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Chapitre V: Dynamique des systèmes naturels : synthèse et discussion

V.3. Contributions aux outils et méthodes de la géomorphologie quantitative

V.3.1. Détermination des lois d’érosion

Les résultats fournis par l’analyse des Modèle Numériques de Terrain des expériences, de la région des Siwaliks et de la Jonction Triple de Mendocino soulignent l’importance de contraindre les lois d’érosion en étudiant la réponse morphologique des reliefs à des variations spatiales du taux de surrection :

• Cette méthode permet de contraindre séparément les exposants n et m de la loi de transport ou d’incision.

• Elle permet de mettre en évidence un seuil d’érosion éventuel et de le quantifier. Comme nous l’avons montré, négliger ce seuil d’érosion conduit à une surévaluation de l’exposant n (et par conséquent de

m). Ce point peut expliquer les grandes variations de valeur d’érodabilité et d’exposants des lois

d’incision, ou de transport, proposés dans la littérature.

• Elle peut permettre de vérifier si les pentes moyennes des versants correspondent à une pente de stabilité critique, e.g. sont indépendantes du taux de surrection, ou non. Rappelons que pour une région à l’équilibre dynamique avec une surrection homogène, tous les versants auront la même forme, et donc la même pente moyenne. Cela ne signifie évidemment pas qu’elles correspondent à une pente de stabilité critique. Comme nous l’avons montré pour les Siwaliks, la dépendance entre pente et taux de surrection est linéaire, et il faut explorer une gamme suffisamment large de taux de surrection pour mettre en évidence l’existence d’une pente de stabilité critique, et le mécanisme de glissement de terrain qui lui est éventuellement associé.

Les critères de déséquilibre que nous avons proposés permettent de contraindre l’état dynamique de la topographie dans le cas d’un réseau hydrographique limité par le transport ou mixte (bedrock/alluvial). En particulier, l’estimation du rapport longueur de déséquilibre sur longueur du système permet de valider ou non l’hypothèse d’état stationnaire nécessaire à la quantification correcte des paramètres des lois d’érosion.

V.3.2. Estimation des taux de surrection et de l’érodabilité

L’estimation des taux de surrection à partir de l’analyse de MNT doit reposer sur une compréhension et une quantification des processus d’érosion façonnant la topographie. Partant de l’hypothèse d’un état stationnaire, l’estimation des vitesses d’érosion permet d’accéder directement aux taux de surrection verticaux. Nous avons montré que l’analyse des diagrammes pentes-aires drainées permettait d’obtenir des informations sur la distribution spatiale et l’intensité du taux de surrection d’autant plus précises que la connaissance des lois d’érosion est complète. Cette méthode a plusieurs avantages par rapport à l’analyse via des descripteurs morphologiques tels que le relief, l’altitude moyenne ou autres :

• Respectant l’organisation hiérarchique des écoulements d’eau via l’aire drainée, la mesure de la pente topographique permet d’obtenir une estimation du taux de surrection indépendante de la taille du système. En effet, à l’équilibre et dans un région d’érodabilité homogène, la valeur de la pente ne

dépend que de l’aire drainée amont et (1) du taux de surrection moyen amont dans le cas d’un système limité par le transport ou (2) du taux de surrection local dans le cas d’un système limité par l’incision. • Dans la limite de validité du modèle de puissance du flux d’eau (stream power law), cette méthode

permet de définir une relation analytique entre les paramètres morphologiques pente et aire drainée, et le taux de surrection et l’érodabilité.

• L’analyse via l’aire drainée permet de distinguer les différents compartiments élémentaires de la topographie que sont les versants et les rivières et d’utiliser pour chacun d’eux le modèle d’érosion adéquat. Ceci permet une détermination précise du taux de surrection, contrairement aux approches moyennes intégrant des parties chenalisées et non chenalisées de la topographie.

Cependant, cette approche souffre de quelques limitations :

• La première est liée à la qualité des données topographiques. Pour un MNT très bruité, l’estimation du taux de surrection à une échelle locale (i.e., de l’ordre de grandeur de la taille du pixel) est illusoire. Par contre la détermination de variations relatives entre bassins, via l’interprétation des variations du paramètre d’amplitude de la loi de puissance entre pente et aire drainée, reste possible puisqu’en moyenne, celle-ci reste peu affectée par le bruit (cf Annexe A).

• La deuxième est liée à la dépendance du calcul de la pente locale avec la résolution du MNT (cf Annexe A). Cette dépendance limite les comparaisons entre MNT de différentes résolutions, mais n’affecte pas l’étude d’une région décrite par un MNT de résolution constante.

• La troisième est liée aux hypothèses permettant de dériver la relation analytique entre les paramètres morphologiques et les facteurs tectoniques, climatiques et lithologiques, la condition d’équilibre dynamique étant la plus importante. Les formes caractéristiques des systèmes hors équilibre que nous avons mis en évidence peuvent permettre de la valider ou de l’invalider.

• Dans le cas de l’étude des rivières, la largeur de l’écoulement doit être prise en compte pour estimer correctement le taux d’incision local [Lavé, 1997 ; Snyder et al., 2000].

Cette méthode de calcul ne remplace évidemment pas les analyses de marqueurs géomorphologiques passifs tels que les terrasses ou les cônes de dépôts, qui fournissent des contraintes quantitatives fortes mais très localisées sur les taux de déformation. Cependant, elle permet d’obtenir très rapidement une idée de la distribution spatiale du taux de surrection, même dans des zones de faible déformation comme la Bretagne. Considérant l’arrivée prochaine d’une couverture à 90 m de bonne qualité de l’ensemble des surfaces continentales, ce type d’analyse devrait trouver un champ d’application très large. Par ailleurs, elle permet d’estimer les valeurs absolues, ou les variations relatives du facteur d’érodabilité en fonction de la lithologie des roches. Ces valeurs sont nécessaires si l’on veut envisager une prédiction correcte de l’évolution topographique d’une région donnée.

V.3.3. Modélisation expérimentale

Nous avons montré qu’une approche expérimentale reproduisant la dynamique des systèmes géomorphologiques était envisageable et qu’elle permettait d’obtenir des informations fondamentales sur les relations entre processus d’érosion élémentaire et évolution macroscopique. L’application de ces expériences aux systèmes naturels dépend de la détermination des lois d’érosion et de transport élémentaires ainsi que d’une quantification précise de l’évolution macroscopique. Nous avons pour la première fois réuni ces deux aspects dans un même dispositif expérimental.

Nous avons montré que les variations temporelles de l’organisation du réseau de drainage contrôlaient en grande partie la dynamique hors-équilibre des systèmes géomorphologiques. Cette observation souligne l’importance et l’intérêt de ces expériences dans lesquelles les écoulements d’eau et les transferts de sédiments peuvent s’auto-organiser en réponse aux perturbations des conditions limites.

L’analyse quantitative des expériences a été possible grâce au développement d’un dispositif de numérisation des topographies. Ce dispositif est perfectible, et nous travaillons encore à son amélioration et au développement de nouveaux outils de mesure. L’objectif final est d’obtenir des topographies numériques de résolution sub-millimétriques et de précision (horizontale et verticale) inférieure à 100 µm, pour des temps d’acquisition inférieurs à 1 minute.

Les matériaux utilisés ayant des propriétés mécaniques différentes, l’approche expérimentale permet d’envisager de multiples applications comme l’étude du rôle de la cohésion interne du matériau sur les vitesses d’érosion ou de la granulométrie sur la longueur de transport telle que nous la définissons dans le modèle numérique.

L’analogie avec les systèmes naturels est évidemment imparfaite, notamment du fait qu’un seul type de processus d’érosion et de transport est actif sur le modèle. Ce processus d’érosion par ruissellement est faiblement instable vis-à-vis de l’incision et ne conduit pas à l’échelle des surface étudiées à une chenalisation des écoulements d’eau et de sédiments. Or, les modélisations numériques montrent que le couplage versant réseau joue un rôle important dans la dynamique des reliefs, notamment lorsque la longueur de transport dans le réseau est plus petite que la taille du système. Il s’agit donc d’une limitation actuelle du dispositif. Néanmoins, des expériences préliminaires montrent qu’en augmentant légèrement la taille du modèle (en passant à 50x50 cm), un processus de chenalisation apparaît, que ce soit pour les expériences en silice (figure 5) ou en loess (figure 6). Ces premiers résultats ouvrent des perspectives intéressantes sur le rôle de la chenalisation dans la dynamique macroscopique des reliefs. En particulier, elles peuvent être utilisées pour contraindre les facteurs contrôlant l’apparition d’un chenal, ainsi que l’évolution de sa géométrie hydraulique. Les expériences montrent très clairement un chenal dont la largeur et la profondeur évoluent avec l’aire drainée. Comme nous l’avons fait dans ce travail, ces expériences permettront de contraindre et tester pour partie les modèles de géométrie hydraulique des rivières, ainsi que la dynamique des modèles numériques prenant explicitement en compte la largeur de la rivière.

Figure 5: Expérience en relaxation avec de la silice montrant un système couplé versant-réseau et l’évolution de la largeur du chenal avec l’aire drainée. Conditions limites : le bord sud de la boîtes est ouvert, les précipitations sont homogènes.

Conditions initiales : brusque chute du niveau de base après une première phase d’érosion (on distingue les ruptures de pente

dans la partie la plus amont de l’expérience)

40 cm 25 cm Channel head Channel width variations 70 cm 10 cm Zone of channelization

Figure 6: Expérience (70x35 cm) en relaxation avec du loess montrant un système couplé versant-réseau, avec un chenal bien délimité. Conditions limites : le bord sud de la boîte est ouvert, les précipitations sont homogènes. Conditions initiales : brusque chute du niveau de base, la surface initiale étant plane et légèrement en pente vers le sud.