en fonction de la teneur en iode pour la composition NH que pour la composition ISG (figure 4.17).

Il est encore trop tôt pour départager et simuler le comportement de Tg en fonction de la teneur en iode dans un verre en fonction de sa composition. En effet l’évolution de la Tg est dépendante de l’évolution de l’état de polymérisation du réseau. S’il est certain que l’iode abaisse la Tg dans les verres, la variation de la Tg en fonction de l’état de polymérisation est encore trop mal connue pour séparer ces deux effets. De plus, seule l’espèce I- est présente dans les verres testés ici (et I0 en faibles concentrations), il est possible que l’iode sous sa forme I5+ ait un effet différent sur la Tg.

Cette partie a fait l’objet d’une publication dans Journal of the American Ceramic Society (Jolivet et al. 2020).

L’iode abaisse la température de transition vitreuse (Tg) dans les verres polymérisés comme ISG et dépolymérisés comme NH.

La dépolymérisation du réseau d’ISG provoquée de manière indirecte par l’incorporation d’iode dans le réseau induit une chute de la viscosité, qui s’ajoute à l’effet de l’iode sur la Tg. La chute de la Tg pour la composition ISG est de l’ordre de -38.1°C par mole d’iode incorporé.

À l’inverse, l’incorporation d’iode dans le réseau du verre NH s’accompagne d’une polymérisation du réseau, qui augmente la viscosité. L’augmentation de la viscosité du verre NH en fonction de la teneur en iode s’oppose à l’effet direct de l’iode sur la Tg. Il en résulte une baisse de Tg moins marquée pour la composition NH que pour la composition ISG, de l’ordre de -6.7°C par mole d’iode incorporé.