l’incarcération par le truchement d’un avocat le défendant dans une affaire d’import-export. Notre compère a géré, enfant, une poissonnerie familiale tout en vacillant dans ses études bien qu’il était initialement brillant élève. Il s’est rapidement libéré de ce commerce sédentaire pour tenir un stand sur les marchés. Il s’est familiarisé avec les choix de produits, les « enchères […] sur la marchandise invendue » a contrario des « marchandises rares, elles sont vendues direct. en fait, dès le matin ». Inspiré par la rareté, il l’appréciait d’autant plus qu’elle libérait son après-midi pour lui permettre à seize ans de suivre des cours en coiffure mixte, celle ouverte à tous. Il a offert ses services dans les hôtels de Tanger. Il importait de s’adapter pour « toucher la clientèle étrangère pour […] viser vraiment les gens qui ont les moyens », afin de payer les honoraires du professionnel devant dénouer les ennuis judiciaire de son parent. Contraint de se professionnaliser sans disposer de mannequin lors de ses études, il se rendait régulièrement à la plage pour effectuer des brushings, coupes et autres réalisations à titre gracieux. Observant des touristes louant des kite-surf, constatant l’absence d’accompagnement en ce domaine, il s’est rapproché de ceux chargés de la location d’équipement de plage. « Je les aidais à ranger et petit-à-petit, je suis devenu […] copain et tout et, du coup, ils me prêtaient le matériel ». Cette connivence lui permit de s’entraîner jusqu’à devenir moniteur. « Je donnais des cours, […] les gens vont apprendre avec la pratique, […] je leur fais sentir en fait sur le sable la force du vent et tout ». Souhaitant former en langues anglaise, espagnole, française et allemande, il s’est tourné vers les vacanciers et basé sur la « phonétique et tout, j’écrivais et tout, et j’apprenais et, et du coup en fait, juste des petites phrases » pour transmettre les principes et gestes élémentaires. Passant ensuite un entretien pour travailler dans une base nautique, le directeur l’a sollicité pour un cours. « Je lui ai appris et du coup, je p. 151 suis rentré comme moniteur, parce que c’est rare un Marocain qui sait faire du kite-surf. Et à partir de là, ça m’a ouvert une grande porte et petit-à-petit, j’ai, j’ai grimpé les échelons dans le tourisme. Et du coup […], je suis devenu […] animateur de sports terrestres et nautiques, [...] responsable de sport et après […] directeur d’animation. Et après, je suis redevenu moniteur parce que je gagnais mieux ma vie qu’en tant que directeur de "machin", parce que j’avais trop de responsabilités et je n’avais pas le temps en fait de, de, de chercher des extras, parce que j’avais qu’un salaire fixe c’est tout ». Recruté par « la première agence qui a, qui a élaboré en fait le, le système tout inclus ou "all inclusive" dans le monde, […] j’ai pu en fait voyager [...]. J’ai fait que des ouvertures de centres nautiques [...] j’ai voyagé beaucoup en fait au Etats-Unis, en Inde et dans les Iles. J’étais au Japon, au Chili, en Egypte, en Grèce et donc, dans plein, plein de pays. Et après en fait voilà, après je suis tombé amoureux d’une Française, donc elle a plus d’engagements ici en France. […] C’était pas du tout, en fait, le pays où je pensais m’installer et tout, parce que pour moi […] c’était les, les clients les plus râleurs et jamais contents les Français. […] Ce pays-là, je n’ai pas envie de m’y installer et finalement, voilà je suis… le cœur toujours en fait qui, qui est beaucoup plus voilà, qui oblige en fait de changer complétement. Et du coup, je me suis installé avec ma femme […] à Strasbourg ». Une fois ici, il pense qu’il faut « que j’apprenne le français parce que j’aime ma femme, j’ai envie de vivre avec elle ; elle a plus d’engagements que moi parce qu’elle a sa fille, machin et tout ; donc voilà je, je vais apprendre le français. Et du coup, j’ai commencé à travailler avec les enfants, j’ai commencé à travailler dans une école privée. J’ai commencé avec les petits. Je me suis dit : je vais travailler avec les enfants parce que […] je ne veux pas dire […] la vérité sort de la bouche des enfants, ça ce n’est pas vrai, mais les enfants en fait, ne trichent pas ; […] dès que je fais une faute de français en fait, ils me corrigent ». Ainsi il est entré « dans le domaine social, mais j’ai fait genre des formations rares, genre surveillant de baignade. on était une trentaine, on était… très peu ont réussi à avoir le diplôme ». Il avait évité une question-piège tout simplement car « il ne faut pas compliquer la vie c’est tout. […] Grâce à ce diplôme-là, j’ai travaillé avec des handicapés mentaux, des polyhandicapés, des adultes handicapés. […] J’ai travaillé avec des enfants en difficulté, des adolescents […] j’ai organisé des itinéraires en fait en Italie avec des adolescents […] en difficulté et des autres ordinaires […] pace qu’il faut mélanger la population […]. J’ai eu beaucoup de difficulté dans le voyage mais c’est, c’est juste le dernier jour, on voit le résultat […] les gens pleurent […] p. 152 ils se rendent compte que s’est passé un excellent séjour. » Il estime que « le voyage c’est riche en fait, c’est la meilleure école en fait, le voyage c’est plus on va ailleurs, plus notre esprit, il s’ouvre et on change complètement en fait d’analyse. » Il ajoute après avoir évoqué la foi, « moi j’appelle ça la « spartacusation » […] parce que […] quand on est petit on grandit. Et nous, nos rôles en fait, ils sont tellement nombreux. […] Sous l’influence des parents, de la société et de l’entourage et tout […] on choisit seulement un seul chemin, mais on peut rester vulnérable toute la vie » Il déplore cette fidélité sclérosante, estimant « qu’il y a pas de trahison si on change et au contraire, il faut changer ; […] celui qui change pas, c’est, c’est dommage, […] c’est qu’il a une "monovie" […]. Il faut toujours qu’on change parce que […] on est à chaque fois un nouveau-né […]. Et là, ce n’est pas grave, on a grandi dans un monde, […] on peut retomber, plonger dans un autre monde et regrandir. […]. On a plusieurs vies en une seule vie […]. Maintenant je, je, je suis encore retombé et je fais une formation d’œnologie parce que j’adore […] ce métier et j’ai envie en fait de vivre de ce monde-là ; parce que maintenant je suis un bébé […] et je reviendrai et je progresserai […].Il faut toujours qu’on change parce qu’on évolue juste avec le changement. On change et on change et on n’oublie pas hein, on n’oublie pas ce qu’on a vécu justement […]. Ça reste, c’est un bagage. C’est un bagage toujours […] ça fait partie de notre histoire. […] Avant ça, j’ai travaillé dans l’isolation thermique aussi parce que j’ai voulu rentrer dans ce domaine. Après j’étais auto-entrepreneur, je prenais mes chantiers et ça tournait super bien et tout. Et après j’ai, j’ai quitté ce monde-là juste par parce que j’ai envie de vivre un peu plus longtemps. Dans la rénovation et tout en France, il y a encore de l’amiante qui traîne. […] Je préfère voilà inhaler, inhaler la vapeur des vins et liqueurs que, que la poussière des chantiers ». Nous retrouverons plus tard ce tumultueux personnage sensible aux autres, à la vie avec ses hauts et ses bas, à la rareté, l’inédit, la convivialité, au partage dont la ligne de conduite est de toujours observer, s’étonner, anticiper, changer, s’adapter, progresser pas-à-pas lors de son stage dans un célèbre restaurant strasbourgeois. Confronté au racisme de certains collègues, il s’est patiemment rapproché, parlementant pour comprendre le rejet dont il était victime, jusqu’à les apprivoiser finalement par sa gentillesse, ses attentions et traits d’humour. Ayant repéré le caractère assez ordinaire des coktails, il s’attachera à en élaborer de nouveaux plus originaux en termes d’esthétique et de saveur. Suscitant l’adhésion de sa hiérarchie, il s’est chargé de cette ligne de produits. Après s’être réjoui du plein succès de ses réalisations, il s’est reconverti dans les plaisirs odorants de la création de parfums, mélanges d’orient et d’occident, au Maroc. p. 153 7.1.4. LES CONCLUSIONS L’étude de ces entretiens, bien qu’ils ne constituent de loin pas un échantillon représentatif, permet néanmoins de dresser quelques pistes de réflexion. Elle met en relief un manque de pertinence à réserver aux originaires de France et de pays tiers la même approche en insertion socioprofessionnelle et, plus globalement, en sensibilisation à la santé. En effet, à l’inverse d’un sentiment communément répandu, il apparaît que les migrants ne sont pas les plus fragiles. Il leur faut une force vitale peu commune pour avoir eu le courage de l’exil. Ils ont bien entendu besoin d’informations sur notre pays, ses règles et traditions, les droits et devoirs… associées à une formation en français. Ces mesures n’excluent pas une prise en soins pour leur permettre de mieux résoudre les problématiques résultant des périples qu’ils ont parfois traversés. Mais surtout, il est utile d’avoir conscience de l’apport qu’ils représentent pour nous. Et si nous voulons tous en bénéficier, il convient de se pencher sur nos compatriotes qui nécessitent une attention particulière du fait d’une réelle vulnérabilité. Les ressortissants français évoluent dans un pays qualifié de sixième puissance Dans le document Normes et pouvoirs : approche de l'édification d'une démocratie "en santé", l'exemple des stagiaires en insertion sicioprofessionnelle (Page 151-154)