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Une indivision assouplie

Dans le document Propriété intellectuelle et indivision (Page 43-47)

B. L’indivision ou « La légende des siècles »

II. P ROPRIETE INTELLECTUELLE ET INDIVISION : UNE PROMESSE D ’ENGAGEMENT

1. Une indivision assouplie

L’assouplissement des règles de l’indivision est principalement le fait de l’élaboration d’un cadre autorisant une organisation plus efficace de la gestion des biens (a) tout en continuant, dans le même temps, à assurer aux indivisaires une autonomie juridique et patrimoniale (b).

a) Gestion organisée de l’indivision

La gestion de l’indivision suppose non seulement que les indivisaires puissent agir a minima sur les biens, mais que tous les indivisaires puissent y parvenir, y compris les usufruitiers et nus-propriétaires.

Pouvoir d’agir sur les biens

41. - Si le principe de l’unanimité continue de régir les relations entre

indivisaires, le législateur de 1976 a pris soin néanmoins de nuancer son application en fonction du type d’acte concerné. Chaque indivisaire peut, en effet, prendre seul des mesures nécessaires à la conservation des biens indivis (art. 815-2 C. civ.) avec la perspective de rentrer dans ses fonds quand bien même la dépense n’aurait pas amélioré le fonds (art. 815-13 C. civ.). Afin d’éviter les situations de blocage qui accompagnent parfois une stricte application du principe d’unanimité, l’indivisaire peut également avoir recours au juge pour être autorisé à passer seul un acte sans le consentement

1 H. CAPITANT, « L’indivision héréditaire », art. préc., pp. 20 et 21. L’auteur explique en effet que tout d’abord, la prolongation de l’indivision est beaucoup plus fréquente que ne l’avaient pensé les rédacteurs du Code. De plus en plus, l’indivision se prolonge jusqu’au décès du conjoint survivant auquel on laisse, par respect, une situation matérielle inchangée. A son décès, on procède alors à la liquidation et au partage de la communauté et des propres des époux. L’indivision est alors double, puisqu’elle comprend non seulement les biens du prédécédé mais aussi de la communauté elle-même. Il en est de même lorsqu’il y a un mineur parmi les cohéritiers. On attend en général sa majorité pour procéder au partage. Enfin, les craintes envers l’indivision légale se sont quelque peu dissipées, depuis que les lois sur les habitations à bon marché et la petite propriété rurale (loi du 5 décembre 1922) et sur le bien de famille (loi du 12 juillet 1909) encouragent et imposent, même sur la demande d’un seul cohéritier, le maintien de l’indivision dans l’intérêt de la famille. Ensuite, le nombre et l’importance des biens héréditaires qui restent dans l’indivision sont bien plus grands qu’en 1804. La catégorie des meubles s’est élargie au cours du XIXe siècle, du fait des émissions plus fréquentes de rentes, d’actions, d’obligations représentées par des titres et qui par nature demeurent indivisibles entre les cohéritiers. Il en est de même pour les droits d’auteur, brevets d’invention, offices ministériels, fonds de commerce, qui ont également fait l’objet d’un grand développement.

d’un coïndivisaire, à condition que le refus de ce dernier soit de nature à mettre en péril l’intérêt commun (art. 815-5 C. civ.) ou pour lui demander de prescrire toutes mesures urgentes que requiert l’intérêt commun (art. 815-6 C. civ.). La possibilité ainsi offerte de recourir au juge révèle l’intention du législateur de favoriser l’intervention du juge afin d’assurer un prompt règlement des difficultés de la vie en indivision. 1 C’est la « double face » du régime juridique de l’indivision 2 qui se trouve incarnée dans la mise en œuvre des pouvoirs du Président du Tribunal de grande instance dont la mission délicate 3 consiste à assurer un équilibre entre les intérêts individuels des indivisaires et leur intérêt commun. Il veillera ainsi, d’un côté, à préserver leur égalité et, de l’autre, leurs intérêts personnels en retardant, par exemple, le partage de l’indivision. Concrètement, le rôle dévolu au juge est donc, lui aussi, double : il doit peser les intérêts particuliers dont se prévalent les indivisaires, en faisant abstraction des intérêts étrangers à cette qualité, et rechercher ensuite où se trouve la discordance ou la concordance entre ces différents intérêts pour éventuellement dégager la présence d’un intérêt commun. 4

Le même souci d’équilibre est à l’origine des dispositions concernant la représentation des indivisaires entre eux. Un allègement de la procédure d’unanimité est ainsi prévu par la possibilité d’utiliser les mécanismes de représentation : la gérance (art. 815-12 et 1873-10, al. 1er C. civ.), l’administration judiciaire (art. 815-6, al. 3 C. civ.), le mandat et la gestion d’affaires (art. 815-3, al. 1er et 815-4, al. 2 C. civ.). Réservée à certains actes et soumis au respect de certaines conditions, l’instauration de ces mécanismes de représentation ne saurait cependant comporter d’incidence sur la détermination de la nature juridique de l’indivision qui demeure le fait d’une appropriation commune, et non d’une appropriation collective des biens 5, ce qui signifie qu’elle ne peut, n’ayant pas la personnalité juridique, être assimilée à une société. 6 Malgré ces aménagements, il convient de ne pas oublier que le principe demeure celui de l’unanimité, assurant ainsi une stricte égalité entre les indivisaires, égalité propre au régime de l’indivision.

1 Sur les pouvoirs du juge avant la réforme, voir J. PATARIN, « Le pouvoir des juges de statuer en fonction des intérêts en présence dans les règlements de succession », Mélanges offerts à P. Voirin, L.G.D.J., Paris, 1966, p. 618-637. Sur les pouvoir du juges après la réforme, voir C. WATINE-DROUIN, « Le rôle du juge relativement à la gestion et à l’utilisation des biens indivis », R.T.D.civ., 1988, pp. 267-317, sp. p. 270.

2 Pour emprunter les termes du professeur Patarin, « La double face du régime juridique de l’indivision »,

Mélanges dédiés à D. Holleaux, Litec, Paris, 1990, pp. 331-343.

3 La mission demeure cantonnée à la gestion d’intérêts privés. Elle ne peut justifier sa saisine d’office. Le recours est ainsi doté d’un caractère subsidiaire.

4 C. WATINE-DROUIN, ibid., p. 298. Cette mission montre ainsi toute l’ambivalence contenue dans la notion d’intérêt commun. Sur la notion elle-même, voir T. HASSLER, « L’intérêt commun »,

R.T.D.com., 1985, pp. 587-637.

5 Sur cette distinction, voir supra, n°36.

Usufruit et nue-propriété

42. - Le Code Napoléon était muet sur le sort à réserver aux

usufruitiers et aux nus-propriétaires. La présence croissante 1 d’un usufruitier au sein de l’indivision successorale a encouragé le législateur de 1976 à parer à cette éventualité. Constituant un apport essentiel de la réforme 2, l’organisation des relations entre, d’une part, les coïndivisaires en usufruit ou en nue-propriété et entre les usufruitiers et nus-propriétaires, d’autre part, va aussi dans le sens d’une grande souplesse. Si la loi déclare que le régime légal et conventionnel de l’indivision leur est applicable (art. 815-18 et 1873-16 C. civ.), elle rappelle néanmoins implicitement le principe de leur indépendance, c’est-à-dire de l’impossibilité de constituer une indivision entre eux. 3 Seule une convention peut être conclue entérinant ainsi les possibilités d’un terrain d’entente commun que vient, en outre, renforcer l’institution d’un droit de préemption au bénéfice de l’usufruitier ou du nu-propriétaire en cas de cession par le nu-nu-propriétaire ou l’usufruitier de sa part de copropriété (art. 815-18 C. civ.). De même, l’interdiction pour le juge de procéder à la vente de la pleine propriété d’un bien contre le gré de l’usufruitier en cas de partage (art. 815-5 C. civ.) est de nature à garantir l’absence d’indivision entre eux 4 et révèle là encore la volonté d’apaiser les relations entre des personnes dont les intérêts apparaissent, de prime abord, antagonistes.

Cette volonté est toutefois contrebalancée par le maintien d’une certaine autonomie des indivisaires.

b) Autonomie juridique et patrimoniale des indivisaires

L’autonomie individuelle fondée sur les valeurs chères au législateur révolutionnaire demeure au centre de l’indivision, par la faculté dont bénéficie les indivisaires de sortir de celle-ci

1 Au moins depuis l’adoption de la loi n°72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation qui prévoit que le conjoint survivant bénéficie d’un droit d’usufruit sur la succession soit par l’effet de la loi (art. 767 C. civ.), soit par l’effet d’une libéralité entre époux (art. 1094-1 C. civ.). La condition du conjoint survivant est, néanmoins, en pleine évolution dans le sens d’un renforcement de sa position en pleine propriété au sein de la succession et d’une diminution corrélative de celle en usufruit, voir J. RAVANAS, « Le conjoint survivant. Approche comparative de sa condition successorale », R.R.J., 1992-2, pp. 313-318 ; Ph. RÉMY, « Les droits du conjoint survivant dans le projet de réforme des successions. Regards sur la lex ferenda », Ecrits en hommage à G. Cornu, 1994, p. 377 ; P. CATALA, « Proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant »; J.C.P., 2001, Actualité, pp. 861-863.

2 M. DAGOT, « L’indivision (Commentaire de la loi du 31 décembre 1976) », art. préc., n°53 à 56.

3 Ainsi, dans l’hypothèse où il n’y aurait qu’un seul usufruitier et un seul nu-propriétaire, leurs relations relèvent, à défaut d’indivision de part et d’autre, des seules dispositions des articles 598 à 624 du Code civil, voir P. CATALA, ibid., n°33, p. 92.

4 Loi n°87-498 du 6 juillet 1987, modifiant le 2ème alinéa de l’article 815-5 du Code civil relatif à la vente d’un bien grevé d’usufruit, ; R.T.D.civ., 1987, p. 811, obs. F. ZÉNATI.

Faculté de partage

43. - Malgré la recherche d’une certaine stabilité, la loi de 1976 n’a

pas moins continué à consacrer le principe du droit au partage, récemment érigé par le Conseil constitutionnel en principe fondamental 1, dans la mesure où l’article 815 du Code civil demeure toujours au centre du régime légal de l’indivision. La convention elle-même ne peut surseoir au partage que dans une limite de cinq années (art. 1873-3 C. civ.). De même, en cas de convention conclue pour une durée indéterminée, le partage peut être demandé à tout moment (art. 1873-3, al. 2 C. civ.). La liberté de l’indivisaire se trouve également renforcée, de façon paradoxale, par la consécration légale du partage partiel qui, s’il permet de laisser subsister une indivision réduite, facilite à l’indivisaire sa sortie de l’indivision en cantonnant le partage à l’attribution de sa part, dénommée « attribution éliminatoire » (art. 815, al. 3 C. civ.).

Cette logique individualiste est, enfin, fortement marquée par la faculté, certes conditionnée, pour les indivisaires de quitter l’indivision par la cession de leur part de copropriété (art. 815-14 C. civ.). L’individualisme reste donc, en contrepoint d’une organisation sophistiquée de l’indivision, le principe essentiel permettant à chaque indivisaire de recouvrer sa liberté par la reconnaissance d’un droit de propriété exclusif sur la chose, ou du moins, une partie de celle-ci.

Actes de disposition et d’administration

44. - Dans le même ordre d’idées, la gestion de l’indivision demeure

soumise au principe égalitariste de la prise de décision unanime. Ainsi, les actes de disposition et d’administration sont toujours accomplis après accord unanime des indivisaires (art. 815-3 C. civ.). L’intérêt personnel des indivisaires est, en outre, conforté par la possibilité, malgré une forte autonomisation de la masse indivise (art. 815-10 C. civ.), d’obtenir sa part annuelle dans les bénéfices (art. 815-11, al. 1er C. civ.), ainsi qu’une avance en capital (art. 815-11, al. 4 C. civ.), de recevoir une rémunération pour toute activité déployée au service de l’indivision (art. 815-12 C. civ.) ou de percevoir un remboursement des impenses (art. 815-13 C. civ.).

L’état du droit positif est ainsi, à partir de 1976, de nature à encourager le recours à l’indivision dont le régime paraît dorénavant beaucoup moins contraignant.

1 Cons. const., 9 novembre 1999, loi relative au pacte civil de solidarité : J.O., 16 novembre 1999, p. 16962 ; Petites affiches, 1er décembre 1999, 6, note J.-E. SCHOETTL ; Dr. fam., Le Pacs, hors série, déc. 1999, p. 46, note G. DRAGO ; « La réécriture de la loi relative au Pacs par le Conseil constitutionnel », J.C.P., 2000, I, 210, note N. MOLFESSIS ; R.T.D.civ., 2000, p. 870, obs. T. REVET ;

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