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Les mélanomes sont caractérisés par un très fort pouvoir métastatique qui serait issu de la conjonction de 2 caractéristiques des cellules de mélanome d’une part leurs capacités migratoires et invasives importantes et d’autre part leur plasticité, c’est-à-dire leur capacité à s’adapter et à survivre dans différents environnements. En l’occurrence, les cellules de mélanome ont des capacités de survie relativement exceptionnelles (elles sont radio et chimio-résistantes) et sont capables de s’implanter dans de nombreux sites métastatiques. Ces 2 caractéristiques pourraient être liées à l’origine embryonnaire des mélanocytes, les cellules de la crête neurale étant dotées de capacités migratoires et capables de se différencier en de nombreux types cellulaires.

En tant qu’interrupteurs moléculaires, les RhoGTPases sont capables d’intégrer différents signaux cellulaires et extracellulaires et de contrôler en retour de nombreux processus cellulaires et en particulier la carcinogenèse. Certaines d’entre elles ont été décrites pour participer à ce titre à la mélanomagenèse et à la réponse thérapeutique des mélanomes.

a – RhoC

Le rôle de RhoC dans le mélanome a été révélé en 2000 par un article de Clark et al. publié dans Nature. En effet, dans le but d’identifier des marqueurs d’agressivité impliqués dans le processus métastatique, une étude de transcriptomique a comparé l’expression de plus de 7000 gènes de lignées cellulaires parentales peu métastatiques avec celle des lignées correspondantes rendues hautement métastatiques (par passage successif dans la souris), RhoC faisait partie de la vingtaine de gènes ainsi identifiés. Il a également été montré que l’expression de RhoC dans les lignées parentales augmentait leurs capacités métastatiques tandis que son inhibition réduisait celle des lignées métastatiques générées (Clark et al., 2000). Le rôle clé de RhoC dans le processus métastatique a été confirmé par une autre étude (Hakem, 2005). De plus, cet effet semble être au moins en partie dépendant de la voie PI3K/AKT (Ruth et al., 2006). Enfin, il a été montré que l’expression de RhoC augmentait au cours de la progression tumorale dans des biopsies de tumeurs et que l’expression de RhoC était inversement corrélée à la survie des patients (Boone et al., 2009).

b - Rac-1

A la différence de leurs homologues Ras, les RhoGTPases sont rarement mutées dans les cancers, à 2 exceptions près (Rac1 et RhoH). En effet, une mutation de Rac1 conduisant à la substitution de la proline en position 29 par une sérine, a été récemment identifiée par 2 équipes dans des mélanomes (Hodis et al., 2012; Krauthammer et al., 2012). Elle est retrouvée dans 4% des

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mélanomes dans l’étude de Hodis et dans 9% dans celle de Krauthammer. De plus, alors qu’elle est absente des tissus sains, elle est retrouvée à la même fréquence dans les mélanomes primaires et métastatiques suggérant un rôle dans les étapes précoces de la mélanomagenèse.

La proline 29 est localisée dans le switch I, domaine impliqué dans la liaison aux nucléotides et aux effecteurs. Sur la base de modélisations informatiques, Hodis et al. prédisent que cette mutation stabilise la forme active liée au GTP par rapport à la forme inactive. Krauthammer et al. confirment cela par des études biochimiques. De plus, ils montrent que l’expression de la protéine mutée dans des mélanocytes induit l’activation de la voie MAPK et augmente la prolifération et la migration.

Par la suite, il a été montré que cette mutation augmente effectivement la quantité totale de Rac1-GTP dans la cellule. Mais, à la différence des mutations de Ras, la mutation de Rac1 ne s’accompagne pas d’une perte de l’activité GTPasique ou d’une liaison constitutive au GTP. L’augmentation de la forme activée est ici induite par une augmentation de la vitesse d’échange entre le GDP et le GTP (Davis et al., 2013). Le cycle entre la forme active et inactive pourrait en effet être important puisque à la différence de la protéine Rac1P29S, la protéine constitutivement active Rac1V12G, ne semble pas suffisante à induire des mélanomes chez le poisson zèbre. La GEF Tiam1, qui accélère l’échange GDP/GTP, est également retrouvée surexprimée dans les mélanomes humains et chez le poisson zèbre, corroborant l’hypothèse que c’est le cycle entre la forme inactive et active de Rac1 qui est important et non la forme constitutivement active (Dalton et al., 2013). Dans le même esprit, la GEF spécifique de Rac1, PREX2, a été retrouvée mutée dans 14% des mélanomes. L’expression des mutants favorise la tumorigenèse de mélanocytes immortalisés dans la souris Nude. Cependant, les conséquences biochimiques (i.e. : activité vis-à-vis de Rac1) n’ont pas été étudiées (Berger et al., 2012).

De plus, Rac1 participe activement à la plasticité et à l’invasion des cellules de mélanome. En effet, les cellules de mélanome sont capables de rapidement basculer d’un mode de migration amœboïde vers un mode mésenchymal et vice versa en fonction du contexte extracellulaire. Cette plasticité s’accompagne d’une commutation de migration dépendante de RhoA et Cdc42 pour le mode amœboïde, vers une migration dépendante de Rac1 dans le mode mésenchymal (Sanz-Moreno et al., 2008). L’activation de Rac1 est alors dépendante de NEDD9 et DOCK3 qui sont exprimés dans les mélanomes alors qu’ils sont normalement décrits pour n’être exprimés que dans les cellules neurales et leurs précurseurs (Figure 40B). L’expression de ces deux facteurs serait en lien avec l’origine embryonnaire des mélanocytes et la réactivation au cours de la mélanomagenèse de programmes de dédifférenciation (Orgaz and Sanz-Moreno, 2013; Sanz-Moreno and Marshall, 2009).

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c - RhoJ

RhoJ appartient avec RhoQ au groupe Cdc42, il était jusqu’à présent essentiellement connu pour son rôle dans la migration des cellules endothéliales et l’angiogenèse (Leszczynska et al., 2011). Deux articles de la même équipe ont récemment montré son rôle dans les mélanomes :

- D’une part, RhoJ participerait à la chimio-résistance : RhoJ active PAK1 qui prévient alors l’activation de CHK1 et ATF2, effecteurs d’ATR, par ce dernier. Il en résulte une survie des cellules en présence de Cisplatine (Ho et al., 2012). De plus, cet article identifie également un rôle similaire de Rnd2 mais dont le mécanisme n’est pas élucidé.

- D’autre part, l’expression de RhoJ dans les cellules de mélanome stimule également via son effecteur PAK1 à leurs capacités invasives et migratoires in vitro et in vivo (Ho et al., 2013).

d - Rnd3/RhoE

Rnd3/RhoE appartient famille Rnd qui est caractérisée par l’absence d’activité GTPasique. Par conséquent, à la différence des autres protéines Rho, les protéines Rnd ne sont pas des commutateurs moléculaires. Elles sont régulées directement au niveau de leur expression et par phosphorylation pour Rnd3.

Les protéines Rnd sont essentiellement connues pour leur rôle dans les cellules neurales, elles participent en effet à la croissance orientée des axones et des dendrites. De plus, Rnd1 est également exprimée dans le foie et Rnd2 dans les testicules. Au contraire, Rnd3 est exprimée de manière ubiquitaire mais à un faible niveau et plus fortement dans la prostate. Enfin, l’expression de Rnd3 est induite en réponse à l’activation de la voie MAPK, au PDGF, aux UVB et au Cisplatine, ce qui a conduit à la considérer comme un gène de réponse au stress (Chardin, 2006; Riento et al., 2005).

Rnd3 est impliquée dans la migration cellulaire. Elle est induite par la voie MAPK, inactive RhoA en activant p190RhoGAP et en inhibant ROCK-I, effecteur de RhoA, par liaison directe. Cela conduit in

fine à inhiber la formation des fibres de stress induites par RhoA et à favoriser la migration et l’invasion.

Initialement montré dans des cellules MDCK, ce mécanisme est retrouvé dans les cellules de mélanome en réponse à la mutation activatrice de BRAF (Guasch et al., 1998; Hansen et al., 2000; Klein and Aplin, 2009; Klein et al., 2008).

De plus, Rnd3 serait également impliquée dans le contrôle du cycle cellulaire et de l’apoptose. D’une part, elle est capable d’inhiber l’entrée en phase S, mécanisme partiellement prévenu par l’expression de cycline D1 et totalement par celle de Rb (Poch et al., 2007). D’autre part, Rnd3 protège de l’apoptose en réponse aux génotoxiques tels que les UVB et la Camptothécine (Boswell et al., 2006; Ongusaha et al., 2006).

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De par son rôle pro-migratoire et anti-apoptotique, RhoE pourrait participer à la tumorigenèse. Il n’est toutefois pas à exclure que son rôle dépende du tissu. En effet, Rnd3 est retrouvée surexprimée dans les cancers du pancréas et bronchiques non à petites cellules. En revanche, il est sous-exprimé dans les cancers de la prostate (Chardin, 2006; Karlsson et al., 2009; Vega and Ridley, 2008). Dans le cas des mélanomes, Rnd3 semble promouvoir la carcinogenèse notamment via son induction par la voie MAPK.

e – RhoA

Les cellules de mélanome présentent de fortes capacités migratoires et sont extrêmement plastiques. Elles sont en particulier capables de migrer indifféremment selon un mode mésenchymal ou amœboïde en fonction du contexte extracellulaire. Ce dernier mode est notamment dépendant de RhoA (Sanz-Moreno et al., 2008). En conséquence, RhoA participerait à la plasticité de ce type cellulaire. En outre, RhoA participerait à la migration induite par la perte de p53 (Gadea et al., 2007).

Enfin, il est suggéré que RhoA pourrait participer à la résistance au Vemurafenib. En effet, ce dernier, via l’inhibition de la voie MAPK, induit la perte d’expression de Rnd3/RhoE levant l’inactivation de RhoA. Cette activation de RhoA serait responsable de la migration et de l’invasion résiduelle sous Vemurafenib (Klein and Higgins, 2011). Cependant dans cet article le taux d’activation de RhoA n’a pas été mesuré.