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Chapitre 2 : Recension des écrits

2.1 Le capitalisme et le patriarcat

Pour Deschênes (2015), le binarisme et la hiérarchie des genres définissent la construction sociale du patriarcat. Ainsi, le capitalisme et le patriarcat ont joué un rôle important dans l’histoire des femmes, tout particulièrement sur l’oppression de ces dernières. En effet, « la culture politique du capitalisme d’État a fait du travailleur masculin appartenant à la majorité ethnique le citoyen moyen idéal (Fraser, 2011, p.171). Ainsi, les femmes ont toujours été mises à l’arrière-plan. Pourtant, du point de vue du sociologue allemand Axel Honneth (2008), « l’existence d’une société de classes fondée sur l’inégalité des chances entre les différents acteurs de la production (Homme – Femme) [...] entraîne une inégalité durable des perspectives de reconnaissance sociale » (p.221). Ainsi, le capitalisme s’appuie sur le patriarcat pour gérer le travail des femmes et s’en servir pour ses objectifs (Federici, 2019). Le travail des femmes a donc toujours été « exploité à l’avantage des capitalistes sur le marché, les femmes assurant la production et l’éducation de la future main-d’œuvre au service du capital […] » (Hamrouni, 2015, p.83). De cette façon, cela a fait persister une certaine inégalité au niveau de la division sexuelle du travail. Ce régime économique et social a toujours eu un double intérêt pour le travail des femmes. D’un côté, elles travaillent bien, elles sont flexibles vu la précarité qui les assaille et, de l’autre, elles permettent de tirer l’ensemble des salaires vers le bas.

Comme nous le rappelle Federici (2019), le capitalisme a en quelque sorte développé le sens précis du travail domestique, pour séparer les lieux de production des lieux de reproduction. La division de ces deux lieux est toutefois à penser autrement :

La distinction libérale habituelle entre le public et le domestique revêt un caractère idéologique, dans le sens où elle présente la société d’un point de vue masculin traditionnel, basé sur des postulats concernant les natures et les rôles naturels différenciés des hommes et des femmes (Okin, 2000, p.364).

Les écrits d’Okin (2000) nous amènent à réfléchir sur l’idéologie prédominante du capitalisme en ce qui a trait à la division sexuelle du travail, surtout lorsqu’il est question de travail de care, à l’égard d’une séparation bien définie entre le public et le privé. Par cette séparation, une invisibilité découle du travail domestique et, par le patriarcat, les femmes intériorisent et développent l’idée que ce travail leur est dévolu à cause de leurs qualités dites naturelles pour le soin. À l’origine, au fur et à mesure du développement du capitalisme, Comanne (2010) précise qu’

il y a dévalorisation du travail domestique, considéré comme non productif de biens susceptibles d’être échangés et n’étant plus reconnu comme socialement nécessaire. Beaucoup plus tard, cette dévalorisation touchera d’ailleurs toutes les professions liées aux tâches assignées aux femmes dans les familles : nettoyer – soigner – éduquer... (p.8).

Or, l’ordre social fondé sur la division sexuelle du travail amène la femme à se consacrer prioritairement et naturellement à l’espace domestique et privé. L’auteure amène l’explication d’une naturalisation inconsciente des rapports sociaux qui rend les hommes dominants et les femmes dominées. Cela les pousse à agir conformément à la logique de ces rapports et des normes prônées par le capitalisme. En ce sens, une remise en question est pertinente à savoir pourquoi certaines choses caractérisées comme étant « humaine et bonne » devraient essentiellement être « féminines et maternelles » (Carpentier-Roy, 1991).

La professionnalisation des femmes évolue de plus en plus vers des activités dites féminines, dérivant des tâches familiales et sous-payées, car elles sont considérées comme non productives. Le marché du travail salarié a été organisé de manière à ce que les femmes soient reléguées aux strates inférieures des emplois mal payés, marginaux et sans perspective d’évolution. Elles effectuent ainsi des tâches plutôt difficiles, sales et invisibles (Nakano Glenn, 2009, p.23). « Dans des contextes institutionnels, la stratification est intégrée aux structures organisationnelles, ce qui inclut les positions d’autorité, les descriptions des emplois, les règles et la ségrégation spatiale et temporelle » (Nakano

Glenn, 2009, p.57). Il y a donc ségrégation temporelle lorsque les médecins sont mis de l’avant et que les infirmières sont caractérisées comme étant le « bras droit du médecin ». Ainsi, on rend le travail de l’infirmière invisible comparativement à celui du médecin.

« En adoptant une perspective féministe, la dévalorisation du soin n’est guère surprenante si l’on considère l’influence grandissante de l’idéologie néolibérale au sein des établissements de santé » (Martin et Alderson, 2013, p.5). En fait, les politiques sociales découlant du néolibéralisme sont fondées sur une perspective de rentabilité et de logique marchande (Bouchard & Namaste, 2013). Plus spécifiquement, Tronto (2013) affirme que « l’ordre néolibéral réduit les pratiques de care à un travail- marchandise et marginalise leur importance pour la vie commune en les comprenant dans les termes du marché ». Collière (1982) nous rappelle également que « […] les pratiques de soins garderont [toujours] une valeur économique fluctuante qui naviguera entre la valeur d’usage et le don gratuit, ce qui entravera considérablement la reconnaissance sociale et économique du service infirmier » (p.71). Cohen (2004) est également de cet avis et souligne même qu’: « avec la professionnalisation des soins, le caractère sacré et intime du rapport au patient disparaît pour faire place à un rapport plus objectif et marchand » (p.401). Ainsi, « le travail de soin est au système de santé ce que le travail domestique est à l’économie marchande : essentiel, mais invisible, omniprésent, mais sans valeur marchande » (Saillant, 1998).

Les infirmières sont intégrées au sein de rapports sociaux où une profession tire son essence de qualités spécifiques relevant de la nature et du genre. D’après Cresson et Gadrey (2004), « les métiers de care sont des métiers hétéronormés [...] » (p.37). Ce monde, majoritairement féminin, évolue ainsi dans le patriarcat. En ce sens, cela justifie et légitime certains pouvoirs capitalistes concernant l’oppression de ces femmes qui amène ainsi à la dévalorisation de leurs carrières (Falquet, 2009). Une dynamique de rapports sociaux de sexe persiste au sein de la profession infirmière, car les médecins, les administrateurs et l’État gardent l’autorité légale de décider de leur rôle professionnel (Thifault, 2012, p.11). Également, selon Bourgault et Hamrouni (2016), les femmes se retrouveront toujours perdantes, car le marché du travail est « investi de valeurs masculines et organisé d’après le modèle du " travailleur idéal " » (p.4). Ce sentiment de perte vis-à-vis du fonctionnement social et économique freine l’accès à une reconnaissance du travail de care. Dans un même ordre d’idées, « même bardées de diplômes, les professionnelles de la santé – en majorité des femmes – ont encore

aujourd’hui des conditions de travail instables, une rémunération peu élevée et une autonomie incontestablement relative » (Thifault, 2012, p.10). Effectivement, « à compétences égales et à travail égal, les femmes sont payées environ 20% de moins que les hommes » (Bouchard & Namaste, 2013 ; Federici, 2019). Cependant, la rémunération du travail de care n’est pas sans ambiguïté. Selon Dang et Letablier (2009), « elle fait certes sortir le travail de " care " de son invisibilité, mais risque de confiner les femmes dans des rôles familiaux » (p.15). Ces auteurs affirment également que la conceptualisation du care, comme un travail rémunéré, ne devrait pas être en tant qu’activités inhérentes aux femmes, mais bien comme un travail assorti d’une reconnaissance sociale pour les personnes qui assurent le travail de soins, ouvrant accès à des droits sociaux qui leur sont attribués. Pour ces raisons, il est important de valoriser et de reconnaître les métiers de care comme des professions à part entière et non seulement pour les qualités que ces employés ont naturellement. Il a également été démontré que le capitalisme et le patriarcat sont deux systèmes qui se renforcent mutuellement pour discréditer ou fragiliser toute manœuvre émancipatoire (Surprenant, 2013, p.21). Puisque d’après leurs pensées, « les femmes ne sont presque jamais représentées comme des figures capables de combattre pour elles-mêmes » (Federici, 2019, p.33). Il est alors difficile, pour les infirmières, de réaliser toutes sortes d’actions politiques au sein de cette société pour revendiquer ces contraintes. Par ailleurs, l’emprise de l’idéologie biomédicale sur l’exercice de la profession infirmière et sur le système de santé en général découle d’un pouvoir patriarcal certain.