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Chapitre 2 : Recension des écrits

2.7 Les infirmières et le politique

Le manque de solidarité que l’on attribue aux femmes est en fait un mythe que l’on répète à satiété afin que les femmes l’assimilent. Une telle situation sert à maintenir le statu quo et éloigne les femmes du pouvoir, permettant ainsi qu’il reste entre les mains des mêmes personnes (Lipman-Blumen, 1984, p.212).

Les gouvernements qui se succèdent au Québec, pour ce qui est de la santé et de l’éducation, ont souvent décidé de suivre la même ligne de pensée. À vrai dire, ils perpétuent une démarche comptable de socialisation des déficits et de privatisation des gains (Bessaïh, 2013). Ainsi, pour contrer l’oppression, il est difficile de considérer l’émancipation de tous les individus « à l’intérieur d’un État patriarcal et paternaliste disposé à exercer arbitrairement son autorité en usant du pouvoir légal et judiciaire à des fins répressives et violentes » (Voisard, 2013, p.193). Dans ces conditions et d’après Larivière (2013),

le rôle des femmes est essentiel dans les luttes sociales, ne serait-ce que pour rétablir la démocratie, en trouvant les moyens de se faire entendre, de faire entendre leurs opinions, leurs préoccupations et en bousculant l’ordre établi. Et cet élément est fondamental, car nous vivons actuellement dans un monde principalement dirigé par des hommes (p.294). Les femmes ont toujours été socialisées à se faire discrète dans l’espace public (Reynolds, 2013), n’étant pas à l’abri d’une prédominance de la socialisation traditionnelle genrée au sein des familles. Cette intégration « promeut une féminité effacée, retirée, rangée, pour ne pas dire " à sa place " ; [...] et qui n’encourage pas la prise de parole et l’affirmation chez les filles » (Roy-Blais, 2013, p.54). Dans la sphère publique ou en politique, les femmes qu’elles deviendront auront considérablement de choses à accomplir pour être reconnues comme les égales des hommes. Elles devront travailler sans cesse pour faire reconnaître leur statut et leur valeur (Desjardins, 2013). En ce sens, « les femmes sont les gestionnaires de décisions qu’elles n’ont pas prises et qu’elles ne peuvent [encore] prendre. La scène politique [et celle du social au sens large] s’est construite en acceptant le refus de constituer les femmes comme sujets politiques » (Dauphin, Farge & Fraisse, 1986, p.288). Et pourtant, dans notre société, un groupe de femmes qui représente le plus justement le stéréotype de genre féminin est, sans l’ombre d’un doute, les infirmières (Cohen, 2004 ; Vallée-Desbiens, Philibert & Demers, 2013).

Nos prédécesseures se sont engagées dans le combat pour le droit de vote des femmes, pour l’accès au contrôle des naissances, pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des ouvriers et de leurs familles, pour l’accès à des soins de santé

publics de qualité pour toutes et tous. Il s’agit d’un volet de l’histoire des soins infirmiers beaucoup moins connu et qui n’est malheureusement pas enseigné durant notre formation (Vallée-Desbiens, Philibert & Demers, 2013, p.144).

Plus spécifiquement, les infirmières ont fait parler d’elles, dans les tribunes, pour différentes raisons. « Il y a eu d’abord la grève, puis la fatigue, le ras-le-bol, la surcharge de travail, l’augmentation du nombre de congés maladie, l’épuisement, et finalement la pénurie de main d’œuvre […] » (Goulet & Dallaire, 2002, p.199). À l’origine, l’entrée des sciences infirmières à l’université et l’obtention du titre d’infirmière enregistrée sont des moments marquants de l’histoire de la profession infirmière. Cependant, ils demeurent douteux en termes d’émancipation des femmes (Cohen, 2004). Les infirmières sont ainsi prises entre la survie des différences entourant le sexe et la nécessité de les anéantir dans l’espace public, en développant autre chose, qui permettraient de conserver cette différence importante à leur identité en tant que groupe (Carpentier-Roy, 1991). En effet, en ce qui a trait aux infirmières, certains diront que si elles revendiquent, ce n’est pas commun et qu’elles n’ont pas leur place au sein du politique et, pourtant, c’est tout le contraire. Car, « le care d’aujourd’hui occupe un espace résolument politique » (Bourgault & Perreault, 2015, p.11). D’après Garon (2006), ces dernières années, des infirmières ont adhéré à des efforts de grève afin de revendiquer une meilleure rémunération. Les écrits de Vallée-Desbiens, Philibert et Demers (2013) appuient également le constat que les infirmières sont des membres importants du politique :

Dans un monde où la loi est essentiellement celle du plus fort, où le tissu social de désagrège en laissant de plus en plus de gens en marge et sans ressources, et où il faut avoir beaucoup d’argent pour faire valoir ses droits ou se défendre devant la justice, choisir d’exercer un métier où la dignité intrinsèque de l’Autre est au cœur des préoccupations et des actions, c’est faire un choix politique, éthique et moral. C’est choisir l’empathie plutôt que la coercition, le dialogue plutôt que la démagogie, la solidarité humaine plutôt que la répression (p.150).

En réponse à cela, les sciences infirmières ont une place incontestable à prendre au sein du politique. Lorsque nous parlons « du » politique, nous faisons référence aux enjeux de pouvoir qui ont un impact considérable sur « l’organisation de la vie en société » (Dallaire, 2008, p.457). Les infirmières doivent et peuvent agir politiquement pour ébranler le statu quo. Car, si on conçoit que l’organisation du travail infirmier dans les hôpitaux est en lien avec le processus d’industrialisation, on est à même de voir l’aspect politique et socio-économique intervenir. Ainsi, la solution pour contrer la souffrance chez les infirmières passe inévitablement par l’action politique (Carpentier-Roy, 1991). De ce point de vue, l’action politique, qui vise à éliminer des injustices comme dans ce cas-ci, doit obligatoirement passer

par un changement des normes de reconnaissance dominantes. Ce type d’action « n’est réalisable que si ceux qui la portent et ceux qui y consentent se réfèrent à des " normes de reconnaissance ", pour les soutenir ou pour les contester » (Pourtois, 2009, p.176). Par conséquent, la reconnaissance est cruciale pour les infirmières et pour la revendiquer, il y a inévitablement un passage vers l’action politique. Comme le résumé Lévesque-Boudreau (2002) :

Tout au long de leur histoire, […] les infirmières québécoises ont éprouvé de grandes difficultés à obtenir la juste reconnaissance de leur contribution au système de santé. Cet état de fait s’est notamment manifesté, au cours des dernières décennies, par les luttes épiques qu’elles ont dû livrer pour faire reconnaître la valeur pécuniaire de leur travail et la complexité des soins qu’elles dispensent, voire pour obtenir une formation à la hauteur des responsabilités qu’on leur confie (Lévesque-Boudreau, 2002, p.181).

Un exemple concret est la grève de 1963 par 250 infirmières de l’Hôpital Sainte-Justine. Cette grève illégale d’un mois a permis une réelle reconnaissance sociale des infirmières passant d’une carrière vocationnelle à une profession à part entière aux yeux de la société. Malheureusement, ce moment de l’histoire est quasi tombé dans l’oubli (Plamondon Emond, 2013). En somme, chaque infirmière doit exploiter son influence politique « afin qu’émerge une reconnaissance sociale véritable de la profession et de la discipline infirmières si ardemment désirée […] (Goulet & Dallaire, 2002, p.404). Et, pour ce faire, les infirmières doivent agir politiquement.