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VI. Discussion générale

VI.2. Perspectives appliquées : réflexions pour une gestion du- du-rable des populations de bécasses

VI.2.1. Influence de la chasse sur la survie des populations

Les taux de survie hivernaux sont faibles et le modèle matriciel démographique indique un taux de croissance démographique λ déclinant (article 3). Toutefois cette décroissance est moindre dans le cas de simulations de populations passant l’hiver dans des zones non chas-sées. Même si ces résultats ne concernent qu’une petite population de bécasses, ils demandent toutefois qu’on y prête attention pour la gestion des bécasses hivernant en Europe de l’Ouest, car des taux de survie similaires ont été trouvés chez la Bécasse d’Amérique, qui subit un dé-clin prononcé. La figure VI.5 montre que les taux de survie annuels des Bécasses d’Amérique et Bécasses des bois sont les plus faibles parmi les limicoles, qui comprennent beaucoup d’espèces longévives de masse corporelle variée (Piersma & Baker 2000). Le taux de survie chez la Bécasse des bois diffère grandement selon qu’elle hiverne en France (Tavecchia et al. 2002) ou en Angleterre (Hoodless & Coulson 1994) où la chasse est moins développée. De plus, la longévité maximale connue chez la Bécasse des bois est de 12 ans, alors que l’espérance de vie moyenne moyenne calculée par Tavecchia et al. (2002) sur les bécasses hivernant en France n’est que de 1,25 ans.

log masse corporelle moyenne (g)

100 1000 lo g t aux de s urvi e ann uel s m oye ns 1

Fig. VI.5: Comparaison des taux de survie annuels adultes calculés chez les Bécasses avec les taux de survie de 26 autres espèces de li-micoles (données récoltées dans Piersma et al. 1996b). Les espèces en noir sont chassables en France et dans plusieurs pays d’Europe. La valeur pour la Bécasse d’Amérique Scolopax minor est une moyenne des valeurs de plu-sieurs études (Krementz et al. 1994 ; Krementz & Berdeen 1997 ; Pace 2000 ; Krementz et al. 2003). S. minor S. rusticola France S. rusticola UK Tringa glareola Calidris alba Gallinago gallinago Charadrius dubius Philomachus pugnax Limosa lapponica Numenius phaeopus 0.5

Chez les limicoles migrateurs longévifs, la survie adulte est un des paramètres critiques déterminant la taille des populations (Piersma & Baker 2000). Hitchcock & Gratto-Trevor (1997) ont montré qu’un déclin de la survie adulte et du taux d’immigration pouvaient expli-quer seuls le déclin d’une population de Bécasseaux semipalmés Calidris pusilla au Canada. Une valeur de survie adulte annuelle de 0,44 pour les bécasses hivernant en France est vrai-ment préoccupante. Il est possible que la population de bécasses hivernant en France ne puisse se maintenir que par l’immigration continuelle de jeunes bécasses issues de parents hivernant dans des zones moins chassées comme les Iles Britanniques (Tavecchia et al. 2002). Toute-fois, comme la Bécasse peut se reproduire à un an, la survie des jeunes doit être le paramètre le plus important. Or aucune donnée n’est disponible sur la survie juvénile depuis l’envol jus-que l’arrivée sur les quartiers d’hivernage. Ainsi, une meilleure connaissance du succès re-producteur, de la production et de la survie des jeunes dans les pays comme la Russie, où ni-che la majorité de la population hivernant en France, semble indispensable pour comprendre comment les bécasses arrivent à subsister avec des taux de survie aussi faibles. Comme la reproduction commence en mai en Russie (et plus tôt en Europe de l’Ouest) et que l’élevage d’une nichée, depuis la ponte jusqu’à l’émancipation des jeunes, dure environ deux mois, la Bécasse aurait théoriquement le temps d’élever deux nichées par an. Cependant, aucune don-née sur le nombre de pontes effectuées par femelle n’est disponible aujourd’hui. C’est vers les pays où se déroule la reproduction qu’il faudra se tourner pour mieux comprendre la démo-graphie de la Bécasse pour ajuster un plan de gestion et de conservation efficace.

Il ressort de l’article 3 que la chasse a un très fort impact sur la survie des jeunes oiseaux. Les mesures visant à limiter la chasse dans une zone délimitée sont efficaces pour augmenter la survie des bécasses, comme on pouvait s’y attendre. La mesure de gestion la plus commu-nément appliquée en France est l’instauration d’un prélèvement maximal autorisé (PMA), défini par la préfecture de chaque département. Nous avons vu en introduction que les PMA instaurés actuellement ne reposent pas sur des faits biologiques ni sur des tendances démogra-phiques. Or ces PMA devraient, dans l’idéal, tenir compte du recrutement et du succès repro-ducteur de chaque année, mais les comptages exhaustifs et le suivi de la reproduction sont impossibles à réaliser dans la majeure partie de l’aire de reproduction. Une approche alterna-tive est en voie de développement par l’ONCFS et des ornithologues russes via le baguage de bécasses en septembre, au début de la migration. Les analyses préliminaires montrent que le ratio jeunes / adultes trouvé en début de migration est relativement bien corrélé aux conditions climatiques lors de la saison de reproduction (notamment les sécheresses), ainsi qu’aux effec-tifs rencontrés plus tard dans la saison en Europe de l’Ouest. Nous pouvons donc espérer que,

dans un avenir proche, les PMA puissent être fixés en octobre en tenant compte des données de baguage recueillies en fin d’été dans des stations témoins d’Europe de l’Est et du Nord.

Les vagues de froid constituent une autre menace pesant sur la Bécasse. La Bécasse est re-lativement bien isolée du froid par son plumage, et son métabolisme rere-lativement bas lui per-met de jeûner plusieurs jours, sans quitter son site d’hivernage (article 1 ; Boos 2000). Mais si la vague de froid se prolonge, beaucoup de bécasses, amaigries, sont contraintes de quitter leurs quartiers d’hivernage et partent vers le Sud ou l’Ouest à la recherche de zones où l’alimentation est possible (Robin et al. 1999 ; Gossmann & Ferrand 2000). Pourtant, para-doxalement, la chasse n’est souvent pas fermée dans ces zones de refuges, puisque les condi-tions climatiques y sont plus clémentes. C’est ainsi que beaucoup de bécasses se font tuer lors de vagues de froid, alors même qu’elles ne présentent pas d’intérêt cynégétique (les oiseaux nouvellement arrivés sont souvent visibles à découvert en plein jour et n’ont pas les mêmes réflexes qu’en temps normal). Il est donc indispensable de tenir compte de ces déplacements de grande ampleur (à l’échelle de plusieurs pays) dans la gestion cynégétique locale (suspen-sion de la chasse, même si la vague de froid n’est pas directement perceptible). En cas de fer-meture de la chasse, il faudrait aussi éviter une réouverture de la chasse trop rapide, pour permettre aux oiseaux de s’alimenter, stocker des réserves énergétiques et se redistribuer vers leurs zones d’hivernage habituelles. Cette période doit prendre entre une et deux semaines. Ainsi, à Beffou, nous avons été témoins d’une arrivée de bécasses suite au coup de froid de décembre 2001. Quatre bécasses adultes, capturées et équipées début janvier 2002 (environ une semaine après la fin de la période de gel) présentaient des masses corporelles relativement élevées (plus de 320 g). Elles ont pu être suivies une dizaine de jours avant de disparaitre, et avaient un comportement atypique car elles sillonnaient toute la zone d’étude. Il devait s’agir d’oiseaux arrivés autour de Beffou du fait de la vague de froid, capturées lors de leur phase de stockage de réserves, avant le retour vers leur zone d’hivernage habituelle.

Nous avons vu dans l’article 3 que les réserves de chasse sont des moyens efficaces pour protéger les bécasses, même s’il n’existe que très peu de réserves spécialement dédiées à cette espèce. L’efficacité de telles réserves pourrait être augmentée en tenant compte davantage du comportement des oiseaux. En effet, alors qu’un tiers de bécasses étaient fidèles à une seule remise en forêt, les deux autres tiers fréquentaient plusieurs remises, de manière successive ou alternative (article 4). Plus une bécasse change de remises souvent, plus elle a de chances de se trouver hors de la réserve à un moment donné. La fréquentation du bocage et des haies

au-tour de la forêt était beaucoup plus importante que ce que laissaient penser les précédentes études (38 % des bécasses l’ont fréquenté au moins un fois et 14 % exclusivement, article 4). J’ai suivi plusieurs bécasses fréquentant alternativement la réserve et le bocage, qui se sont fait tuer une fois dans le bocage. De plus, plusieurs bécasses se sont fait tuer dans les bois privés, chassés, jouxtant directement la forêt départementale en réserve (Fig. II.3). A Beffou, la majorité des mouvements des bécasses étaient restreints dans un rayon de 1,5 km autour du massif forestier. Aussi, une réserve pourrait gagner en efficacité en étant entourée par une zone tampon de 1 à 2 km de large, où la chasse serait limitée. Le déclin des taux de survie pendant tout le mois de décembre et jusque la mi-janvier (article 3) est certainement dû à ces oiseaux mobiles, souvent des jeunes inexpérimentés, séjournant à un moment hors de la ré-serve et se faisant tuer. Après le 15 janvier, la relative stabilisation des taux de survie pourrait être le fait de la fixation des individus survivant dans la réserve ou dans les zones les plus sûres (moins chassées) du bocage.