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Importance de l’approche multidisciplinaire pour étudier les relations échelle-dépendantes entre les prédateurs

D ISCUSSION G ÉNÉRALE

A. Importance de l’approche multidisciplinaire pour étudier les relations échelle-dépendantes entre les prédateurs

marins et l’environnement

1) Des méthodes adaptées à l’étude échelle-dépendante des habitats des prédateurs supérieurs

Les études multidisciplinaires fournissent le plus souvent un « instantané » correspondant à une situation donnée de l’écosystème (Thiele et al. 2000, Johnston et al.

2005, Friedlaender et al. 2006, Tynan et al. 2005). Les écosystèmes des moyennes et hautes latitudes présentent pour la plupart une large gamme de variabilité, comme c’est le cas pour la Méditerranée et pour la zone Australe. Cette variabilité ne peut être complètement appréhendée par ce type d’échantillonnage ponctuel. La complémentarité des approches adoptées dans ce travail (i.e. approche descriptive, modélisation, suivi satellitaire des animaux, méthodes automatiques de détection des structures (sub)mésoéchelle)) a été nécessaire pour comprendre les interactions entre les prédateurs et leur environnement à plusieurs échelles. L’échantillonnage répété des observations des cétacés couplé aux paramètres océanographiques à partir des navires d’opportunité s’est ainsi révélé particulièrement pertinent.

L’échantillonnage par les navires d’opportunité présente cependant des limitations: 1) Les profils obtenus sur un seul axe de l’espace (c'est-à-dire la ligne de transect) ne détectent que les gradients dans l’axe du transect. Les gradients perpendiculaires à l’axe du navire ne peuvent être détectés. Par conséquent, il est indispensable de coupler ces gradients unidirectionnels aux gradients omnidirectionnels provenant des mesures des satellites. 2) En raison de la nature même de l’« échantillonnage d’opportunité », il n’est pas possible de cibler les structures les plus marquées sur les images satellitaires du Bassin Occidental. C’est pourquoi nous n’avons pu échantillonner les tourbillons Algériens les plus marqués et de plus longues durées (au moins l’année d’échantillonnage), semblables à ceux décrits et suivis sur 3 ans par Puillat et al. (2003). De tels tourbillons étaient présents pendant notre année d’échantillonnage dans la partie Est du sous-bassin Algérien. En effet, les tourbillons échantillonnés lors des transects étaient des tourbillons de plus faibles durées (quelques semaines), rarement re-échantillonnés d’une traversée à une autre.

Les méthodes adoptées pour l’étude des cétacés et de leur environnement ont été très complémentaires. Dans le cas des navires d’opportunité, l’objectif était le suivi répété des interactions entre la distribution des animaux et la variabilité des conditions océanographiques sur une même zone. Le choix était donc porté sur la zone d’étude. Dans le cas du suivi Argos des rorquals communs, comme dans celui des manchots royaux de Crozet, l’individu est au centre de la méthode. Le choix n’est donc plus porté sur le zone d’étude, mais sur le suivi individuel des animaux et leur trajet quelle que soit la région prospectée. La combinaison des méthodes de suivi d’une zone et du suivi individuel des prédateurs est particulièrement pertinente. Dans le cas des manchots royaux, l’activité de plongée et la température en

profondeur étaient également enregistrées en plus des trajets de surface. Les informations provenant de ces profils de plongées sont très importantes puisqu’elles indiquent les relations entre la variabilité de la structuration de la colonne d’eau et le comportement de plongée des manchots lors de leurs recherches alimentaires. Ce travail a donc mis en évidence la pertinence de l’approche multidisciplinaire par une analyse des structures océanographiques et de la distribution, des trajets et du comportement des prédateurs à plusieurs échelles, de l’interannuelle à la submésoéchelle. Cet objectif est également celui du programme TOPP (« Tagging Of Pacific Pelagics ») du Recensement de la Vie Marine (« Census Of Marine Life », CoML), qui vise a mieux comprendre l’utilisation de l’habitat pélagique par les vertébrés et les grands céphalopodes du Pacifique Nord. Ce programme a utilisé toute une gamme de marques électroniques pour déterminer la distribution et le comportement d’organismes pélagiques. Les animaux marqués ont également servi de « profileurs » océaniques autonomes pour améliorer les observations rares pour l’océan du large (Block et al. 2003).

2) Les habitats échelle-dépendants chez les cétacés de Méditerranée Occidentale et les manchots royaux de Crozet

Les fortes valeurs explicatives des modèles obtenus pour les deux espèces de cétacés proviennent probablement du fait que la variabilité des densités de cétacés est correctement estimée par les variables environnementales à plusieurs échelles. A large échelle, les rorquals communs et les dauphins bleu et blanc sont globalement retrouvés dans le circuit antihoraire de la partie Nord, alors que les dauphins communs sont exclusivement localisés dans le sous-bassin Algérien. A plus fine échelle, les habitats semblent différer, les rorquals préférant les zones relativement froides, et les dauphins bleu et blanc, les zones productives. Chez les manchots, les variations interannuelles des temps et des distances de trajets ainsi que leur activité de plongées sont remarquablement proportionnelles aux variations de l’environnement, en particulier au FP. Cet ajustement se vérifie dans le cas d’un événement extrême dont les importantes répercussions se mesurent jusqu’au niveau de la population. Malgré des habitats à grande échelle très différents, les cétacés de Méditerranée Occidentale et les manchots royaux de Crozet se situent dans des zones de fort dynamisme provoquée par la dynamique de (sub)mésoéchelle.

Les interactions à grande échelle, décrites en détail dans les chapitres II et III, correspondent globalement aux habitats des proies. Les ajustements de distributions des prédateurs aux variations saisonnières des masses d’eau ont été rapportés dans le cas des thons au niveau des côtes Californienne (Schaefer et al. 2007). Comme le suggère également nos résultats, l’ajustement de la distribution indique une affinité pour une région présentant une importante disponibilité de proies. La fidélité des rorquals et des dauphins pour la partie Nord du Bassin Occidentale et la forte affinité des manchots royaux au FP sont des stratégies pour s’alimenter sur des biomasses importantes de proies en minimisant la dépense énergétique. C’est probablement la raison pour laquelle les cétacés sont plus présents à l’année dans la partie Nord du Bassin. Ils trouveraient des conditions favorables d’alimentation, mais aussi pour d’autres activités comme la reproduction, ne nécessitant pas de migration. C’est également la raison pour laquelle les manchots ciblent le FP plutôt que FSA. Ce front présente pourtant des biomasses de poissons aussi importantes mais elles sont situées plus en profondeur (Pakhomov et al. 1996). Elles sont donc moins accessibles pour les prédateurs qui doivent fournir un effort supplémentaire lors de la plongée (Guinet et al. 1997). Les interactions (sub)mésoéchelle concernent davantage les phénomènes d’augmentation locale d’abondance des proies et leur structuration (Rodhouse et al. 1996, Nel et al. 2001, Johnston et al. 2005, Hyrenbach et al. 2006). Pour toutes les espèces considérées dans cette étude, nos résultats montrent clairement l’importance des zones de gradients horizontaux élevés en surface qui définissent les zones frontales (Sims & Quayle 1998). L’activité d’alimentation des prédateurs est donc fortement reliée à ces structures.

3) Comparaison méthodologique des échelles de recherche alimentaire des prédateurs

Les techniques d’analyse de la structure spatiale d’une distribution ou d’un trajet permettent également d’identifier les échelles d’interaction avec l’environnement. L’analyse fractale est une méthode qui utilise la dimension fractale en mesurant les changements dans la tortuosité d’un trajet sur plusieurs échelles, fournissant ainsi des éléments sur le comportement des animaux dans un environnement complexe hiérarchique. Cette analyse fractale, menée aussi sur les oiseaux marins (Fritz et al. 2003), montre que les prédateurs ajustent leur trajet en fonction de la distribution spatiale hiérarchique des ressources en proies et des facteurs environnementaux. Le trajet d’un rorqual commun équipé au large du Golfe du Lion a démontré des changements de comportement à plusieurs échelles à l’aide de cette

analyse (Mouillot & Viale 2001). En accord avec nos résultats sur la (sub)mésoéchelle, cette analyse, menée sur un trajet uniquement, a été interprétée par les auteurs comme une réponse aux phénomènes d’agrégation des proies dans une gamme d’échelles de 5 à 200km. Leur dimension fractale proche de 1, indique que le rorqual adoptait un comportement de recherche avec une alternance de grands déplacements en ligne droite et d’épisodes de sinuosité. Nous n’avons pu mener cette analyse fractale sur les suivis satellitaires des rorquals en raison d’une résolution insuffisante des données. La méthode de First Passage Time (Fauchald & Tveraa 2003, Pinaud & Weimerskirch 2005), analysant également la sinuosité d’un trajet, permet d’évaluer les échelles d’interaction des animaux avec leur environnement physique et biologique. Elle est basée sur des comportements de recherche active, appelée recherche en zone restreinte (area-restricted search, ARS). Chez les albatros étudiés dans la zone Australe de l’Océan Indien, cette recherche en zone restreinte est de l’ordre de la centaine de kilomètres, attribuant ainsi les interactions de ces oiseaux aux phénomènes mésoéchelle (Pinaud & Weimerskirch 2005). Enfin, les géostatistiques, et particulièrement l’analyse de krigeage, constituent une approche différente en prenant en compte la structure spatiale d’une distribution. La portée de cette structure est une information particulièrement intéressante, car elle correspond à la distance maximum à laquelle deux points sont corrélés. Cette analyse, menée par Dubroca et al. (2004), Dubroca (2005) et Monestiez et al. (2006) sur la compilation d’observations de rorqual commun dans la partie Nord du Bassin Occidental, montrent l’existence de deux portées (80 et 160km). Ces distances correspondent grossièrement à la dimension des phénomènes mésoéchelle.

Toutes ces approches, en Méditerranée comme dans la zone Australe, soulignent ainsi l’importance de la moyenne échelle pour l’activité alimentaire des prédateurs. Cependant, encore très peu d’études ont cherché à comprendre quels sont les mécanismes d’interactions entre l’activité de moyenne échelle et les prédateurs marins. La seconde partie de cette discussion présente quelques mécanismes importants que suggèrent nos résultats.

B. Influence des tourbillons et des filaments sur les