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Il convient de nous associer à Nuttin (1985, p. 216) pour préciser que notre sujet

attribue une « valeur subjective ou valence » en fonction d’une mesure à la fois

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dépendante de lui-même, de ses attentes, besoins, mais aussi de ce qu’il a « intériorisé »

socialement. « La construction d’une échelle de valeur objective, et la tendance à

s’évaluer en fonction de cette échelle, est une manifestation du dynamisme général à

entrer en relation avec le monde, aux différents niveaux du fonctionnement de

l’individu, et à s’intégrer à ce monde pour y être accepté et s’y développer. » C’est

pourquoi elle fait appel à « la construction d’un monde idéel qui englobe la réalité

totale ; c’est dans ce monde que l’échelle veut "mettre tout à sa place".

[…]

Il est

intéressant de noter que ce que la société appelle ordre moral est une des formes de ce

que nous appelons ici échelle des valeurs normatives. En rejetant, par exemple, un tel

ordre moral, l’individu rejette une forme spéciale de ces échelles pour en construire une

autre, plus conforme à sa conception de la réalité ultime. Dans cette nouvelle

construction, l’homme prétend, une fois de plus, s’installer dans l’ordre ou le désordre

qui constitue le fond des choses, même s’il est d’avis que la seule réalité valable est

précisément l’intérêt personnel. La psychologie du comportement ne peut ignorer

l’effort humain pour dépasser, dans sa motivation, le niveau des valences purement

personnelles, étant donné l’influence de cet effort sur la conduite. Le fait qu’il essaie

souvent de "justifier" sa conduite montre que cet effort fait partie de sa motivation

personnelle » (Nuttin, 1985, p. 216-217).

Au-delà de l’interaction qui lui permet de voir, à travers les réactions suscitées, s’il

bénéficie d’une approbation ou non, l’enjeu reste d’atteindre ce que Terraz nomme

« valeur-actitude » ou « "valeur" morale choisie de manière consciente, réfléchie et

raisonnée par une personne qui y adhère (en tant qu’elle vaut, est désirable, donne du

sens, représente un idéal, un repère, un guide d’action) inséparable et interdépendante

de sa mise en action concrète à travers une attitude colorée par l’action juste (ou

"actitude"). » Terraz ajoute que nous sommes en présence d’une « tentative motivée

d’intériorisation et d’incarnation personnelle de la valeur choisie dans la singularité des

situations particulières, des dilemmes éthiques, comme dans la quotidienneté de la vie

éthique. Il s’agit d’une "valeur-attitude-en-acte", tendue vers et colorée par l’action juste

[...]

De la même manière que l’on ne devient jamais totalement une "personne", on ne

devient jamais totalement "vertueux" ; aucune vertu n’est définitivement acquise, elle

est toujours perfectible. S’exercer à la vertu consiste à s’auto-objectiver, se remettre

sans cesse en question, s’auto-critiquer pour progresser et tendre à s’améliorer sans

cesse. Ainsi, l’éthique de la vertu commence véritablement dès lors que l’on est capable

de reconnaître nos propres limites, failles, carences morales, et que l’on décide de

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progresser de manière consciente et libre vers certaines vertus morales que l’on

reconnaît comme bénéfiques pour soi et pour autrui. »

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Ce mouvement introspectif n’écarte pas la dimension collective indispensable pour

progresser. La rencontre humaine demeure essentielle. La parole peut constituer une

aide précieuse. Le rappel de sa vie, l’arrêt sur les nœuds de l’existence permet de lever

des incompréhensions. Les récits mettent souvent en exergue des situations pénibles car

confuses et, de ce fait, subies. Ces-dernières sont à revisiter pour éviter les blocages,

recouvrer le sujet agissant derrière le patient pâtissant, saisir des opportunités et leur

conférer un caractère heuristique. Il convient de renouer le fil de l’histoire. C’est par

l’éclaircissement fluidifiant du processus cognito-émotionnel qu’il devient possible

d’élaborer un discours transformant sa réalité en « vérité fictionnalisée, mise aux

normes du vécu collectif socialement acceptable, et quotidiennement recevable »

(Farrugia, 2009, p. 19). C’est ainsi que délier les langues peut libérer des chaînes

passées pour mieux vivre le présent, s’approprier et transformer les règles pour se

projeter dans un futur commun plus serein. Qu’il s’appuie sur des pairs ou d’autres

personnes-ressources dans une relation symétrique constructive de confiance, ce

mouvement articulant narrativement « rétrospection » et « prospection » (Ricœur, 1990,

p. 193) se fonde sur « l’avant » pour l’actualiser dans une relecture et une nouvelle

perception du monde de « l’après ». Chacun devient alors éclaireur, riche d’une

mémoire suffisamment élaborée pour s’inscrire fructueusement dans l’espace d’une

humanité faiseuse d’avenir. Usant de sa conscience, il se confronte à l’Autre, élabore,

évolue dans son raisonnement et sa pratique, contribuant ainsi à convertir l’opinion

collective en un savoir marqué par « un progrès nouveau dans la science contemporaine,

elle vient de passer du général au relatif : générale, elle appartenait encore à tous les

éléments d’une totalité, c’était en cela qu’elle était générale et demeurait absolue, c’était

aussi par les éléments qu’elle avait un sens réel ; on saisissait bien, à ce stade de la

construction la convergence du général et du réel. Mais, trait tout nouveau, voici la

pesanteur philosophiquement relative ; dès lors, elle n’appartient plus qu’à la totalité

comme telle, non à ses éléments. Elle est fonction d’un tout sans être fonction des

parties. On peut dire que la propriété transcende la généralité en ce sens qu’elle est une

généralité. Ce mouvement de pensée paraît bien marquer une réaction contre la

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TERRAZ, Tommy. (2016). Quand la valeur morale devient vertu non substantielle : le cas d’une

éthique d’inspiration vertuiste dirigée vers l’altruisme dans le champ éducatif. Dans FABRE,

Michel, L’idée de valeur en éducation : sens, usages, pertinence. Paris : Éditions Hermann. p. 50.

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tendance ontologique qui nous pousse à substantialiser les attributs ou tout au moins à

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