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Influence du phonogenre sur la réalisation

Chapitre 3 : Réalisation prosodique des fonctions de la focalisation

4. Etude de production

4.4. Discussion

4.4.3. Influence du phonogenre sur la réalisation

Avant de répondre à la seconde question de recherche, nous reprenons tout d’abord les différences de fréquence d’occurrence concernant chaque fonction selon le phonogenre (cf Tableau 21) :

- La majorité (68,8%) des occurrences d’emphase se trouvent en parole interprétée57. Ce résultat est cohérent avec l’intuition courante selon laquelle la parole interprétée se caractérise par une forte expressivité. Dans l’étude précédente (cf chap. 2 § 5.2), nous avons observé que la parole interprétée contient une fréquence d’occurrence de focalisation plus élevée que les deux autres phonogenres, ce qui va également dans le sens

57 Nous avons employé une régression logistique afin de tester la significativité de l’effet du phonogenre sur la présence d’emphase. La variable dépendante est la présence d’emphase sur la syllabe focalisée, la variable fixe est le phonogenre, et la variable aléatoire est le locuteur. L’effet est significatif (χ²(2) = 88,1, p < 0,001). Les occurrences d’emphase sont significativement plus nombreuses en parole interprétée qu’en parole lue (z = 8,004, p < 0,001) et qu’en parole spontanée (z = 2,885, p < 0,01). La différence entre la parole lue et la parole spontanée n’est pas significative (z = 0,340, p > 0,1).

de cette intuition. De plus, le fait que la parole interprétée contienne la majorité des occurrences d’emphase suggère qu’il s’agit d’un phonogenre favorable à l’étude de cet ensemble de fonctions.

- La majorité (74,5%) des occurrences de marquage de focus se trouvent en parole lue. Cependant, la différence est significative par rapport à la parole interprétée uniquement58. Contrairement au résultat précédent, ce résultat suggère que la parole interprétée est un phonogenre moins favorable à l’étude du marquage de focus que la parole lue.

La seconde question de recherche de cette analyse concerne l’influence du phonogenre sur la réalisation prosodique des fonctions attribuées à la focalisation. Les différences observées concernent la hauteur (cf Figure 39) et la durée syllabique (cf Figure 41) :

- Concernant la hauteur, des différences numériques sont observées entre l’insistance et l’expressivité. En parole lue et interprétée, l’insistance présente la hauteur la plus élevée. En parole spontanée, c’est au contraire l’expressivité qui présente la hauteur la plus élevée.

- Concernant la durée syllabique, des différences significatives sont observées entre l’expressivité et les deux autres fonctions :

o En parole lue, l’expressivité présente une durée syllabique plus élevée que l’insistance. En parole spontanée, c’est au contraire l’insistance qui présente une durée plus élevée.

o En parole lue, la supériorité de durée syllabique de l’expressivité par rapport au marquage de focus est plus importante qu’en parole spontanée et interprétée.

Cependant, ces résultats sont difficilement interprétables. En effet, les différences de hauteur entre l’insistance et l’expressivité ne sont pas significatives. De plus, aucune des différences de durée syllabique n’est répétée dans le corpus réduit. Enfin, aussi bien pour la hauteur que pour la durée, nous avons vu (cf § 4.3.1) que le corpus comprend très peu d’occurrences pour deux des interactions concernées (insistance en parole spontanée, et expressivité en parole lue).

4.5. Conclusions

Cette première étude ne nous permet pas de répondre entièrement aux deux questions de recherche initiales de cette analyse (cf § 1.1). En effet, nous avons vu (cf § 4.2.2) que le protocole de l’étude repose sur une classification fonctionnelle des occurrences de focalisation par un groupe d’experts en prosodie. Or, le taux d’accord entre les experts concernant cette classification s’avère être globalement bas. Seules trois fonctions présentent un taux d’accord suffisamment haut pour pouvoir être analysées : le marquage de focus (en tant que fonction globale), l’insistance, et l’expressivité. Nous n’avons pas pu analyser la réalisation du marquage des différentes catégories de focus (cf § 2.1). La faiblesse du taux d’accord soulève la question de la validité de la distinction entre les fonctions attribuées à la focalisation. Pourtant, l’étude révèle certaines différences prosodiques entre les fonctions analysées :

- L’emphase (composée de l’insistance et de l’expressivité) se distingue du marquage de focus par une durée syllabique supérieure. L’emphase présente aussi (bien que de manière non-significative) une hauteur supérieure au marquage de focus.

- L’insistance se distingue des deux autres fonctions par une forte fréquence d’occurrence d’accent initial. Cette relation a souvent été rapportée dans la littérature (cf § 3.2.1).

- L’expressivité se distingue des deux autres fonctions par une plus forte fréquence d’occurrence du contour H*H%. Il s’agit d’un contour montant de fin de groupe intonatif, que l’on observe notamment sur les énoncés exclamatifs (cf chap. 1, § 4.2).

- Les fonctions ne sont pas réalisées au même niveau de la structure prosodique (cf chap. 1, § 3). L’insistance est plus souvent réalisée au niveau du groupe accentuel que les deux autres fonctions, et moins souvent au niveau du groupe intonatif. Le marquage de focus est quant à lui plus souvent réalisé au niveau du groupe intermédiaire.

En revanche, l’étude ne révèle aucune influence du phonogenre (parole spontanée, lue ou interprétée) sur la réalisation des fonctions de la focalisation. Une influence est cependant observée concernant la fréquence d’occurrence de ces fonctions. En effet, une majorité des occurrences d’emphase se trouve en parole interprétée, et une majorité des occurrences de marquage de focus se trouve en parole lue.

Cette étude pourrait bénéficier des mêmes améliorations que l’étude présentée dans le chapitre précédent. En effet, elle porte sur le même corpus et se base sur la même analyse prosodique. Nous rappelons ces améliorations ci-dessous (cf chap. 2, § 7) :

- Le corpus comprend moins d’enregistrements de parole spontanée que de parole lue et interprétée. L’expérience pourrait être reconduite avec un corpus plus équilibré. De plus, les locuteurs de parole lue et de parole interprétée possèdent tous une expérience de l’art dramatique (ce qui a pu introduire dans leur production des traits prosodique relevant d’un phonostyle professionnel). L’expérience pourrait être reconduite avec des locuteurs lambda.

- L’annotation du corpus par les experts en prosodie pourrait être améliorée sur plusieurs points. Il existe tout d’abord une disparité dans la compétence des experts. De plus, pour des raisons pratiques, les enregistrements n’ont pas tous été annotés par les mêmes experts. Il serait enfin possible d’effectuer l’annotation en deux temps, afin de sélectionner les meilleurs experts, ou bien de vérifier leur compréhension des consignes.

5. Etude de perception