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4. Physiopathologie

4.2 Infections invasives

Les infections invasives sévères, telles que la fasciite nécrosante, sont caractérisées par des lésions tissulaires profondes extensives, une dissémination vasculaire, et des manifestations cliniques systémiques (dues aux exotoxines pyrogènes) grevées d’une importante morbidité et mortalité. Un sous-ensemble de facteurs de virulence incluant SSE, SLO et SlaA, endommage directement les tissus de l’hôte. D’autres facteurs de virulence tels que SLO, Mac1/IdeS et SpyCEP endommagent indirectement les tissus en induisant une coagulopathie, inactivant les polynucléaires (PMN) et clivant des molécules immunitaires. Enfin, des facteurs de virulence à large spectre, tels que SpeB, contribuent à la pathogenèse par de multiples mécanismes. Les molécules représentées sur ce schéma ne représentent qu’une partie des protéines du SGA connues impliquées dans les infections invasives ; d’autres facteurs de virulence et voies de pathogenèse existent.

D’autre part, la Figure 14 ne décrit pas toute la complexité de la pathogenèse engendrée par les systèmes de régulation (positive et négative) de l’expression des facteurs de virulence, spécifiques du stade et du site anatomique de l’infection.

La Figure 15 propose un modèle simplifié de l’initiation et de la progression d’une infection causée par une souche de SGA invasive.

Figure 14 : Schéma reflétant la complexité et l’imbrication des multiples voies de virulence impliquées dans les infections invasives à SGA (d’après Olsen et al. (87)).

SpeB, streptococcal pyrogenic exotoxin B,une cysteine protéase sécrétée ; SLO, streptolysin O ; Ska, streptokinase ; SSE, secreted streptococcal carboxylic esterase ; Mac1/IdeS, immunoglobulin G degrading cysteine protease ; SLS, streptolysin S ; SpyCEP, Streptococcus pyogenes cell envelope protease ; SlaA, streptococcal phospholipase A2 ; Sda1, streptococcal DNase I.

Figure 15 : Proposition de modèle concernant l’initiation et la progression des infections causées par une souche invasive de SGA de sérotype M1T1 (d’après Cole et al. (39)).

Le SGA sauvage de sérotype M1T1 adhère et envahit les cellules épithéliales. Quand la bactérie atteint le tissu sous épithélial, les neutrophiles sont recrutés au site de l’infection et exercent une pression sélective sur la population bactérienne conduisant à des mutations spontanées dans l’opéron covRS. Les mutants engendrés peuvent échapper à la destruction par les neutrophiles et ainsi, promouvoir la destruction tissulaire et l’infection systémique.

Nous allons détailler dans cette partie, les dernières connaissances actuelles concernant les interactions du SGA avec l’hôte impliquées dans les infections invasives. Les différentes interactions déjà décrites précédemment dans les parties « Facteurs de virulence » et « Physiopathologie des pharyngites », ne sont pas toutes rappelées ici.

Porte d’entrée : L’invasion de l’hôte peut survenir soit à la suite d’une infection superficielle par le SGA (pharyngite, par exemple), ou par inoculation directe via une blessure parfois minime (lacération, abrasion, piqûre d’insecte, traumatisme mineur…) voire un simple traumatisme contondant (98). Une blessure du muscle squelettique entraînerait une expression cellulaire accrue de vimentine, responsable de la liaison du SGA aux cellules musculaires squelettiques. Mais la porte d’entrée n’est pas toujours retrouvée. D’après Lamagni et al., environ un cinquième des cas de bactériémies observés n’auraient pas de site d’infection primaire défini, de lésion pénétrante ou de facteurs de risque (99).  Diffusion tissulaire : De nombreux facteurs de virulence ont été caractérisés mais leur rôle

exact dans la virulence du SGA in vivo reste encore peu connu. Parmi les protéines impliquées dans la diffusion tissulaire du SGA, citons : SlaA, une phospholipase A2 sécrétée

dans le milieu extracellulaire dégradant des acides gras ; la protéase SpyCEP dégradant des cytokines chimiotactiques sécrétées par les polynucléaires ; l’estérase SSE ; et la streptolysine S (SLS) tuant les cellules par la formation de pores. Certaines enzymes sont sécrétées (SlaA et SSE), elles peuvent endommager les tissus de l’hôte de façon diffuse les préparant à l’invasion généralisée par le SGA. Tandis que d’autres sont localisées à la surface cellulaire (SpyCEP et SLS) concentrant leur activité sur les nouveaux obstacles rencontrés à la pathogenèse tels que les effecteurs de la réponse immunitaire de l’hôte, et les membranes basales des cellules qui doivent être franchies avant de réaliser la dissémination vasculaire.

Détournement de molécules de l’hôte : Un concept en expansion à propos de la pathogenèse du SGA est que le microorganisme envahisseur détourne des molécules de l’hôte pour faciliter la progression de l’infection. Par exemple, la protéine sécrétée Mac1/IdeS, homologue de l’intégrine-β2 des leucocytes humains, mime un récepteur de l’hôte et se fixe aux polynucléaires via le récepteur CD16 bloquant leur rôle dans l’immunité innée (100). La protéine Mac1 possède également une activité endopeptidase spécifique aux IgG. Par ces deux mécanismes, la protéine Mac1 améliore la survie du SGA dans les tissus. Un autre exemple, la cystéine protéase large spectre SpeB est bien connue pour sa capacité à cliver des molécules de l’hôte (Fn, vitronectine, vimentine…) ainsi que des médiateurs de l’immunité tel que le peptide antimicrobien LL37. SpeB active également des métalloprotéinases (MMPs) de matrice de l’hôte. Ces enzymes dérégulées pourraient

dégrader directement des composants de la matrice extracellulaire de l’hôte servant de barrière à la dissémination microbienne, par le même processus que celui ayant lieu dans les cellules tumorales métastatiques. La perte du rôle normal de ces MMPs, impliquées dans le remodelage et la réparation des tissus, pourrait également intensifier les dommages tissulaires. Les protéines MMP2 et MMP9 activées par SpeB stimuleraient le relargage de molécules pro-apoptotiques (TNFα et FasL) par les cellules infectées (101). Un dernier mécanisme de virulence, détournant à son avantage des molécules de l’hôte, est l’utilisation du système du plasminogène humain. Le SGA capture le plasminogène, le séquestrant grâce à plusieurs molécules liées à sa surface cellulaire (Prp, GAPDH, SEN). La streptokinase (Ska) convertit ensuite le plasminogène en plasmine, une sérine protéase large spectre qui accroît la virulence du SGA par la dégradation enzymatique des tissus de l’hôte et l’interférence avec le processus de coagulation.

Transition d’infection localisée à invasive : Plusieurs études suggèrent que le SGA subit une transition moléculaire très complexe facilitant la progression d’une infection localisée en une infection invasive (86). Le transcriptome correspond à l’ensemble des ARN issus de la transcription du génome, témoin de l’expression des gènes actifs. Le transcriptome du SGA évoluerait à chaque étape de l’infection. Ainsi, le potentiel de virulence d’une souche de SGA n’est pas seulement déterminé par son répertoire de gènes de virulence. La capacité à causer une maladie est également significativement influencée par les systèmes de régulation de l’expression des gènes. Le système de régulation CovR/CovS joue un rôle clé dans ce mécanisme de switch du transcriptome responsable d’une virulence accrue. En régulant négativement jusqu’à 15% du transcriptome du SGA, dont plusieurs facteurs de virulence cruciaux pour la maladie invasive, CovR/CovS joue un rôle central en dirigeant le phénotype de la maladie (102). Par exemple, quand le système CovR/CovS est inactivé, les gènes codant les facteurs de virulence tels que SpeB, SpyCEp, Ska, Sic, et SdaD1 sont fortement sur-régulés. Il est important de noter que CovR/CovS répond à une grande variété de signaux environnementaux, dont une température augmentée, un pH acide, un Mg2+ élevé, tous présents dans des tissus nécrotiques, et qui pourraient indiquer la

transposition du SGA d’un site muqueux à un site invasif.

Mécanismes de régulation de l’expression des facteurs de virulence : Pour ajouter à la complexité de la pathogenèse du SGA, plusieurs données ont mené à une compréhension détaillée des dynamiques d’expression des facteurs de virulence. Le parfait exemple en est SpeB. Il est exprimé très faiblement durant la phase précoce de croissance, permettant aux molécules de surface telles que protéine M et PrtF1 d’interagir avec les cellules de l’hôte et contribuant à l’adhésion. Puis au cours de la croissance, SpeB est sur-régulé en réponse à des stimuli environnementaux (pH, stress nutritionnel). A ce stade, SpeB inactive par

dégradation protéique les molécules de surface du SGA, a priori responsable du détachement du microorganisme de ses sites d’adhésion. Simultanément, SpeB dégrade des molécules de la cellule hôte, facilitant la dissémination tissulaire. Pour pouvoir franchir l’étape bactériémique, SpeB pourrait être sous-régulé, rétablissant l’activité de facteurs de virulence tels que la protéine M et la DNase Sda1, favorables à la survie du germe dans le sang. En revanche, bien que SpeB puisse être sous-régulé dans le sang, il a été clairement montré qu’il était produit dans les tissus humains in situ au cours de FN. SpeB est donc un facteur de virulence crucial dans les infections sévères avec destruction tissulaire. De multiples voies de régulation collatérales et s’entrecroisant seraient responsables de ces profils d’expression spatio-temporels particuliers.

Facteurs de l’hôte : L’évolution d’une infection ne dépend pas uniquement des facteurs de virulence de la bactérie, mais également de facteurs de l’hôte. Il est bien établi que des individus infectés avec la même souche peuvent développer des manifestations cliniques très différentes. Le rôle important de l’environnement de l’hôte, des comorbidités et de la génétique (haplotypes HLA particuliers (32)) ne sont devenus évidents que récemment. Parmi les patients de pédiatrie, un antécédent de varicelle (103), la présence d’un autre enfant dans le foyer, et l’utilisation récente d’AINS (104) semblent associés à un risque accru d’infections invasives. De façon intéressante, les FN sont relativement rare chez ces jeunes patients (105), suggérant des interactions hôte-pathogène spécifiques de l’âge qui pourraient exister pour les FN et pas pour les autres infections invasives. Parmi les patients adultes, l’usage de drogue intraveineuse, d’AINS, l’alcoolisme, la malignité et le diabète prédisposeraient aux infections invasives (77,80,106). Toutes ces conditions pourraient conférer une immunosuppression relative ou entraîner d’autres défauts anatomiques et/ou physiologiques responsables d’une susceptibilité accrue.