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« Le GPS est une technologie qui permet, à partir de coordonnées, de déterminer l’altitude, la longitude et la latitude, mais également des données temporelles. Ces données sont très simples, elles sont très banales, mais leur utilisation est très puissante. » (Masaki Fujihata, entretien, septembre 2005, Genève.)

Fujihata utilise pour la première fois la technologie GPS dans le cadre d’une ascension au mont Fuji en 1992. Dans ce travail, il multiplie les représentations afin de cerner cette action, l’escalade d’une montagne. Il propose différents points de vue simultanément, des cartes, des vidéos, des images de synthèse et des tracés produits avec un récepteur GPS qui créent ensemble une figure complexe et différenciée d’un territoire et, en même temps, d’une action.

49. Brouillage volontaire par le ministère de la Défense américain des données GPS d’environ 100 m, voir partie technologique.

Équipé d‘un récepteur GPS et d’un ordinateur qui permet l’enregistrement des positions captées, Masaki Fujihata filme en même temps son ascension sur le mont Fuji. Les données de cette action sont ensuite traitées et représentées sous différentes formes (tracé, image en mouvement, image de synthèse, descriptions) dans un dispositif multimédia interactif, visible généralement sur un écran d’ordinateur.

Les localisations GPS permettent de déterminer des points puis de tracer des lignes qui, décontextualisées, ne s’inscrivent ni dans une carte ou une image, mais apparaissent sur fond noir. À ces localisations spatiales s’ajoutent des indications temporelles. Certaines intersections, visualisées par des points sur les tracés, sont interactives et permettent, en cliquant, un accès à la séquence vidéo qui a été tournée à cet endroit précis.

La double polarité du GPS, c’est-à-dire la mesure exacte du temps et le géopositionnement, ont permis de capter l’itinéraire de l’artiste à partir des coordonnées spatiales et temporelles. Fujihata peut ainsi calculer la vitesse du parcours et produire une représentation en image de synthèse assez inhabituelle du mont Fuji. Celle-ci combine localisation et temporalité. En effet, ces données sont retraitées pour produire une image de synthèse de la montagne en articulant simultanément ces deux paramètres car, en fonction de la vitesse d’ascension ou de descente du mont Fuji, la forme de la montagne change. Autrement dit, la vitesse de progression ralentit à l’approche du sommet et, en intégrant la durée dans la forme de la montagne, celle-ci devient évasive. Lors de la descente, la vitesse augmente, les lignes se raccourcissent et transforment de la même façon la forme de la montagne en la compressant. La présentation du mont Fuji est ainsi liée à la fois à sa localisation spatiale, mais aussi à la donnée temporelle. La forme topographique et une expérience ponctuelle sont articulées et produisent une représentation tout à fait spécifique. Généralement présentée sur un ordinateur, l’interface interactive de Impressing Velocity montre les différentes images du mont Fuji simultanément. Le spectateur peut choisir entre les images de synthèse, le parcours ou les vidéos du parcours.

Initialement, Masaki Fujihata avait prévu une approche beaucoup plus géométrique, basée sur l’exécution de lignes droites. Il avait l’intention de faire le tour à la base du mont Fuji en deux heures, puis le tour au sommet également en deux heures afin d’obtenir une représentation cylindrique. Cependant, l’accès au mont Fuji dure plus longtemps que prévu et, surtout, l’impossibilité de faire le tour à la fois à sa base et à son sommet ont changé le concept initial. Au lieu d’effectuer un parcours droit, Masaki Fujihata doit donc s’adapter au relief de la montagne, aux contraintes topographiques et culturelles, en évitant par exemple la partie du mont Fuji où de nombreuses personnes se suicident. Finalement en ancrant cette expérience dans les contraintes de l’espace réel, le résultat final ne peut pas être le cylindre prévu, mais une image hybride

se situant entre le relevé territorial, la visualisation des conditions immatérielles, comme la vitesse de déplacement et l’enregistrement d’une action concrète (Masaki Fujihata, entretien septembre 2005, Genève).

Impressing Velocity est une proposition artistique qui met en scène la convergence

entre plusieurs approches territoriales. Les lignes GPS, résultat de calculs et non d’une vision rétinienne, représentent un parcours, l’enregistrement vidéo s’insère dans les lignes GPS et l’image de synthèse du mont Fuji, construite à partir des vitesses de parcours, s’y additionne. Le calcul de l’itinéraire et de l’image de synthèse se juxtapose à l’espace réel qui s’impose par les contraintes du relief spécifique du mont Fuji et par l’enregistrement vidéo.

Dans ce contexte particulier, les données de localisations permettent non seulement de représenter de façon automatique un itinéraire, de le situer dans un intervalle temporel spécifique, mais également de contextualiser les vidéos en indiquant le moment et leur lieu d’enregistrement. De Impressing Velocity émerge une représentation spatiale qui se situe entre objectivité et subjectivité : objectivité en raison de l’exactitude et l’automatisme des coordonnées et subjectivité en raison de la spécificité du moment vécu et enregistré.

En 1992, le fonctionnement du GPS était encore fondamentalement différent qu’aujourd’hui, car la « selective availabilty », c’est-à-dire le brouillage des données, provoquait une localisation qui pouvait afficher des écarts autour d’une centaine de mètres par rapport à la position réelle. Pour Masaki Fujihata, il était donc indispensable de faire corriger ces coordonnées avec les données par un institut géographique japonais. Complexes et laborieuses, ces corrections ont demandé deux années de travail. Cependant, ces données recueillies en 1992 sont, pour Masaki Fujihata, des données « nostalgiques », c’est-à-dire qu’en dépit du calcul et de l’automatisme des données GPS, la « selective availabilty » provoquait des données tellement décalées qu’il est impossible, après l’abandon de ce brouillage, de les générer à nouveau.

«Toutes les données que nous avons collectées en 1992 sont très importantes car ces lignes ne peuvent plus être générées aujourd’hui. Ce sont des données extrêmement brouillées, ce sont des coordonnées « nostalgiques ». Quand nous sommes montés sur le sommet du mont Fuji et que nous avons observé les données sur l’ordinateur portable, nous avons vu que nous étions 100 m au-dessus de notre réelle position, puis l’instant d’après, nous étions 50 m au-dessous. Mais nous n’avions pas bougé. Ça, c‘était la situation avec le brouillage de données. » (Masaki Fujihata, entretien, septembre 2005, Genève.)

Bien que Impressing Velocity paraisse à première vue très différent des projets GPS produits après 2000, il établit néanmoins leurs bases. Si la représentation de la vitesse de parcours par une image de synthèse est ensuite abandonnée, les travaux suivants se focalisent essentiellement sur la restitution des itinéraires subjectifs de Masaki Fujihata et sur l’intégration des vidéos dans ces parcours.

Field-Work@Alsace, 2002 et d’autres Field-Works