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Peu d'effets directs de l'augmentation de la température sur les mammifères marins sont observés

Les mammifères marins sont des homéothermes. Chaque variation de température du milieu extérieur entraînera donc une réaction physiologique de thermorégulation dont le but sera de maintenir la température interne de l'organisme à son idéal. Ceci fait que les homéothermes sont moins sensibles aux variations de la température du milieu (Ivanov 2006). Les effets directs du réchauffement climatique sont donc, à priori, relativement faibles (Learmonth et al. 2006 ; Gambaiani et al. 2009 ; Simmonds & Eliott 2009). Seuls quelques espèces, limitées dans leurs déplacements et vivant dans des eaux chaudes, comme le vaquita (Phocoena sinus) dans le Golfe de Californie, seraient directement menacés par l'élévation de la température (Learmonth et al. 2006 ; Simmonds & Isaac 2007).

Les exemples d’effets directs de variations de températures sur la physiologie des mammifères marins sont très rares.

Des effets liés aux impacts de l'augmentation de la température sur les habitats sont par contre clairement démontrés

Quelques effets clairs mais indirects de l'augmentation de la température ont des impacts sur les mammifères marins. La fonte des glaces, induite par l'augmentation de la température, a, par exemple, un effet sur les mammifères marins qui en dépendent

25 (Learmonth et al. 2006 ; Kovacs & Lydersen 2008). La diminution de la couverture neigeuse a entraîné un recrutement plus faible des phoques annelés (Phoca hispida) dans la baie d'Hudson entre 1962 et 2002. Ici le recrutement est pris comme nombre de jeunes survivants à leur première année. Les phoques annelés utilisent, en effet, la couverture neigeuse pour se construire une tanière pendant la période d'allaitement qui dure 6 semaines entre mars et juin. La diminution de l'épaisseur de neige entraîne donc une diminution de la protection de la tanière contre les prédateurs (Ferguson et al. 2005). Un autre exemple des effets indirects des hausses de température vient de la diminution de la banquise en Arctique et de l'augmentation de sa fragmentation. L’habitat de l'ours polaire (Ursus maritimus) a été réduit, ce qui l'a obligé à effectuer de plus longs déplacements (Derocher et al. 2004). L'élévation de la mer et l'augmentation du nombre et de la puissance des tempêtes affectera clairement les reposoirs des pinnipèdes ainsi que les zones de faibles profondeurs qu’ils utilisent comme zones de mise-bas et de nurserie (Learmonth et al. 2006). Certains auteurs supposent que cela pourrait provoquer la disparition du phoque moine de Méditerranée par l'inondation des grottes qui sont son dernier refuge (Harwood 2001 ; Learmonth et al. 2006).

L’effet le plus drastique du changement climatique sur les mammifères marins se réalise à travers la disponibilité de leurs proies

La majorité des impacts du changement climatique sur les mammifères marins sont attendus par le biais du réseau trophique (Simmonds & Isaac 2007). La plupart des mammifères marins appartiennent aux hauts niveaux trophiques (Pauly et al. 1998), leur distribution et leur abondance sont fortement influencées par la disponibilité des proies (Kenney et al. 1996 ; Gambaiani et al. 2009). Or le réseau trophique dans sa globalité est très fortement impacté par le changement climatique (voir partie Le changement climatique et ses impacts sur les écosystèmes). Notamment l’impact sur le plancton (Roemmich & McGowan 1995 ; Beaugrand et al. 2002 ; Winder & Schindler 2004) remonte ensuite tout au long de la chaîne trophique (Richardson & Schoeman 2004). Les proies des mammifères marins voient leurs aires de répartition modifiées avec les variations de température. Il a, par exemple, été montré que deux tiers des poissons de la mer du Nord, dont des espèces proies de mammifères marins comme le tacaud commun ou le merlan, avaient connu une modification de leur latitude ou de leur profondeur moyenne en 25 ans, en lien avec le réchauffement climatique (Perry et al. 2005). Il est prévu que cet effet se renforce avec le temps. Au vu des modifications des conditions environnementales prédites par la modélisation du changement climatique, Stenevik et Sundby (2007), prévoient en effet des modifications importantes touchant les espèces commerciales de poissons dans les eaux norvégiennes. Par exemple, ils prédisent que la mer du Nord sera occupée principalement par les maquereaux et harengs au nord et par les sardines et les anchois au Sud (Stenevik & Sundby 2007). Rodhouse (2012), prévoit quant à lui, que le changement climatique aura aussi des conséquences sur l'abondance et la distribution des céphalopodes qui sont des proies d'importance pour certaines espèces de mammifères marins, comme le cachalot ou l'éléphant de mer (Rodhouse 2012). La principale menace, conséquence de l’augmentation de température pour les mammifères marins, viendra

26 donc probablement des modifications des ressources alimentaires résultant du changement climatique (Learmonth et al. 2006).

Effet du changement climatique, à travers le réseau trophique, sur les individus

Plusieurs conséquences peuvent être attendues des baisses de la disponibilité des proies, liées au changement climatique. Une diminution de l'alimentation peut conduire à un affaiblissement et une famine allant potentiellement jusqu'à la mort de l’individu. Par exemple, l'hypothèse d'un lien entre changement climatique, abondance de proies et condition physiologique du prédateur a été émise pour le marsouin commun et sa proie, le lançon, en Ecosse (MacLeod et al. 2007). Les auteurs expliquent que l’augmentation de la famine des marsouins communs pourrait être liée à une diminution de l’abondance du lançon, elle même conséquence du changement climatique. Il faut noter cependant que ces résultats sont contestés par d’autres auteurs, notamment au vu du nombre d’échantillons jugé insuffisant en regard des conclusions (Thompson et al. 2007). La mortalité importante de baleines grises (Eschrichtius robustus) qui a eu lieu en 1999/2000 sur la côte nord est du Pacifique est, elle aussi, attribuée à un manque de disponibilité des proies, qui aurait pu entraîner une famine et la mort. Ces variations d'abondance des amphipodes, proies des baleines grises, seraient dues à des modifications des conditions océanographiques et au réchauffement de l'eau (Moore et

al. 2003 ; Simmonds & Isaac 2007).

Mais le manque de disponibilité des proies peut aussi se traduire, de manière à priori moins drastique, par une modification de l'alimentation (Simmonds & Eliott 2009). Au Groenland, Heide-Jorgensen et al. (2011) ont montré que la réserve énergétique des marsouins communs s’était améliorée entre 1995 et 2009, en comparant régime alimentaire et quantité de réserves lipidiques, ce changement s’expliquant par une modification du régime alimentaire. Les auteurs expliquent que la diminution de la couverture de glace et le déplacement d'espèces de poissons, comme la morue, de l’Atlantique du sud vers le nord, à cause du réchauffement climatique, ont permis au marsouin commun de chasser plus et de capturer des proies plus nutritives (Heide-Jørgensen et al. 2011). Amstrup et al., eux décrivent des cas de cannibalisme chez l'ours polaire dans le Nord du Canada en 2004. C'est la première fois que ce type d'interaction intra spécifique est observée chez cette espèce et les auteurs émettent l'hypothèse qu’elle pourrait être liée au stress nutritionnel résultant de la diminution de la couverture de glace (Amstrup et al. 2006).

Le temps consacré à l'alimentation et les stratégies mises en place pour chasser peuvent aussi dépendre des types de proies disponibles. Lusseau et al., ont étudié, en parallèle, les liens entre l'abondance des saumons et la composition des groupes sociaux chez l'orque au Canada et le grand dauphin en Ecosse. Ils ont montré qu'il existait une corrélation statistique entre la taille des groupes, l'abondance des proies et les variations climatiques. Lorsque les températures élevées entraînent des recrutements trop faibles des jeunes saumons, l'abondance des proies des orques et des grands dauphins sera diminuée les années suivantes et les groupes de prédateurs qui se formeront seront plus petits, ceci se retrouvant pour les

27 deux espèces (Lusseau et al. 2004). Il y a donc une adaptation du comportement des mammifères marins à la disponibilité des proies.

La disponibilité des proies est un facteur important pour une reproduction efficace et un taux de recrutement élevé des mammifères marins. La diminution de l'abondance des proies due aux modifications climatiques peut entraîner une diminution du taux de natalité et donc du recrutement. C'est le cas pour la baleine franche de l'Atlantique Nord (Eubalaena

glacialis) dont le taux de natalité dépend de l'abondance d'une espèce proie de zooplancton,

Calanus finmarchicus, elle même liée aux variations de température (Greene & Pershing 2004). C'est aussi le cas pour l'otarie de Kerguelen (Arctocephalus gazella) des îles Sandwich du sud, qui présente une forte diminution de la natalité les années de fortes températures (Forcada et al. 2005). Les auteurs estiment qu'il est très probable que le lien entre température et natalité se fasse par l'intermédiaire du krill, proie principale de l'otarie de Kerguelen, qui est fortement impacté par les fortes températures.

Enfin, plusieurs modèles montrent que ces impacts vont perdurer et même s’intensifier au cours du temps avec la poursuite de l'élévation de la température, et ainsi menacer de nouvelles espèces et populations (Learmonth et al. 2006 ; Simmonds & Eliott 2009). Ainsi, Gambaiani et al., ont montré que l'élévation de la température en Méditerranée allait entraîner une diminution de l'abondance de Meganyctiphanes norvegica, qui est déjà situé en limite de sa tolérance thermique et qui ne pourra plus se déplacer vers le nord. Cette espèce d'euphausiacés étant la principale nourriture des rorquals communs, la population de Méditerranée semble donc très menacée dans un futur proche (Gambaiani et al. 2009).

Déplacement et modifications d'aire de répartition et d'abondance dus aux changements climatiques

Les mammifères marins sont des animaux capables de mouvements individuels, ils peuvent donc se déplacer pour fuir les conditions défavorables du milieu. Une des conséquences de l'élévation de la température, directe ou à travers les modifications du réseau trophique, voire de l'habitat, est de provoquer le déplacement de mammifères marins et donc des modifications d'aires de répartition au niveau des populations et des espèces (MacLeod 2009). Par exemple, il a été montré, en Nouvelle Zélande dans les années 90, que les observations de dauphins communs se faisaient à proximité de la côte lors de phases de températures élevées, et de manière plus éloignée lorsque les températures étaient plus basses. Les variations de température dépendaient de la saison et de l'influence du phénomène El Niño. La température de surface de l’eau a donc un impact sur les mouvements et la distribution du dauphin commun (Neumann 2001).

En Ecosse, le suivi des échouages de cétacés a montré un changement de la structure de la communauté entre 1948 et 2003. Quatre nouvelles espèces de cétacés ont été observées depuis 1985 alors qu'il n'y avait pas de nouvelles espèces observées entre 1965 et 1985. Sur ces 4 espèces, 3 sont des espèces de milieu tempéré chaud à tropical (dauphin bleu et blanc,

28 dauphin de Fraser et cachalot pygmée). Les auteurs estiment que l'augmentation de la température est la cause de l'arrivée de ces individus en Ecosse (MacLeod et al. 2005). La même étude, basée sur le suivi des échouages, mais aussi sur des survols aériens, montre une diminution des observations du lagénorhynque à bec blanc, une espèce d'eau froide, et une augmentation des observations du dauphin commun, une espèce d'eau tempérée à chaude. Là encore, les auteurs estiment que c'est l'augmentation de la température qui entraîne ces modifications d’abondances (MacLeod et al. 2005).

Certains auteurs estiment que les modifications d'aires de répartitions liées au changement du climat, pourraient représenter un cas général et impacter un grand nombre d'espèces de mammifères marins. Ainsi, en comparant les habitats préférentiels, les prédictions d'élévation de la température et les possibilités géographiques de déplacement de 78 espèces de cétacés, MacLeod estime que 88% de ces espèces vont voir leurs aires de répartition modifiées par l'élévation de la température (MacLeod 2009). Dans certains cas, il semble que ces modifications puissent être favorables à l'espèce, en entraînant une augmentation de l'aire de répartition. Cela concernerait 38% des espèces étudiées, principalement des espèces d'eaux chaudes. Pour la moitié des espèces étudiées, Mac Leod (2009) prévoit des modifications défavorables, qui entraîneraient des diminutions d'aires de répartition. Cela concerne principalement les espèces qui vivent dans les hautes latitudes et qui ne pourront donc pas se déplacer vers des latitudes encore supérieures (MacLeod 2009). Ces espèces font donc partie de celles qui sont les plus menacées par le changement climatique (Learmonth et al. 2006 ; Inter-Research & MacLeod 2009).

De manière plus globale, des modélisations de biodiversité spécifique en eaux profondes sur les 100 prochaines années ont été réalisées en utilisant les optima de température de plusieurs genres de cétacés et les scénarii d'élévation de la température du GIEC ans (Whitehead et al. 2008). Les résultats prévoient que les zones polaires pourraient connaître une augmentation de la diversité des cétacés de plus en plus importante alors que les zones tropicales pourraient voir leur diversité spécifique diminuée.