• Aucun résultat trouvé

L’aire de répartition d’une espèce végétale s’inscrit dans une niche climatique potentielle limitée par une marge chaude et une marge froide. Concernant la marge chaude, le stress hydrique est le facteur critique et donc des espèces ayant une consommation réduite en eau sont plus adaptées. Parmi les variables physiques exerçant une influence sur la marge froide, les basses températures en sont un des facteurs les plus importants (Parker, 1963 ; Sakai & Larcher, 1987). Elles contrôlent ainsi la composition et la production de milieux forestiers et horticulturaux (Ashworth, 1992). Environ deux tiers de la biomasse terrestre est soumis à des températures gélives au cours de l’année et la moitié à des températures inférieures à -20°C (Sakai & Larcher, 1987).

Figure 1.25. Evolution de la limite des neiges éternelles (« Snowline » et la limite des arbres (« Treeline »)

en fonction de la latitude (d’après Körner, 2003).

La résistance au gel est un trait physiologique qui s’exprime en présence d’une contrainte environnementale (Sakai & Larcher, 1987). On retrouve donc des variations très importantes entre espèces, entre populations ou le long de gradient de cette même contrainte (altitude, latitude). Le parallélisme observé entre limite des neiges éternelles et limite altitudinale des arbres selon la latitude en est un exemple convaincant (Körner, 2003) (Figure 1.25).

La survie d’une espèce dans des conditions climatiques données dépend à la fois de la capacité de résistance maximale, mais aussi de la synchronisation et de la vitesse de

l’acclimatation et de la désacclimatation en fonction des variations saisonnières de

températures (Larcher, 1968 ; Fuchigami et al., 1982).

Une espèce est considérée comme bien adaptée si, durant sa saison de croissance, elle minimise le risque de subir des dégâts du gel (Langlet, 1937 ; Larcher, 1995). En effet, on observe un « trade off » entre la minimisation des dégâts dus au gel et la maximisation de la

fixation de carbone (Saxe et al., 2001). Au sein des biomes, la pression de sélection par les

températures basses a conduit à la formation de « races climatiques » ou écotypes dont les différences s’expriment essentiellement au niveau du seuil de réponse à la température pouvant se traduire sur la chronologie du cycle annuel de développement (Münch, 1923). Généralement les processus d’acclimatation au gel et la phénologie constituant différents aspects de la résistance au gel sont couplés (Larcher & Mair, 1968 ; Larcher 1968).

En milieu à contraste saisonnier marqué, les dommages du gel à l’automne peuvent avoir un impact sérieux sur la survie des arbres (Palonen & Buszard, 1997) ; alors qu’au printemps, l’impact porte majoritairement sur la capacité reproductive des bourgeons après débourrement (Rodrigo, 2000). En climat tempéré, les dégâts engendrés à la période printanière sont plus importants que ceux engendrés par les températures minimales en plein hiver (Byrne, 1986), et ceci essentiellement sur les bourgeons, fleurs et fruits bien que les rameaux puissent être parfois endommagés (Smeeton, 1964). Dans les conditions climatiques actuelles, la valeur adaptative des arbres est donc altérée davantage à travers leur capacité reproductive qu’au niveau de leur survie (Westwood, 1993).

Dans des conditions climatiques extrêmes, milieu boréal ou montagnard, la période critique s´avère paradoxalement être l´été. En effet, en hiver, les capacités de résistance sont, en général et au sein de la niche climatique potentielle, supérieures à l´intensité des gels subis, alors qu´en été, les plantes sont très sensibles, et le moindre évènement de gel peut engendrer des lésions importantes. De plus, en raison de faibles températures tout au long de l’année, la saison de croissance est fortement restreinte. Ainsi, il n´apparait donc pas étonnant qu´à la limite altitudinale des arbres, une période de 100 jours avec des températures moyennes supérieures à 5°C soit observée (Brockmann-Jerosch, 1919 ; Ellenberg, 1963). La croissance et le développement des plantes sont maximaux au sein d´une plage de températures, sélectionnée par des processus adaptatifs (Levitt, 1980 ; Fitter & Hay, 1987) mais en deçà de 5°C, l´activité métabolique est quasi nulle.

Les plantes vivant dans des habitats où des évènements de gel peuvent survenir durant la période de croissance et d’activité métabolique importante peuvent éviter les lésions uniquement par évitement du gel. La dépression du point de fusion peut suffire à prévenir la

majorité des risques et permet le maintien d’un potentiel hydrique foliaire important

(Goldstein & Meinzer, 1983 ; Beck, 1986) et la diffusion du CO2 à températures négatives

(Larcher, 1961 ; 1981 ; 1995) ce qui permet, par exemple, une assimilation du carbone dès le

matin après un gel nocturne (Moser et al., 1977).

La corrélation entre résistance au gel et aire de distribution a fait l´objet de nombreuses études. La capacité à la surfusion, par exemple, est un facteur déterminant pour les arbres à feuilles caduques natifs d’Amérique du nord qui sont limités aux zones où la température ne descend pas en dessous de -40°C en hiver (Burke et al., 1976), de même que le poirier et le pommier (Quamme, 1976). Le maintien de la fluidité membranaire semble également important ; ainsi, les plantes des climats chauds possèdent au niveau membranaire une proportion plus importante d’acides gras saturés que celle des climats froids (Lyons,

1973). Par exemple, Raison et al. (1979) ont montré une forte corrélation entre la température

à laquelle la membrane plasmique passe de l’état liquide-cristallin à celui de gel et la distribution géographique de plusieurs espèces. La température de formation d´un exotherme et l´altitude limite potentielle semblent étroitement liées (Kaku & Iwaya, 1979) (Figure 1.26).

Les basses températures peuvent également exercer une influence sur la niche d’une espèce par leur effet sur la conductivité du tissu xylémien. L’embolie hivernale peut limiter la croissance et la survie d’une espèce en marge froide (Sperry & Sullivan, 1992 ; Tyree &

Cochard, 1996 ; Langan et al., 1997 ; Pockman & Sperry, 1997). On observe le long d’un

gradient altitudinal une diminution de la taille des vaisseaux et donc une diminution de la sensibilité à l’embolie.

Figure 1.26. Relation entre température de formation d’un exotherme avec la distribution latitudinale

chez Quercus rubra (a), Populus tremuloides (b) ou avec la limite altitudinale potentielle (d’après Burke et al., 1976 et Kaku & Iwaya, 1979).

Les formes de vie rencontrées dans les milieux boréaux et alpins sont essentiellement des espèces buissonnantes à feuillage persistant, des herbacées pérennes, des mousses et des lichens. Ces espèces pérennes ont comme avantage de ne pas avoir à reformer un appareil photosynthétique complet chaque année (Billings & Mooney, 1968) car la productivité de ces biotopes est insuffisante pour permettre à la fois la production de bois et de feuilles tous les ans (Boysen-Jensen, 1932). Les buissons persistants ont une efficience photosynthétique plus

faible que les buissons à feuilles caduques (comme Vaccinium uliginosum), mais la vie plus

longue de leur feuille permet de minimiser les coûts métaboliques (Hadley & Bliss, 1964). Egalement, les anciennes feuilles servent de réserves hivernales de composés lipidiques ou protéiques qui serviront de substrat à la mise en place de nouvelles feuilles. Le débourrement des espèces persistantes semble plus tardif que les caducifoliées, limitant les risques d’exposition aux gels printaniers (Billings & Mooney, 1968). La plupart de ces espèces ont une production de graine erratique mais compensent cela par une reproduction végétative (Billings & Mooney, 1968).

Globalement, les espèces stress tolérantes, ont des caractéristiques similaires quelque soit le type de stress : croissance lente, organes photosynthétiques sempervirents, longue durée de vie, séquestration du carbone, des nutriments, de l’eau, floraison erratique, et un métabolisme permettant une assimilation des ressources pendant les courtes périodes favorables (Grime, 1979). Les plantes stress tolérantes sont par contre particulièrement sensibles à la perturbation (attaque de phytophages) car leur croissance lente ne leur offre que peu de possibilité de résilience (Wittaker, 1975). Ces organismes n’ont en général que peu de plasticité morphogénétique ; leur période de croissance étant courte, la quantité de tissus capables de différenciation, donc d’une réponse morphogénétique, est réduite. La réponse environnementale est avant tout physiologique.

Documents relatifs