décisionnaires locales joue un rôle essentiel. En effet, les villes dotées d’une économie diversifiée,
plus ouverte à la « logique capitaliste d’entreprise » ou retranchée « dans le patronat des vieux sites
industriels » se montrent moins réceptives à la cause du petit commerce (Péron, 1993). La présence
et la force du mouvement contestataire incarné par le CID-Unati constitue une autre variable
déterminante pour expliquer la position plus ou moins protectionniste des élus locaux, même si son
effet n’est pas mécanique (Péron, 1993). De la même façon, la cohésion et l’engagement du
commerce de centre-ville — en particulier celui du grand commerce local — sont autant d’éléments
80
Il distingue deux logiques de développement : 1) le modèle « conservateur » des équilibres anciens, caractérisé par deux
orientations : protéger l’ensemble de l’agglomération de l’arrivée des grandes surfaces et minimiser/retarder les impacts
sur l’activité commerciale de centre-ville ; 2) le modèle « transformiste » marqué par des conditions favorables au
développement précoce des grandes surfaces et par des initiatives de réaménagement des places centrales. Ces
dynamiques furent tantôt le résultat du consensus entre les acteurs locaux (« villes ouvertes »), soit la résultante de
l’offensive d’investisseurs extérieurs et de la faiblesse de la défense locale (« places conquises ») (Péron, 1991).
qui concourent à accentuer les disparités entre les territoires. Bon nombre de commerçants locaux
ont réagi à l’installation des premiers hypermarchés en se lançant eux-mêmes dans la création de
points de vente, voire pour certains à ouvrir leurs propres hypermarchés et à contribuer de fait à
gonfler le taux d’équipement en grandes surfaces commerciales (Péron, 1993).
Deux facteurs liés à l’exercice du pouvoir politique sont également en cause : l’orientation partisane
des élus et la force de l’intercommunalité. Concernant la première, selon François Gresle (1980), le
clivage des positions ne s’inscrit pas dans une classique division gauche-droite. Chaque camp possède
en son sein des positions « conservatrices » et « modernistes ». Alors que la droite accueille les grandes
surfaces au nom du libéralisme, de son lien avec le monde de l’entreprise, la gauche le fait au nom
de la lutte contre l’inflation et la vie chère. Ainsi, on recense aussi bien des équipes de gauche que
de droite dans chacun des modèles de ville proposés par René Péron (Péron, 1993). Pourtant, ce
dernier constate que dans les « bastions », les équipes municipales en place (qu’elles soient de gauche
ou de droite) sont souvent associées à des centristes, plus détachés du pouvoir central et donc plus
soucieux de leur ancrage local. Ces derniers se montrent particulièrement réceptifs à la cause des
couches indépendantes, qui forme une de leurs bases électorales (Péron, 1991). À côté de ces
positionnements locaux, la cohésion intercommunale joue aussi un rôle déterminant dans la réussite
du protectionnisme local : « une forte concurrence intercommunale peut-être retenue parmi les
causes qui expliquent leur suréquipement relatif d’alors (Delobez, 1986) » (Péron, 1993 : 235).
Ces différences ont donné lieu à diverses configurations spatiales selon les stratégies locales
adoptées (Péron, 1993). Les « places conquises » se caractérisent par des implantations basées
uniquement sur des intérêts commerciaux, c’est-à-dire sur les terrains les moins chers, au plus près
des infrastructures routières et loin de la population. C’est aussi le cas des « villes ouvertes » mais
l’engagement des communes-centres aura tout de même permis d’améliorer la connexion au tissu
urbanisé. À l’inverse, dans les « bastions », les implantations de grandes surfaces se concentrent
surtout dans les communes dissidentes qui ne jouent pas le jeu du protectionnisme à l’inverse du
reste de l’agglomération. La solidarité intercommunale n’est pas parfaite y compris dans les bastions.
De ces trois types, le modèle du bastion était le plus répandu avant l’application de la loi Royer
(Péron, 1991).
Avant 1973, le permis de construire constituait le seul outil règlementaire à disposition des
municipalités pour refuser des implantations commerciales. L’application de la loi Royer n’a pas
radicalement transformé les pratiques décisionnelles locales : les décisions négatives des CDUC
étaient souvent le fait des « bastions » tandis que les décisions positives revenaient principalement
aux sites bien équipés. Cette continuité s’explique par le fait que les CDUC réunissaient les trois
grandes catégories d’acteurs qui participaient déjà au contrôle des implantations commerciales.
Toutefois, la mise en place des CDUC a eu pour conséquence de polariser le débat « sur les
problèmes économiques et sociaux plutôt que sur la ville à construire » (Péron, 1993 : 236). En effet,
en déplaçant le pouvoir règlementaire vers des instances corporatistes au niveau départemental, elle
aura pour effets directs de fragiliser les résistances locales, de favoriser des arbitrages centralisés et
d’atténuer la capacité des politiques locales à enrayer le développement commercial (Metton, 1989 ;
Péron, 1991).
« Il n’est pas sans intérêt de souligner que les politiques défensives qui y étaient appliquées
ont trouvé à s’imposer au mieux quand les implantations de grandes surfaces étaient
formellement libres » (Péron, 1991 : 201).
La loi d’Orientation aura eu pour conséquence directe d’homogénéiser les positionnements
politiques locaux. Les acteurs réunis en commission départementale ont peu à peu changé
d’orientation. Dans les commissions des « bastions », on a commencé à accorder des autorisations
plus facilement (Péron, 1991). À l’inverse, au sein des « places conquises », la CDUC offrait aux voix
opposées une nouvelle chance de s’exprimer, indépendamment de leur influence politique ou de
leur poids économique dans la cité comme c’était le cas lors des négociations locales informelles
avant la loi (Péron, 1993). Par voie de conséquence, le modèle de la « ville ouverte » fut petit à petit
promu comme le modèle souhaitable.
En parallèle, les procédures d’appel au Ministère du Commerce donnaient souvent lieu à des
arbitrages en faveur des dynamiques dominantes (Péron, 1991). Alain Metton (1989) a fait le bilan
de 15 ans d’application de la loi Royer. Il note que les procédures d’appel au ministère forment une
procédure courante
81, dont la fréquence augmente avec le temps. Faute de pouvoir résoudre les
conflits au niveau local, on observe un transfert progressif des décisions vers l’échelon national
(Metton, 1989). La plupart des recours concernent des refus de projets de création et d’extension de
grandes surfaces alimentaires et spécialisées ou des centres commerciaux de magasins d’usine
(Bondue, 1989). Ces recours émanent le plus souvent des promoteurs ; certains recourent
systématiquement à cette procédure en cas de refus, conscients que les arbitrages ministériels leur
81
43,6% des décisions font l’objet d’un recours. Ce taux est encore plus élevé pour les projets refusés où deux dossiers
sur trois font l’objet d’une procédure d’appel (Metton, 1986b).
seront plus favorables que ceux de la commission départementale (Bondue, 1989). À l’inverse, les
procédures d’appel en cas d’autorisation des projets sont moins nombreuses dans la mesure où les
représentants du petit commerce peinent à trouver un septième membre pour rendre leur démarche
recevable (nb. il faut l’accord de sept membres de la CDAC pour lancer une procédure d’appel).
Quels sont les effets d’un tel transfert du pouvoir ? À première vue, les décisions nationales
Dans le document
L'animation politique des marchés : le management commercial au service de la gestion des centres urbains
(Page 141-144)