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L ES CETACES EN M EDITERRANEE

A. Les cétacés et l’environnement physique et biologique du Bassin Occidental Méditerranéen

3) Les cétacés du Bassin Occidental et le contexte du sanctuaire

La Méditerranée abrite une grande diversité de cétacés. Au cours du siècle dernier, 21 espèces de cétacés ont été rencontrées une fois au moins (Notarbartolo di Sciara 2002) et 8 d’entre elles sont considérées comme communes: rorqual commun (Balaenoptera physalus), cachalot (Physeter macrocephalus), dauphin bleu et blanc (Stenella coeruleoalba), dauphin de Risso (Grampus griseus), globicéphale noir (Globicephala melas), grand dauphin (Tursiops

truncatus), dauphin commun (Delphinus delphis), et ziphius (Ziphius cavirostris). Parmi eux,

le rorqual commun est le seul mysticète (cétacé à fanons), les autres étant des odontocètes (cétacés à dents). Le rorqual commun se nourrit majoritairement de larges biomasses de krill (principalement Meganyctiphanes norvegica) (Viale 1985, Besson et al. 1982, Orsi Relini & Giordano 1992, Astruc 2005, Bentaleb et al. sous presse). Les dauphins et grands cétacés à dents s’alimentent de proies de plus grande taille comme des petits poissons pélagiques et des céphalopodes (Orsi Relini & Relini 1993, Würtz & Marrale 1993, Boutiba & Abdelghani 1995, Blanco et al. 1995, Cañadas & Sagarminaga 1996). Cette différence de régime alimentaire confère à ces cétacés une place différente au sein du réseau trophique Méditerranéen. Le rorqual commun se place donc à un niveau relativement bas en comparaison des cétacés à dents.

Ce travail de thèse s’est particulièrement axé sur deux espèces de cétacés, le rorqual commun (Balaenoptera physalus) et le dauphin bleu et blanc (Stenella coeruleoalba). La première raison est qu’ils se situent à différents niveaux trophiques qui peuvent correspondre à des écologies contrastées. De plus, il s’agit respectivement des grandes baleines et des odontocètes les plus abondants dans le Bassin Occidental (Forcada et al. 1996, Forcada & Hammond 1998). La raison supplémentaire est le manque de connaissances pour ces espèces qui font actuellement face à des contraintes accrues de leur environnement, souvent d’origine anthropique comme les collisions avec les navires (Panigada et al. 2006). Je me suis également intéressés au dauphin commun (Delphinus delphis) qui présente le statut d’espèce en danger et dont l’ACCOBAMS (Agreement on the Conservation of Cetaceans of the Black Sea,Mediterranean Sea and Contiguous Atlantic Area ) dénote le manque d’information, en particulier sur leur abondance et leur cycle d’alimentation et de reproduction. Cette espèce a vu sa population considérablement décliner jusqu’à disparaître du Nord du Bassin Occidental dans les années 1970 (Bearzi et al. 2003).

Parce qu’il s’agit de l’unique étude à l’échelle du Bassin Occidental, les travaux de Forcada et al. (1996) font références sur la distribution et l’abondance estivale pour plusieurs cétacés (cf. également l’atlas préliminaire des cétacés, Beaubrun 1995). Ces auteurs ont estimé la population de rorquals communs en Méditerranée Occidentale (excluant la mer Tyrrhénienne) à environ 3500 (IC: 2100-6000) individus et ils ont montré une présence exclusive des rorquals dans la partie Nord du Bassin pendant l’été 1991 (Fig. 2.7). La présence des rorquals communs dans cette région est probablement reliée à la forte production biologique et à d’importantes biomasses de krill. En effet, le rorqual commun est le deuxième plus grand rorqual au monde, avec une taille moyenne de 23m, une masse de 70tonnes et des besoins alimentaires quotidiens équivalents à 1,5% de leur masse.

Fig. 2.7. Transects échantillonés en 1991. Les croix représentent les observations de rorquals communs (tirés de Forcada et al. 1996)

D’après l’étude menée par Forcada & Hammond (1998) à partir du même échantillonnage de 1991, les dauphins bleu et blanc montrent également de fortes densités dans la partie Nord (Fig. 2.8). Contrairement aux rorquals communs, ils sont aussi présents à l’échelle du Bassin. Ces auteurs ont estimé la population de dauphins bleu et blanc en Méditerranée Occidentale (excluant la mer Tyrrhénienne) à environ 88000 (IC: 49000-155000) individus. Les dauphins bleu et blanc sont principalement localisés en domaine

grand dauphin (Aguilar 2000). Le mode d’alimentation du dauphin bleu et blanc est opportuniste, et principalement composé de céphalopodes et de poissons pélagiques (Würtz & Marrale 1993, Blanco et al. 1995, Astruc 2005, Spitz et al. 2006). De nombreuses études ont été menées sur cette espèce en raison de l’impact majeur d’une épidémie de Morbilivirus qui s’est manifestée en 1990. Malgré une mortalité de masse, aucune étude n’a estimé les conséquences sur la population en termes d’effectif (Aguilar 2000).

Fig. 2.8. Transects échantillonés en 1991 et groupes de dauphins bleu et blanc et dauphin commun observés. 1 = Mer des Baléares; 2 = sous-bassin Provençal; 3 = Mer Ligure; 4 = Mer d’Alboran; 5 = sous-bassin Algérien (tirés de Forcada & Hammond 1998).

Monestiez et al. (2006) ont compilé les observations visuelles sur une dizaine d’années dans la partie Nord du Bassin (Fig. 2.9). Les rorquals montrent ainsi une distribution estivale hétérogène. Ils sont absents près des côtes, dans le Golfe du Lion et dans l’Est du Golfe de Gênes. En revanche, deux zones de forte densité apparaissent, l’une entre la Corse et le continent, et l’autre au large de Marseille. Cependant, les données disponibles à ce jour sur la distribution et l’abondance des rorquals communs et de nombreux cétacés sont limitées à la fois dans l’espace et dans le temps (Fig. 2.9). Ces données ne permettent donc pas de connaitre la distribution des rorquals pendant un cycle annuel, et à l’échelle du Bassin Occidental.

Fig. 2.9. Effort des observations visuelles de rorqual commun dans l’espace (en haut à gauche) et sur l’année (en haut à droite), compilé sur la période de 1993 à 2001, et carte krigée (en bas) du nombre d’observations de rorqual commun par heure de 1993 à 2001 (tiré de Monestiez et al. 2006)

Cette limitation a amené de nombreuses interrogations concernant des déplacements des rorquals en Méditerranée (pour une revue cf. Notarbartolo di Sciara 2002). Des études génétiques ont distingué les rorquals communs de Méditerranée de ceux de l’Atlantique (Bérubé et al. 1998). Cette constatation a amené à considérer les animaux de Méditerranée comme une population résidente, sans échanges avec les animaux Atlantiques. Des rorquals ont été observés au niveau du détroit de Gibraltar, sans cependant pouvoir leur attribuer d’éventuels passages Atlantique-Méditerranée (de Stephanis et al. 2008). Des déplacements à l’intérieur de la Méditerranée sont aussi proposés, de l’été dans la partie Nord du Bassin vers des zones d’hivernage. Une telle zone a été récemment rapportée à Lampedusa, située au voisinage de la Sicile, où plusieurs rorquals communs s’alimentaient (Canese et al. 2006). Cette hypothèse est intéressante car ces déplacements correspondraient aux floraisons

successives dans la partie Sud en hiver et dans la partie Nord au printemps. Cependant, la présence des rorquals a été rapportée en mer Ligure pendant la période hivernale par des données visuelles (Laran & Drouot-Dulau. 2007) et acoustiques (Clark et al. 2002). Par conséquent, aucun échantillonnage n’a permis d’obtenir une vue synoptique des schémas saisonniers de distribution et de déplacement des rorquals communs ni des dauphins bleu et blanc. Un échantillonnage régulier sur une année et à l’échelle du Bassin Occidental permettrait également d’établir des relations avec les processus physiques mésoéchelle observés dans le Bassin Occidental, et ainsi, de préciser les habitats des cétacés.

Le sanctuaire Pelagos pour les mammifères marins en Méditerranée (http://www.sanctuaire-pelagos.org) résulte de la volonté de la France, de l’Italie et de Monaco de protéger les cétacés, ainsi que les habitats, des impacts liés aux activités humaines. Cette zone, correspondant approximativement à la mer Ligure (Fig. 2.10), a notamment été choisie car elle a été rapportée comme une aire d’alimentation du rorqual commun (e.g. Panigada et al. sous presse). Or, cette zone ne représente qu’une partie de l’aire de distribution des rorquals communs et des dauphins bleu et blanc pendant l’été. De plus, le peu d’information obtenu durant l’hiver ne permet pas d’estimer l’importance de cette zone pendant toute l’année. L’amélioration des connaissances à l’intérieur comme à l’extérieur de cette zone est un élément important pour la gestion des animaux qui fréquentent le sanctuaire.