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Chapitre 3 : Réalisation prosodique des fonctions de la focalisation

2. Le marquage de focus

2.1. Catégories de focus

2.1.1. Focus informationnel

Au sein de la théorie de la structure informationnelle, la notion de focus informationnel a reçu plusieurs définitions. Avant de les présenter, notons que ces définitions postulent toutes une partition similaire de l’énoncé. Cette partition consiste globalement à distinguer d’une part ce dont on parle, et d’autre part ce que l’on dit à propos de ce dont on parle35. Le focus informationnel désigne le second terme de cette partition : la nouvelle information exprimée par le locuteur concernant une information déjà connue de l’auditeur. Notons par ailleurs qu’on distingue généralement deux types de focus informationnel :

- le focus informationnel « large » : Il s’agit des cas où l’énoncé entier constitue une nouvelle information. Autrement dit, la totalité du contenu de l’énoncé est assertée par le locuteur.

- le focus informationnel « étroit » : il s’agit des cas où seule une partie de l’énoncé constitue une nouvelle information. Autrement dit, seule une partie du contenu de l’énoncé est assertée par le locuteur.

de l’empathie est indiqué au moyen de différentes constructions syntaxiques. Dans l’énoncé (i) ci-dessous, l’emploi du groupe nominal possessif John’s brother indique que le locuteur adopte le point de vue de John. Dans l’énoncé (ii), l’emploi d’une construction passive indique que le locuteur adopte le point de vue de Bill. Il existe une règle (ban on conflicting empathy foci) qui interdit d’adopter deux points de vue incompatibles dans un même énoncé. Cette règle explique la relative inacceptabilité de l’énoncé (iii).

(i) John’s brother hit him. (ibid., p. 205) (ii) Then Bill was hit by John. (ibid., p. 205)

Il est courant d’illustrer cette distinction au moyen de paires question-réponse, comme dans les exemples (1) à (3) ci-dessous (traduits de Lambrecht 1994 : 121). En (1), la réponse contient un marquage de focus informationnel large, car aucune des informations contenues dans l’énoncé n’a déjà été formulée dans la question qui précède. En (2) et (3), la réponse contient un marquage de focus informationnel étroit, car seule une information (respectivement les

enfants et l’école) n’a pas déjà été formulée dans la question qui précède. Nous verrons plus

bas (cf § 2.2.1) comment ces deux types de focus informationnel se distinguent au niveau prosodique.

(1) – Que s’est-il passé ?

– Les enfants sont partis à l’école. (focus informationnel large)

(2) – Qui est parti à l’école ?

– Les enfants sont partis à l’école. (focus informationnel étroit)

(3) – Où sont partis les enfants ?

– Les enfants sont partis à l’école. (focus informationnel étroit)

La notion de focus informationnel a reçu, dans l’ordre chronologique, les définitions suivantes :

- définition psychologique : La distinction entre sujet et prédicat (cf note 35) a été redéfinie à un niveau cognitif par von der Gabelentz (1869), puis par Paul (1880). Selon ce dernier, tout énoncé contient un « sujet psychologique » et un « prédicat psychologique ». C’est à cette seconde catégorie que correspond le focus informationnel. Le sujet et le prédicat psychologiques ne correspondent pas toujours à leurs équivalents grammaticaux. Ils remplissent des fonctions psychologiques différentes : « Le sujet psychologique est le

groupe d’idées d’abord présent dans la conscience du locuteur ou du penseur ; [...] ce à quoi le locuteur souhaite faire penser l’auditeur, et vers quoi il aimerait diriger son attention ; le prédicat psychologique, ce qu’il souhaite qu’il pense à ce propos » (ibid.,

(Amman 1928, Mathesius 1961), « thème » et « propos » (Bally 1932), et « topic » et « comment » (Hockett 1958).

- définition informationnelle : Les notions de sujet et de prédicat psychologiques ont ensuite été redéfinies au niveau de l’énoncé, en tant que message vecteur d’information. Les expressions « structure informationnelle » et « focus informationnel » sont introduites par Halliday (1967). Le focus informationnel est selon lui un procédé servant à indiquer l’information apportée par l’énoncé : « Information focus is one kind of emphasis, that

whereby the speaker marks out a part (which may be the whole) of a message block as that which he wishes to be interpreted as informative. » Halliday introduit également les

notions de « nouveauté » et d’« ancienneté » d’une information, qui seront reprises par la suite (e.g. Chafe 1974, Lambrecht 1994). Une information est dite nouvelle lorsque le locuteur la présente comme « non-récupérable » à partir du discours qui précède36.

- définition sémantique : La notion de « présupposition » est introduite par Chomsky (1970). Il s’agit de la partie de l’énoncé dont le contenu est présupposé sémantiquement par le locuteur. Par opposition, le focus est la partie de l’énoncé dont le contenu est asserté par le locuteur. Pour déterminer le focus de l’énoncé, Jackendoff (1972) postule la présence d’un marqueur syntaxique F dans la structure de surface. Il formule une règle

36 L’approche informationnelle est également représentée par la théorie de la FSP (functional sentence perspective) de l’école de Prague (e.g. Mathesius 1961, Vachek 1966, Daneš 1974, Firbas 1992). Contrairement aux autres théories informationnelles, cette théorie ne postule pas de partition du contenu de l’énoncé. Le concept central est celui du « dynamisme communicatif ». Il s’agit du degré d’importance des différents constituants de l’énoncé dans la réalisation du but communicatif du locuteur. Le dynamisme communicatif augmente par défaut du début à la fin de l’énoncé. Il peut être influencé par trois facteurs (cf Firbas 1992) :

- le facteur « contextuel » : Il s’agit de la possibilité ou non pour une information d’être « retrouvée » à partir

du « contexte d’intérêt immédiat » (ibid., p. 21). Cette distinction est similaire à la distinction entre ancienneté et nouveauté d’une information. Une information nouvelle possède un degré de dynamisme communicatif plus fort qu’une information ancienne.

d’assignement du focus : « The semantic material associated with surface structure nodes

dominated by F is the FOCUS of the sentence. To derive the Presupposition, substitute appropriate semantic variables for the focused material » (ibid., p. 240). Jackendoff donne

en exemple l’énoncé « Is it JOHN who writes poetry? », où John est le focus. La présupposition peut être exprimée de la manière suivante : « quelqu’un écrit de la poésie », ou encore « x écrit de la poésie ». Le contenu sémantique de l’énoncé est partitionné entre un terme non saturé (la présupposition) et un terme saturé (le focus). Ceci est représenté par Jackendoff en notation lambda : la présupposition est la fonction λxPresupps(x), et Focus  λxPresupps(x). La formalisation sémantique de la structure informationnelle a ensuite été approfondie par Krifka (1992) et Büring (1997).

- définition pragmatique : Plusieurs auteurs ont tout d’abord explicité les notions de nouveauté et d’ancienneté d’une information au niveau pragmatique. Selon Clark et Haviland (1977), la communication repose sur un accord entre les locuteurs concernant le statut informationnel des constituants de l’énoncé (given-new contract). Cet accord contient une « maxime d’antécédence » (similaire aux maximes de la communication de Grice 1975) qui assure la possibilité de retrouver l’antécédent d’une information ancienne : « Try to construct your utterance such that the listener has one and only [one]

direct antecedent for any given information and that it is the intended antecedent. » Selon

Chafe (1974), le statut informationnel est basé sur les présuppositions du locuteur concernant le contenu de la conscience de l’auditeur au moment où il s’adresse à lui :

« Given information is suggested to be that which the speaker assumes to be already present in the addressee’s consciousness at the time of an utterance. » Prince (1981)

montre qu’il existe une distinction entre ce type de statut informationnel (discourse

new/old information), et le fait qu'une information soit présente ou pas dans les

connaissances de l’auditeur (hearer new/old information). Elle donne en exemple l’énoncé « Where were your grandparents born? », où your grandparents est un référent de discours identifiable par l’auditeur, même s’il n’est pas présent dans sa conscience au moment de l’échange. Enfin, comme nous l’avons évoqué plus haut (cf § 2), une distinction importante est établie par Lambrecht (1994 : 206-218). Le focus ne consiste pas en un constituant de l’énoncé, ni même en son référent de discours. Il s’agit de la relation entre ce référent et une proposition qui exprime la présupposition de l’énoncé.

Lambrecht donne en exemple l’échange « – Where did you go last night? – I went to the MOVIES » (ibid., p. 209). L’information exprimée par la réponse n’est pas movies mais la proposition abstraite « L’endroit où je suis allé hier soir est le cinéma ». Le constituant qui reçoit l’accentuation exprimant la relation de focus est le « domaine focal » de l’énoncé. Le focus est défini comme l’information par laquelle l’assertion diffère de la présupposition.

Parmi les différentes approches présentées ci-dessus, la définition que nous avons retenue du marquage de focus informationnel pour notre analyse se base sur l’approche sémantique et sur l’approche pragmatique. Elle repose sur les notions d’assertion et de statut informationnel nouveau :

Marquage de focus informationnel : Le locuteur distingue ce qu’il asserte spécifiquement,

c’est-à-dire l’information qu’il présente à l’interlocuteur comme nouvelle dans la conversation en cours. Il s’agit de la totalité du contenu dans le cas d’un focus informationnel large, et d’une partie seulement du contenu dans le cas d’un focus informationnel étroit.