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Impact du tropisme viral sur la physiopathologie de l’infection

Le tropisme préférentiel du HIV-1 pour CCR5 ou CXCR4 influence l’homéostasie lymphocytaire T CD4+ du fait de l’expression préférentielle de CCR5 sur les lymphocytes T CD4+ mémoires centraux et effecteurs et de CXCR4 sur les thymocytes et les lymphocytes T CD4+ naïfs. L’impact du tropisme viral sur la physiopathologie de l’infection est lié à des mécanismes directs d’infection et de destruction des cellules cibles, et à des mécanismes indirects correspondant à l’activation et l’apoptose de cellules non infectées, notamment via les interactions gp120/CD4/CXCR4.

5.1. Virus R5 et compartiment lymphocytaire T CD4+ mémoire

Les cellules T CD4+ mémoires effectrices activées CD45RO+ CCR7- présentes dans le tissu lymphoïde associé aux muqueuses représentent une population cible quantitativement très abondante pour les virus R5. Les données obtenues montrent que les virus R5 infectent de façon massive cette population cible dès la primo-infection. La majorité des lymphocytes T CD4+ mémoires effectrices de l’organisme va ainsi être détruite en quelques semaines au cours de la primo-infection, principalement par effet viral direct [Brenchley et al., 2004; Mattapallil et al., 2005], mais aussi indirectement par l’induction de l’apoptose de lymphocytes T CD4+ non infectés dans le tissu lymphoïde associé aux muqueuses [Li et al., 2005], et par l’activation et le recrutement des T CD4+ mémoires centrales CD45RO+ CCR7- en mémoires effectrices. La tentative de reconstitution du compartiment T CD4+ mémoire effecteur va ainsi conduire à une déplétion progressive du compartiment T CD4+ mémoire

central, et l’épuisement de ce compartiment pourrait être associé à une évolution péjorative de l’infection [Grossman et al., 2006].

5.2. Virus X4 et compartiments lymphocytaires cibles

Les lymphocytes T CD4+ naïfs CD45RA+ CCR7+ sont des cibles privilégiées pour les virus X4 du fait de l’expression préférentielle de CXCR4. L’élargissement aux lymphocytes T CD4+ naïfs de la population cible des virus X4 pourrait être l’un des éléments déterminants de leur pathogénicité accrue in vivo. Un mécanisme direct pourrait être impliqué, lié à l’infection et à la destruction des lymphocytes T CD4+ naïfs par les virus X4 dans le tissu lymphoïde. Une déplétion massive des lymphocytes T CD4+, naïfs et mémoires, a ainsi été mise en évidence dès les premières semaines post-infection chez des macaques infectés par un virus recombinant SHIV X4 pathogène (virus SIV avec une enveloppe HIV-1 X4) [Ho et al., 2005; Nishimura et al., 2005]. Un mécanisme indirect par lequel les virus X4 peuvent également entraîner la déplétion du compartiment T CD4+ naïfs est représenté par les phénomènes d’activation, de différenciation et d’apoptose de lymphocytes T CD4+ naïfs non infectés, secondaire aux interactions gp120/CD4/CXCR4 [Hazenberg et al., 2003].

L’infection du thymus par le HIV-1 pourrait participer aux mécanismes impliqués dans la déplétion des lymphocytes T CD4+ en réduisant la production compensatrice de lymphocytes T naïfs [Douek et al., 1998], même si l’infection de cet organe semble inconstante. Les thymocytes expriment fortement CXCR4 et représentent la population cellulaire cible la plus abondante pour le HIV-1 dans le thymus [Schmitt et al., 2003; Taylor et al., 2001]. Cependant, l’étude ANRS EP32 n’a pas révélé de déficit de production thymique chez les patients mauvais répondeurs immunologiques, bien que le défaut de reconstitution T CD4+ ait été associé à l’infection par un virus X4 [Delobel et al., 2006].

5.3. Apoptose liée à la gp120 X4

L’apoptose de lymphocytes T CD4+ non infectés dans le micro-environnement de cellules infectées représente un mécanisme indirect responsable de la déplétion des lymphocytes T CD4+ [Gougeon, 2003]. Les cellules « bystander » présentent dans le micro- environnement d’une cellule infectée peuvent être détruites par des voies impliquant les récepteurs de mort (CD95, TRAIL death receptor 5) [Gougeon, 2003; Herbeuval et al., 2005]. La gp120 est également capable d’induire l’apoptose de cellules non infectées par différents

mécanismes [Perfettini et al., 2005]. La gp120 sécrétée sous forme monomérique soluble dans le milieu extracellulaire par les cellules infectées peut induire l’apoptose de cellules non infectées présentes dans le micro-environnement, des lymphocytes T CD4+ mais aussi d’autres types cellulaires comme les cellules neuronales. Cette atteinte neuronale pourrait participer à la démence associée à l’infection par le HIV-1 [Hayward, 2004; Xu et al., 2004].

Les mécanismes de l’apoptose induite par la gp120 soluble impliquent les molécules CD4 et CXCR4. L’activation de CD4 par la gp120 peut activer la voie pro-apoptotique CD95-CD95L. Par ailleurs, l’activation de p56lck liée au domaine intra-cellulaire de CD4 peut conduire à l’apoptose par l’activation des caspases 9 et 3 [Somma et al., 2000; Tuosto et al., 2002]. Cependant, la gp120 est capable d’induire l’apoptose de cellules exprimant un récepteur CD4 délété de son domaine intracytoplasmique, et donc de sa capacité à signaler via p56lck [Roggero et al., 2001]. La partie extracellulaire de CD4 induit le changement conformationnel de la gp120 nécessaire à son interaction avec le corécepteur CXCR4. L’activation de CXCR4 peut induire l’apoptose de la cellule cible via la signalisation par les protéines Gi couplées à CXCR4 et par l’activation de la voie p38-MAPKinases ou l’augmentation du flux calcique [Perfettini et al., 2005; Trushin et al., 2007].

La gp120 couplée à la gp41 sous forme trimérique à la surface des cellules infectées peut aussi induire l’apoptose par un processus d’hémi-fusion membranaire, par formation de syncytia qui évoluent vers l’apoptose, ou par contagion des cellules voisines de la cellule pré- apoptotique.

5.4. Emergence de virus X4 et progression de la maladie

L’émergence de virus X4 chez les patients infectés est associée à une accélération de la chute des lymphocytes T CD4+ et à une évolution péjorative de la maladie vers le stade SIDA [Glushakova et al., 1998; Koot et al., 1993].

Différents arguments plaident en faveur d’un rôle causal des virus X4 dans cette évolution accélérée de la déplétion des lymphocytes T CD4+. In vitro, les virus X4 ont une capacité réplicative et un effet cytopathogène accrus [Koot et al., 1992], provoquant une déplétion majeure des lymphocytes T CD4+ lors d’infection d’histoculture de tissu lymphoïde [Penn et al., 1999]. Chez l’homme, des cas de transmission de virus X4 avec une évolution accélérée de la maladie ont été rapportés [Hayman et al., 2004; Markowitz et al., 2005]. Dans le modèle macaque, l’infection par un SHIV exprimant une enveloppe X4 entraine une

naïfs [Ho et al., 2005; Nishimura et al., 2005]. L’évolution de la maladie chez les macaques infectés par des SHIV X4 pathogènes est habituellement très rapide vers le stade SIDA et le décès. À l’inverse, l’infection par des SHIV R5 induit une déplétion des T CD4+ mémoires dans le tissu lymphoïde associé aux muqueuses mais n’entraîne pas de déplétion de la population T CD4+ naïve périphérique, avec donc une évolution plus lente de la maladie [Harouse et al., 1999]. Ces données suggèrent donc que les virus R5 et X4 sont susceptibles d’avoir un impact significativement différent sur l’homéostasie lymphocytaire T CD4+ et donc sur l’évolution de la maladie.

À l’inverse, il a été suggéré que l’émergence de virus X4 pourrait n’être qu’une conséquence passive de l’immunodépression qui serait responsable de l’accélération de la chute des lymphocytes T CD4+ en fin d’évolution de la maladie. L’érosion de la réponse immunitaire spécifique anti-HIV-1 pourrait en effet conduire à une perte du contrôle préférentiel de la réplication des virus X4 par rapport aux virus R5 et donc à leur émergence [Bou-Habib et al., 1994; Harouse et al., 2003; Yamaguchi and Gojobori, 1997]. Les deux mécanismes, actif et passif, pourraient se conjuguer dans un modèle dans lequel l’immunodépression favoriserait l’émergence de virus X4 qui en retour accentueraient la déplétion du compartiment T CD4+ du fait de leur pathogénicité accrue pour les lymphocytes T CD4+ naïfs et les thymocytes.

5.5. Emergence de virus X4 et restauration immunitaire sous traitement antirétroviral

La persistance d’une réplication virale résiduelle sous traitement antirétroviral efficace demeure controversée. Notre équipe a mis évidence une évolution du réservoir cellulaire du virus sous HAART avec notamment une évolution progressive du tropisme viral de R5 vers X4 sur une durée de 5 ans [Delobel et al., 2005; Izopet et al., 2002]. Nous avons également observé une association entre la présence de virus X4, ou une évolution du tropisme de R5 vers X4 sous HAART, et une moins bonne reconstitution du taux de lymphocytes T CD4+ malgré le contrôle efficace de la charge virale plasmatique [Delobel et al., 2006; Delobel et al., 2005]. A l’inverse, deux autres équipes ont observé une stabilité du réservoir cellulaire, avec une absence de modification du tropisme viral après 48 semaines de traitement antirétroviral efficace [Soulie et al., 2007] et l’émergence de virus X4 chez seulement 11%

des patients après 2 ans [Seclen et al., 2010]. Les durées différentes de suivi des patients dans ces études pourraient expliquer ces résultats.

Deux études récentes ont montré que les patients infectés par des virus utilisant CXCR4 avaient une décroissance accélérée des lymphocytes T CD4 à un an et une progression plus rapide de la maladie sans traitement, ainsi qu’une moindre restauration du nombre de lymphocytes CD4 sous traitement [Waters et al., 2008; Weiser et al., 2008]. Le tropisme viral pourrait donc avoir aussi un impact sur la réponse immunologique sous traitement antirétroviral et sur l’évolution de la maladie chez les patients en succès virologique.