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9.4 Discussion et implications des résultats

9.4.2 Interprétations, implications et comparaisons aux données de la littérature

9.4.2.1 Incidences des arrêts toutes causes

Dans notre étude la proportion brute des arrêts (3628/4669 soit 77,7 %) parait plus importante que les 36 % à 61 % retrouvées dans la littérature [8-11, 64, 102, 103]. La proportion élevée dans notre étude pourrait être due à :

• au long suivi (9,5 ans de suivi maximal et une moyenne de 15,9 mois) en comparaison

des études publiées ;

• à la définition de l’arrêt incluant les arrêts de moins de deux semaines contrairement à la

plupart des études ;

• à la prise en compte des arrêts pour simplification thérapeutique qui sont très fréquents.

Toutefois des proportions similaires à la nôtre ont déjà été retrouvées ailleurs. Aux Etats-Unis dans une cohorte uni-centrique avec 9 ans de suivi l’équipe de Kempf et al. [98] retrouvait une proportion de 78 % d’arrêts sur un échantillon relativement petit (N=631). En Espagne une étude multicentrique de De la Torre et al. [122] publiée en 2008 retrouvait une proportion de 79,4 % d’arrêt sur un suivi de 7 ans.

L’examen de la fréquence élevée des arrêts selon le temps de suivi révèle une survenue non- linéaire et un caractère précoce de la survenue d’arrêt notamment dans les deux premières années d’initiation. Dans notre cohorte un patient sur deux interrompait sa première ligne avant la fin

du 13ème mois. Cette médiane est plus courte que celle des 17,5 mois de De la Torre

et al. [122] ou les 18 mois de Chen et al. [102]. Mais elle est plus grande que les 211 jours (≈7 mois) de Yuan et al. [64] et semblable au 11,8 mois retrouvée par Pallela et al. [12].

Dans notre cohorte une proportion non négligeable (37,9 %) de la population était sous combinaison incluant les non-nucléosides ou des « combinaisons autres » (12,9 %). En outre 26,9 % des patients avaient débuté leur traitement entre 2002 et 2005 dans notre étude, une période pendant laquelle les traitements utilisés avaient un profil de tolérance moins favorable et lors de laquelle les médecins utilisaient encore les stratégies d’interruptions thérapeutiques programmées avant les conclusions de l’étude SMART en 2006 [52]. Il est par ailleurs possible que même dans les années récentes (2006-2011) les médecins ont continué d’utiliser les molécules relativement « anciennes » avec l’idée qu’on ne change pas une équipe qui gagne. La constance dans les attitudes thérapeutiques des médecins, renvoyant à la question du suivi des recommandations mises à jour, méritent des investigations supplémentaires. Une autre explication de cette incidence élevée d’arrêt dans les 13 premiers mois du suivi est le

maximalisme thérapeutique. En effet à l’initiation du traitement le réflexe de médecin et patients peut être par exemple de « frapper fort pour éviter les résistances », au prix d’un risque de toxicité des molécules plus élevée pour le patient, et de maintenir plus tard le succès en simplifiant pour des molécules mieux tolérées, ce qui pourrait expliquer la proportion non négligeable d’arrêt pour simplification que nous observons.

Cette incidence élevée est surtout caractéristique des pays du Nord. Dans les pays du Sud :

• les patients sont plutôt sous les traitements génériques que les HAART de spécialité ;

• en raison de leur faible coût, les combinaisons d’INNTI sont uniformément utilisées en

première ligne et une faible proportion est sous combinaison d’IP ;

• les HAART des lignes ultérieures (deuxième, troisième etc.) ne sont pas toujours

disponibles ;

• le monitoring de la charge virale, qui est un soin standard dans les pays du Nord, est

rarement utilisé en raison de son coût élevé. Ce faisant, les médecins se fient aux critères immunologiques et cliniques pour identifier l’échec du traitement. Les tests de résistance sont également très peu utilisés ;

• la gratuité des soins est souvent clamée par les gouvernements et les ONG. Mais en

raison entre autres de conditions physico-chimiques de conditionnement (froid par exemple), et de ruptures fréquentes d’approvisionnement des HAART ou de réactifs pour les tests de laboratoires, la plupart des patients « payent de leur poches » les soins, faisant ainsi du coût de la prise en charge un issu majeur. Par exemple en Inde [16] la trithérapie la moins chère serait approximativement de 20 dollars par mois posant un substantiel fardeau pour un patient dans un pays où près de la moitié de la population vit avec moins d’1 dollar par jour.

Ces raisons expliquent en partie une durée de première HAART plus élevée dans les pays du Sud que dans les pays du Nord. Cette prise en charge dite approche de « santé publique » diffère de celle « individualisée » des pays du Nord [90]. En raison de cette différence de prise en charge il est difficile de comparer la proportion élevée des arrêts dans notre cohorte à celle relativement basse souvent retrouvée dans les pays du Sud. A titre d’illustration, à 1 an de suivi une proportion d’arrêt de 28 % est rapportée en Amérique latine (Caraïbe, Amérique du Sud et centrale) [101]. En Afrique du Sud, Keiser et al. retrouvent une proportion de 22 % à 2 ans de suivi [90]. En Côte d’Ivoire [104] une incidence de 24 % était retrouvée dans laquelle contribuait outre l’intolérance, l’échec thérapeutique, les arrêts pour grossesse et pour tuberculose. En Inde

Les proportions d’arrêt de notre étude sont en général plus élevées que celles retrouvées dans les essais cliniques. Par exemple une incidence de 15 % était montrée dans l’essai randomisé de Gallien et al. [193]. Dans les essais cliniques, les critères d’inclusions/d’exclusions sont souvent très restrictifs. Par exemple les patients présentant des comorbidités sévères ne sont couramment pas inclus. En plus de la randomisation le suivi y est très souvent plus strict. La population sélectionnée n’est donc pas représentative de celle prise en charge dans la « vraie vie », que les cohortes observationnelles représentent mieux. Il parait donc difficile de comparer cette incidence élevée dans notre cohorte à celle souvent plus basse rapportée dans les essais cliniques.

A propos des motifs d’arrêt, classiquement l’intolérance est la principale cause d’arrêt [8,9,109,122, 194]. Cela est similaire à ce qui est trouvé dans notre étude. Toutefois certains auteurs ont tout de même identifié l’échec virologique [98] ou le défaut d’observance [195] comme premier motif d’arrêt.