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Chapitre I : Synthèse bibliographique

2. Paramètres environnementaux influençant la production, la stabilité et la dégradation des molécules

2.2. Effets des facteurs biotiques sur le QS

2.2.2. Influence de la communauté

2.2.2.1. Inactivation des AHLs par dégradation enzymatique

Dans l’environnement, les microorganismes forment des communautés dans lesquelles

les bactéries productrices d’AHLs interagissent avec d’autres organismes capables de

dégrader ces molécules signal. Les phénomènes d’interférence dans la communication

cellulaire qui entraînent une inactivation des AHLs sont regroupés sous le terme de

quorum-quenching. Les enzymes dégradant les AHLs, classées en différentes familles en fonction de

leur mode d’action, ont été identifiées chez un nombre important d’espèces bactériennes,

notamment présentes dans le sol (Reimmann et al., 2002; Zhang, 2003). Actuellement, deux

familles d’enzymes inactivant les AHLs ont été identifiées : les AHLs-lactonases appartenant

à la famille des protéines homologues à AiiA (Dong et al., 2000; Zhang et al., 2002), les

acylases/amidohydrolases homologues à AiiD (Leadbetter & Greenberg, 2000; Lin et al.,

2003; Park et al., 2005) (Figure 1.8, page 14).

Parmi les enzymes dégradatrices d’AHLs, les lactonases sont les plus étudiées et les

gènes homologues à aiiA ont été initialement identifiés chez plusieurs espèces de Bacillus,

notamment B. cereus, B. thuringiensis, B. mycoides (Dong et al., 2002; Lee et al., 2002). Des

lactonases ont été mises en évidence chez d’autres souches à Gram positif isolées du sol, telle

qu’Arthrobacter sp. IBN110 qui possède une lactonase codée par le gène ahlD, et

Rhodococcus erythropolis W2 qui possède une protéine nommée QsdA qui n’est pas

homologue à AiiA mais qui semble avoir une activité lactonase (Park et al., 2003; Uroz et al.,

2008). Les lactonases de la famille AiiA ont également été identifiées chez plusieurs espèces

de bactéries à Gram négatif telles que Klebsiella pneumoniae qui possède une lactonase codée

par ahlK, homologue à ahlD, et Agrobacterium tumefaciens qui possède deux lactonases

codées par attM et aiiB. Des analyses bioinformatiques ont mis en évidence des gènes

homologues à aiiA chez d’autres rhizobiacées telles que Bradyrhizobium japonicum ou

Mesorhizobium loti (Carlier et al., 2003). Une étude récente utilisant une approche

métagénomique a révélé un nouveau gène codant une lactonase partageant peu de similarité

avec les lactonases déjà caractérisées (Riaz et al., 2008).

L’inactivation des AHLs peut résulter de l’activité d’autres enzymes comme les

acylases, qui ont été identifiées chez des bactéries à Gram négatif telles que Ralstonia,

Variovorax paradoxus, Pseudomonas aeruginosa et chez une bactérie à Gram positif

Rhodococcus erythropolis W2. Rhodococcus erythropolis W2 est une bactérie assez

singulière car, en complément d’activités lactonase et acylase, elle produit aussi une autre

enzyme de la famille des oxydoréductases, capables de modifier les AHLs sans les inactiver

(réduction de la substitution de type oxo au niveau du carbone 3 de la chaîne acyle) (Uroz et

al., 2005). La présence de ces trois activités enzymatiques chez cette souche expliquerait

qu’elle puisse croître facilement dans un milieu contenant du C

6

-HSL comme seule source de

carbone (Uroz et al., 2005).

La diversité des espèces dégradant les AHLs semble importante dans certains

environnements ; c’est la cas de la rhizosphère où de nombreuses espèces bactériennes

dégradatrices d’AHLs ont pu être isolées (d'Angelo-Picard et al., 2005; Jafra & Van der Wolf,

2006). Des études de diversité microbienne menées sur la rhizosphère du tabac ont montré

que des bactéries productrices et dégradatrices d’AHLs pouvaient coexister au sein d’un

même environnement (d'Angelo-Picard et al., 2005). Ces différents travaux suggèrent que

l’accumulation des molécules signal au sein des populations productrices d’AHLs est

fortement influencée par la présence de communautés dégradatrices et productrices d’AHLs

au sein d’un même biotope. Les enzymes dégradant les AHLs pourraient conférer aux

bactéries qui les produisent plusieurs avantages telles que, l’utilisation des AHLs comme

source de nutriment, l’inhibition des fonctions régulées par QS chez d’autres bactéries, la

résistance à l’activité antibiotique de certaines AHLs, et leur permettraient ainsi d’être plus

compétitives vis à vis des autres populations (Kaufmann et al., 2005; Leadbetter &

Greenberg, 2000; Yang et al., 2006).

2.2.2.2. Communication croisée entre espèces bactériennes

Dans leur milieu naturel, différentes espèces bactériennes produisant des AHLs de

même structure ou de structure proche peuvent coexister au sein d’un même biotope. Ainsi,

des bactéries pathogènes de l’homme telles que P. aeruginosa, Serratia liquefaciens ou A.

hydrophila produisent des AHLs de type C

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-HSL impliquées dans l’induction de la synthèse

de certains facteurs de virulence (Eberl et al., 1996; Swift et al., 1997; Winson et al., 1995). Il

est donc fort probable que les AHLs produites par une bactérie soient perçues et reconnues

par d’autres bactéries, et ainsi provoquer un phénomène de communication croisée entre des

bactéries d’espèces différentes et les résultats de différentes études montrent que cette

communication croisée peut survenir in vitro mais également in vivo.

Des AHLs à longues chaînes acyles, produites par Mesorhizobium sp., sont ainsi

capables de restaurer la production de protéase et de pyoverdine chez une souche de P.

aeruginosa dont la production d’AHLs est abolie, ce qui suggère que ces composés peuvent

aussi jouer un rôle dans la communication inter-espèce (Krick et al., 2007).

Le surnageant de culture de P. aeruginosa peut activer la production de facteurs de

virulence chez B. cepacia, bactérie productrice d’AHLs avec qui elle cohabite dans les

poumons humains (McKenney et al., 1995). De plus, en condition de biofilm mixte formé in

vitro et in vivo sur de modèles murins, les AHLs de P. aeruginosa sont capables d’activer

l’expression de plusieurs gènes dont le gène cepI (homologue de luxI) chez B. cepacia (Riedel

et al., 2001). En revanche, cette communication croisée semble être unidirectionnelle.

Une communication inter-espèce via les AHLs peut également survenir entre les

bactéries occupant la rhizosphère du blé ou de la tomate, et conduit à l’induction de gènes

régulés par QS chez des espèces non apparentées (Pierson et al., 1998; Steidle et al., 2001).

Il est également à noter que le phénomène de communication croisée est mis à profit

pour la détection biologique des AHLs. Ainsi, l’accumulation de C

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-HSL chez

Chromobacterium violaceum provoque la synthèse d’un pigment violet, la violacéine ; en

utilisant une souche pour laquelle le gène codant l’AHL synthase est inactivé, la production

de violacéine peut être restaurée par la présence d’AHLs exogènes à chaînes acyles courtes (4

à 8 carbones) (McClean et al., 1997).

2.2.2.3. Séquestration du signal

Certaines bactéries ne produisent aucune AHL mais peuvent les percevoir et induire

l’expression de fonctions spécifiques en leur présence. Par exemple, Escherichia coli ne

produit pas de molécule signal de type AHL alors qu’elle possède un régulateur de

transcription homologue à LuxR, nommé SdiA, qui peut interagir avec des AHLs exogènes

(Yao et al., 2006). SdiA fait partie de la famille des régulateurs de type LuxR qui sont dits

« orphelins », ce qui indique que la bactérie ne possède pas d’AHL-synthases endogènes ou

que le régulateur en question n’interagit avec aucune des AHLs synthétisées par la bactérie

(e.g. QscR chez P. aeruginosa). Le complexe SdiA/AHL régule un certain nombre de gènes

cibles, notamment des gènes impliqués dans la tolérance à l’acidité (Van Houdt et al., 2006).

E. coli peut ainsi économiser le coût énergétique lié à la production d’AHLs ; cependant la

Rasmussen et al., 2005b Système Las et Rhl chez P. aeruginosa Penicillium spp. Acide penicillique Rasmussen et al., 2005b Système Las et Rhl chez P. aeruginosa Penicillium spp. Patuline Wu et al., 2005 Système Rhl chez P. aeruginosa Mammifères (Cellules du système immunitaire) Interféron-γ* Teplitski et al., 2000 ; Keschavan et al., 2005 Système Sin/ExpR chez S. meliloti Medicago sativa L-Canavanine Givskov et al., 1996 Système Swr chez S. liquefaciens Delisae pulchra Furanones halogénées (R = H ou Br) Oger et Farrand, 2001

Système Tra chez A. tumefaciens Plante

(Cellules végétales situées dans la galle du collet) Agrocinopine B Référence Exemple de système QS affecté Organisme (type de cellule) Structure Nature du composé

Tableau 1.2 : Production par des organismes eucaryotes de composés interférant avec le QS.

(Adapté de González et Keshavan, 2006)

régulation par le complexe SdiA/AHL interviendrait uniquement lorsque E. coli est en

présence d’autres bactéries productrices d’AHLs. En conséquence, E. coli pourrait séquestrer

les AHLs produites par les bactéries avec lesquelles elle cohabite et ainsi interférer avec les

processus d’accumulation d’AHLs produites par d’autres populations bactériennes de son

environnement.

2.2.2.4. Barrière de diffusion du signal

Des bactéries ne produisant pas et n’interagissant pas avec les AHLs peuvent

également se trouver au voisinage de bactéries productrices d’AHLs. Afin de déterminer si

l’expression des gènes régulés par QS pouvait être affectée par la présence de bactéries ne

produisant pas et ne dégradant pas les AHLs, un système de colonie artificielle constituée de

trois souches bactériennes différentes a été utilisé : une souche bactérienne capable de détecter

la présence d’AHLs, une souche ne produisant pas d’AHLs, et une souche produisant des

AHLs (Mason et al., 2005). Le niveau de détection des AHLs était plus important lorsque la

souche ne produisant pas d’AHLs était présente dans la microcolonie. Cette dernière a pu

constituer une barrière physique, limitant la diffusion, et favorisant l’accumulation à

l’intérieur de la microcolonie, des AHLs produites par la souche avec laquelle elle cohabite.

Ce résultat pourrait refléter le type d’interaction se produisant dans les environnements

naturels entre des espèces productrices et non productrices d’AHLs.

2.2.3. Influence des eucaryotes sur la communication bactérienne

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