• Aucun résultat trouvé

Implications pour la formation de la matière organique et du piégeage des gaz rares P1

Rapports isotopiques ( i Xe/ 132 Xe)

IV- Implications pour la formation de la matière organique et du piégeage des gaz rares P1

Les différences de condition de dépôts des deux échantillons dans le nébulotron permettent de mettre en évidence l'influence de la ionisation sur le piégeage du xénon lors de la condensation. L'échantillon NT, déposé dans la partie ionisée, présente une concentration en 130

Xe supérieure d'un ordre de grandeur par rapport à l'échantillon NC déposé dans la zone neutre (Fig. V-2). Cette variation peut résulter de la création de deux structures différentes, caractérisées par des capacités de piégeage contrastées. Malheureusement, la très faible quantité de matériel récupéré n'a pas permis d'effectuer des observations au microscope électronique à transmission pour vérifier cette hypothèse. La détermination du facteur g lors des analyses RPE révèle la présence d'impuretés dans l'échantillon NC qui ne sont pas observées dans l'échantillon NT (cf. III-2-2, ce chapitre). Il est possible que ces impuretés proviennent du creuset en nitrure de bore utilisé et réduisent les capacités de piégeage de l'échantillon NC. Cependant, la différence de concentration est plus probablement liée à un effet de l’ionisation. Celle-ci va induire une réactivité plus importante du xénon ionisé lors des collisions dans la phase gazeuse avec la matière organique sublimée. Durant le temps de résidence de la matière organique sublimée dans la partie ionisée, il est possible de créer des

sites plus énergétiques augmentant les capacités de piégeage du xénon. Ce phénomène d'adsorption anormale est caractérisé par une augmentation des capacités de piégeage liée à la création de sites très énergétiques par ionisation (Niemeyer & Lech, 1976, Niedermann & Eugster, 1992; Nichols et al., 1992; Garrisson et al., 1997, 1998). Cet effet est confirmé par la température de relâche maximum du xénon supérieure de 200°C dans l'échantillon NT par rapport à l'échantillon NC (Fig. V-4 et V-5). Le piégeage d'une concentration de xénon plus importante dans l'échantillon NT est donc à relier aux conditions ionisantes par un double processus : création de sites très énergétiques dans la matière organique et réactivité plus importante du xénon ionisé.

Le fractionnement isotopique de 1%/uma observé dans les échantillons NT révèle la possibilité de modifier profondément la composition isotopique d'un réservoir ionisé. Ce fractionnement semble dû à une ionisation différentielle des atomes de xénon, liée à la masse et induisant un enrichissement en isotopes lourds. Il peut être rapproché de l'effet des jauges ioniques sur la réalisation d'un standard d'air en géochimie des gaz rares. En effet, la réalisation d'un standard avec la jauge ionique allumée dans la ligne de purification entraîne également un fractionnement de masse important en faveur des isotopes lourds. Ce résultat est en bon accord avec les résultats de la littérature sur les expériences de condensation de phases carbonées et silicatées. Le seul fractionnement isotopique observé lors de la synthèse de matière organique, également de 1%/uma pour le xénon, s'est produit dans le cadre d'une expérience mettant en œuvre des phénomènes de décharge électrique dans la phase gazeuse (Frick, 1979). Des fractionnements isotopiques importants sont également observés lors de la condensation de poussières de silicates sous des conditions d'ionisation d'environ 1 MeV (Nichols et al., 1992). Les autres expériences de condensation, effectuées en présence de mélanges de gaz rares neutres, n'induisent aucun fractionnement isotopique mesurable (Niemeyer & Mari, 1981; Suzuki & Matsuda, 1990). Le fractionnement isotopique observé peut être induit par un échange de charge accompagné par un échange isotopique suivant l’équation suivante :

mXe + nXe+

⇔ mXe+

+ nXe

Il semble donc que la matière organique, lors de sa condensation, soit capable de réaliser une sélection entre le xénon neutre et ionisé avec un léger avantage pour les ions piégés.

Le fractionnement isotopique observé dans l'échantillon NT est du même ordre que celui observé entre les gaz rares P1 et la composante solaire. Ce résultat indique qu'il est possible de produire la composition isotopique des gaz rares P1 à partir d'une nébuleuse de

Chapitre V. Expérience de sublimation-condensation

composition solaire par irradiation à une énergie d'environ 0.1 eV/nucléon. Cette composition isotopique a pu être, par la suite, piégée lors de l'évolution de la nébuleuse par des phénomènes de condensation. La composition isotopique du xénon P1 déterminée dans différentes météorites est peu variable, ce qui implique une irradiation homogène dans la nébuleuse protosolaire lors de l'incorporation des gaz rares P1 dans la matière organique insoluble (Wieler et al., 1991, 1992; Huss et al., 1996). Deux processus semble pouvoir générer une irradiation homogène dans la nébuleuse : (i) les vents X, phénomènes de haute énergie observés dans les amas d'étoiles jeunes (Shu et al., 1987, 1997, 2001; Grosso et al., 2000), (ii) le rayonnement de fond galactique (Taillet & Maurin, 2003). Quoi qu'il en soit, la composition isotopique des gaz rares P1 peut être produite par irradiation et piégée lors de phénomènes de condensation dans la nébuleuse protosolaire. En revanche, est-ce que ces mécanismes peuvent produire le signal RPE observé dans les météorites?

La signature RPE, observée dans le résidu acide d'Orgueil, de Murchison et de Tagish Lake, est caractérisée par une augmentation de la concentration du nombre de spins électroniques en fonction de la température (Binet et al., 2002, 2004a, b). Ce signal est interprété comme la présence de di-radicaux qui ne peuvent avoir été créés que par un nombre restreint de mécanismes (Binet et al., 2004a). Parmi les mécanismes possibles, seule la condensation semble avoir pu jouer un rôle lors de l'évolution de la nébuleuse protosolaire. En effet, les autres mécanismes impliquent des processus de chimie interstellaire tels que les réactions ion-molécule en phase gazeuse ou l'irradiation de glaces interstellaires (Binet et al., 2004a). Les résultats de RPE montrent clairement que le magnétisme des radicaux des deux échantillons synthétisés dans le nébulotron est totalement différent de celui de la matière organique insoluble des météorites avec une baisse de la concentration des spins électroniques avec la température (Fig. V-10, V-11 et V-12). Ces résultats suggèrent la présence de domaines aromatiques formant probablement des empilements dans les échantillons NT et NC. Le signal RPE obtenu est particulièrement difficile à interpréter, mais il indique l'absence de di-radicaux comme ceux observés dans la matière organique insoluble. Il semble donc que la condensation ne soit pas un mécanisme physique capable de générer la création de di-radicaux dans la structure organique. De plus, les deux échantillons ne montrent pas de différences majeures, révélant l'absence d'influence de la ionisation sur la création de di-radicaux. Il est nécessaire cependant de pondérer cette conclusion car beaucoup de paramètres peuvent avoir une influence sur le signal RPE , telles que la nature du précurseur, la durée de synthèse ou la pression dans le système. Cependant, il semble que les processus de chimie interstellaire soient dorénavant les plus plausibles pour rendre compte du signal RPE des

météorites. Cette observation va dans le sens d'une origine interstellaire de la matière organique insoluble déjà supposée par son rapport (D/H), supérieur d'environ 15 à 40 fois à la valeur estimée pour la nébuleuse protosolaire (Robert et al., 1979, Halbout et al., 1990). Il est possible alors que la phase porteuse des gaz rares P1 soit d'origine présolaire comme les autres phases déjà identifiées dans le résidu acide insoluble (e.g., nanodiamants, graphite, SiC). Cette phase se révèle pourtant très difficile à isoler par des méthodes physico-chimiques au contraire des autres phases présolaires (Amari et al., 2003). Une possibilité est qu'elle soit très fortement associée à un type de grain présolaire déjà identifié dans le résidu acide. Des couches de surface graphitisées des nanodiamants sont régulièrement proposées dans la littérature comme porteur des gaz rares P1 (Anders & Zinner, 1993). Cette proposition est confirmée par des travaux récents de séparation de la matière organique insoluble en fonction de la densité par des méthodes physiques (Matsuda et al., 1999; Amari et al., 2003). Les résultats montrent l'association systématique des gaz rares P1 et HL à très petite échelle et ouvrent de nouvelles perspectives sur le lien génétique entre la phase porteuse des gaz rares P1 et les nanodiamants.

V- Conclusions

La possibilité de tester un mécanisme proposé pour expliquer le signal RPE déterminé dans la matière organique insoluble des météorites m'a amené à effectuer des expériences de sublimation-condensation sous atmosphère de xénon à l'aide du nébulotron III. Les résultats révèlent qu'il est possible de reproduire le fractionnement isotopique mesuré pour les gaz rares P1 par rapport à la composante solaire sous des conditions ionisantes qui ont pu avoir lieu lors de l'évolution de la nébuleuse. Cependant, les analyses RPE effectuées sur les deux échantillons ne permettent pas de reproduire le signal RPE mesuré dans la matière organique insoluble des météorites. Ce résultat semble indiquer que des processus interstellaires sont à l'origine de la présence de di-radicaux dans les météorites. La possibilité que la phase porteuse des gaz rares P1 soit d'origine interstellaire est en accord avec des expériences récentes afin d'isoler la phase Q par des méthodes physiques. Les résidus obtenus, caractérisés par des densités différentes, révèlent l'association systématique des gaz rares P1 et HL. Il semble donc qu'il puisse exister un lien génétique entre les nanodiamants et la phase porteuse des gaz rares P1. Il est donc nécessaire de tester un mécanisme physique impliquant des nanodiamants comme précurseur de la phase Q.

Chapitre VI. Expériences de changement de phases

Chapitre VI

Relation nanodiamants-oignons de Carbone :