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Chapitre V: Dynamique des systèmes naturels : synthèse et discussion

V.2. Implications en terme de dynamique macroscopique

V.2.1. Connectivité des réseaux de drainage et plateaux continentaux

Les résultats des modélisations expérimentales et numériques montrent qu’en présence d’un seuil d’érosion non-négligeable, la connectivité initiale du réseau de drainage joue un rôle fondamental dans l’évolution des topographies en relaxation ou en surrection. Dans le cas d’une surface initialement peu connectée et soumise à une surrection homogène, de large portions de la surface initiale peuvent ne pas être ou très peu érodées jusqu’à un stade avancé de l’évolution du système. L’essentiel de l’érosion se concentre dans la zone connectée. Il y a accumulation progressive de matière à la verticale de la zone non connectée qui ne sera évacué du système que lorsque la connexion avec les conditions limites du système sera établie. Nous avons montré par l’intermédiaire de simulations numériques que plus le seuil était grand, plus la connexion complète de la surface était lente, et plus du matériel pouvait être accumulé en hauteur. Une des conséquences de ce retard est que le flux sédimentaire sortant peut être significativement plus élevé que le flux tectonique entrant juste avant et après la connexion complète de la surface, dans le cas d’une longueur de transport très grande (cf chapitre I.2).

Le plateau Tibétain (figure 3) et les plateaux Andins (figure 4) sont les plus hauts plateaux du monde et constituent le cœur des plus larges et plus hauts orogènes mondiaux. Ils sont tout deux caractérisés par une large portion de leur surface drainée de manière interne (environ 30 % dans le cas du Tibet-Himalaya en comptant). La différence de géométrie entre des orogènes compléments connectés (tels que Taiwan ou la Nouvelle-Zélande) et les orogènes non-connectés est frappante (figure 4 droite). Ces derniers sont 2 à presque 10 fois plus large et jusqu’à 2 fois plus hauts. Nous proposons qu’une partie de ces différences soit liée à l’existence initialement, ou l’apparition à un moment ou à un autre de l’histoire de la chaîne d’une zone de drainage interne, ayant permis l’accumulation de matériel et l’épaississement de la croûte. Que cette zone n’ait pas été connectée rapidement est en partie lié à l’existence du seuil d’érosion non-négligeable que nous avons mis en évidence. Par rapport aux expériences et aux simulations, l’isostasie doit être prise en compte. Elle joue un rôle important sur les bords du plateau, là où l’érosion se concentre. Par réponse isostatique à l’érosion de la croûte, les bords du plateau vont se soulever par rapport à l’intérieur, isolant d’autant plus la zone non-connectée [Kooi and Beaumont, 1994 ; Masek

D

A D’

A’

Figure 3: Données topographiques sur la connectivité à l’échelle continentale de la région Inde-Asie. Gauche : MNT avec délimitation de la zone de drainage interne du plateau Tibétain. En considérant les limites du systèmes comme les grands accidents tectoniques bordant le plateau, la connectivité de l’orogène est d’environ 70 %. Droite : Transect longitudinal AA’ et transversal DD’ du plateau Tibetain soulignant les limites de la zone connectée, les variations du relief et des précipitations. La coupe DD’ montre la zone d’érosion très localisée au front de l’Himalaya, et dans une moindre mesure au nord. Notez la barrière climatique constituée par les sommets de la Haute chaîne. D’après [Fielding, 2000].

Altiplano

Puna-Atacama Basin

Internally drained area

Figure 4 : Gauche : Délimitation des zones de drainage interne de la chaîne Andine. D’après [Kennan, 2000].

Droite : Coupes transversales de différents orogènes actuels.

Notez la différence de hauteur et de largeur entre les orogènes complétement connectés et ceux non-connectés (Altiplano et Tibet). D’après [Fielding, 2000].

hauteur moyenne du plateau [Montgomery, 1994] peut jouer le rôle de barrière climatique, et diminuer d’autant plus l’intensité de l’érosion au niveau de la frontière entre zone connectée et non-connectée. Une telle configuration existe dans le plateau Tibétain (figure 3 droite), où l’intensité des précipitations est divisée par 4 au passage de la haute chaîne. La même configuration est rencontrée pour les plateaux andins.

Le problème principal est de comprendre comment se crée la zone de drainage interne : elle peut être héritée de la surface topographique initiale, mais résulte plus probablement de l’activité conjointe d’accidents à grande échelle isolant de larges portions de surface continentale.

Il est donc probable que la connectivité des réseaux de drainage joue un rôle fondamental dans l’évolution et la structuration des chaînes de montagne. En particulier, elle est probablement à l’origine des différences d’épaississement crustal et de largeur d’orogène entre les chaînes de montagne connectée et non-connectée. Le seuil d’érosion que nous avons mis en évidence participe au fait que la connectivité évolue lentement et que les plateaux continentaux puissent s’épaissir significativement sans être (ou peu) érodés. L’augmentation de la connectivité s’effectue par régression et captures de zones non-connectées. Les accidents tectoniques jouent un rôle probablement important dans cette évolution, comme le souligne l’organisation du réseau de drainage actuel dans la Chaîne Himalayenne.

Une conséquence des résultats précédents est qu’il est difficile de définir un temps caractéristique d’érosion des chaînes de montagne, tant la dynamique de l’érosion à l’échelle du système est profondément liée à la connectivité, et que celle-ci peut a priori évoluer de manière très différente.

V.2.2. Cas des systèmes connectés : dynamique de l’érosion et taux de surrection

Partant des résultats sur les processus élémentaires, et si l’on suppose que n=1 dans les rivières, comme tous les processus sont linéaires en pente, nous avons montré :

• que le temps caractéristique de mise à l’équilibre pour des systèmes connectés de tailles identiques est indépendant de l’intensité de la perturbation (taux de surrection ou chute du niveau de base).

• que l’altitude moyenne et le relief à l’équilibre sont proportionnels au taux de surrection (tant que les versants ne correspondent pas à des pentes critiques de stabilité).

Si n=2/3 dans les rivières, alors le temps caractéristique d’évolution augmentera avec le taux de surrection sous l’action de deux effets conjugués : (i) l’augmentation du temps caractéristique de la rivière proportionnellement à U1/2 et (ii) la diminution de la densité de drainage qui augmente la taille des versants et leur temps caractéristique de mise à l’équilibre.

La relation entre le temps caractéristique τ et la taille du système L a été étudiée par Davy et Crave (2000) dans le cas limite d’un système limité par le transport, sans seuil et proportionnel à la pente. Ils proposent une relation de la forme : 2 / ' 2 '-1

K

m c m

a

L

α

τ

,

ou m’ est l’exposant sur l’aire drainée dans l’expression du flux sédimentaire, K’ est l’érodabilité et ac l’aire

critique de transition versant réseau. En prenant une valeur moyenne de m’ voisine de 1.5, l’exposant de la relation entre temps caractéristique et taille du système serait voisin de 0.5 lorsque la taille des systèmes est supérieure à la longueur de transport, et nulle dans le cas inverse [Davy and Crave, 2000]. Ce résultat souligne la nécessité d’estimer cette longueur dans les systèmes naturels.

V.2.3. Impact du climat

Le climat, via les précipitations et les changements eustatiques, peut intervenir de deux façons : d’une part en modulant l’intensité des processus d’érosion au cours du temps et d’autre part en modifiant la distribution spatiale des précipitations lors de l’augmentation ou la diminution de l’altitude d’un système. En ce qui concerne le premier point, la question est de connaître le rapport entre temps caractéristique du forçage climatique et temps de réponse du système géomorphologique à une perturbation climatique. Ce dernier est probablement différent du temps de réponse à une perturbation tectonique car l’ensemble du système répond de manière synchrone dans le cas climatique, et de manière asynchrone dans le cas tectonique. Durant le quaternaire, les changements climatiques fréquents à des périodicités variant de 10 à 100 ka correspondent à un forçage haute fréquence du

système qui peut ne pas être enregistré par la topographie, si son temps de réponse est significativement plus grand que 100 ka. C’est ce que prédit [Whipple, 2001] dans le cas de Taiwan, une région dominée par les glissements de terrain et pour laquelle les rivières sont probablement limitées par l’incision : le temps de réponse qu’il estime étant de l’ordre de 1 Ma, les bassins versants peuvent théoriquement atteindre un état d’équilibre moyen si les conditions de surrection restent constantes sur une telle période de temps. Néanmoins, des fluctuations liées au climat existent dont les nombreuses terrasses d’abrasions ou de remplissage abandonnées durant le quaternaire sont un exemple.

C’est probablement cette dynamique qui est observée à l’équilibre dynamique dans les expériences : les fluctuations de l’altitude moyenne autour d’une valeur d’équilibre reflètent les variations de pluviométrie à haute fréquence, tandis que l’état dynamique moyen reste contrôlé principalement par le taux de surrection.

V.3. Contributions aux outils et méthodes de la géomorphologie