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Impact des stratégies sur le profil de glycosylation du produit

CHAPITRE 7 DISCUSSION GÉNÉRALE

7.3 Impact des stratégies sur le profil de glycosylation du produit

un défi majeur dans l’industrie biopharmaceutique. Notre première étude a montré qu’en dépit des différences observées au niveau des rendements lorsque la densité cellulaire à l’induction varie en mode cuvée-alimentée, il n’y a pas eu d’impact notable sur la qualité de l’anticorps au moment de la récolte, que ce soit en flacons ou en bioréacteur. Cependant, l’analyse des échantillons prélevés à différents moments a révélé une décroissance graduelle au cours du temps des fractions mono- et di-galactosylées, en faveur de la fraction non-galactosylée. Cette réduction peut être liée au déclin de la viabilité et donc à la dégradation des conditions environnementales. En effet, l’accumulation de déchets métaboliques toxiques (Claudia Altamirano et al., 2004; Genzel et al., 2005) et une augmentation des protéases et glycosidases dans le milieu de culture (M Butler, 2006; Ana Rita Costa et al., 2014; Tan et al., 2015) peuvent être à l’origine de l’altération de la glycosylation du produit.

D’autre part, plusieurs paramètres de culture sont susceptibles d’avoir un impact sur la qualité du produit, notamment le pH, la température, l’osmolarité et les concentrations en gaz dissous (pCO2 et DO) (Hossler et al., 2009). Nos résultats ont montré qu’en plus de l’amélioration des productions spécifique et volumétrique, le pourcentage de galactosylation s’avère être plus élevé dans le cas d’une réduction de la température de 37 oC en phase de croissance vers 30 oC lors de la phase de production. Par contre, un état légèrement hypothermique (34 oC) lors de la période de croissance ne favorisait pas une meilleure galactosylation du produit. Ceci contraste quelque peu avec la littérature, puisque certaines études ont rapporté que, dans la majorité des cas, les patrons de glycosylation ainsi que l’activité in vitro de la protéine d’intérêt produite à une température de 37 oC ou bien dans un état hypothermique ne montraient pas de différences significatives (Becerra, Berrios, Osses, & Altamirano, 2012; Bollati-Fogolín et al., 2005). Des conditions d’osmolalité élevée ou d’oxygène dissous très faible ont également été associées avec une baisse de la galactosylation (Kunkel et al., 1998; Schmelzer & Miller, 2002). De ces deux facteurs, seul le premier entre peut être en jeu dans nos cultures puisque le second paramètre était maintenu constant lors des cultures en bioréacteurs. Enfin, certaines recherches ont rapporté l’influence du mode de culture sur la qualité du produit d’intérêt (Hossler et al., 2009). Dans nos travaux, en considérant uniquement les cultures effectuées avec les mêmes conditions de température (37-34 oC), le mode

hybride (perfusion-alimentée) a montré un meilleur pourcentage de galactosylation comparé au mode cuvée-alimentée, mais les différences notées s’estompent avec la durée des cultures. De manière générale, les pourcentages de galactosylation obtenus pour les différentes stratégies de culture testées dans le cadre de ces travaux varient entre 63 et 81%. Comme mentionné précédemment, les anticorps retrouvés chez l’humain possèdent une fraction galactosylée d’au moins 60% (Anumula, 2012). Les industries biopharmaceutiques visent ainsi à avoir des anticorps très galactosylés afin d’avoir une meilleure réponse immunitaire, en particulier lorsque le mécanisme de fonction principal de l’anticorps passe par la CDC. A titre indicatif, le pourcentage de galactosylation dans les lots commerciaux de Rituximab se situe entre 45 % et 55 % (K. H. Lee et al., 2018; Miranda-Hernandez et al., 2015). La galactosylation de l’anticorps influence la conformation du domaine CH2 en maintenant les deux chaines polypeptidiques dans un état ouvert, ce qui facilite la liaison de l’anticorps aux récepteurs Fcg, au composant c1q, et aux récepteurs FcRn. Par le fait même, la résidus galactose terminaux influencent les fonctions effectrices de l’anticorps, en particulier en améliorant la CDC et en atténuant l’inflammation. Du point de vue fonctionnel, la galactosylation étend également la demi-vie des anticorps en circulation en empêchant les interactions entre les résidus GlcNAc et le récepteur mannose.

En considérant toutes les expériences effectuées dans leur ensemble, on constate que les plus hauts pourcentages de galactosylation ont été obtenus sous des conditions de bonne viabilité cellulaire pour les cultures fed-batch en bioréacteurs (37-30 oC et 34-30 oC) et pour le bioréacteur opéré en mode perfusion-alimentée (37-34 oC). De façon générale, on peut donc penser que pour maintenir la qualité du produit, il est souhaitable d’effectuer la production à basse température (30 oC) et il faut chercher à minimiser le temps de récolte, c’est-à-dire maximiser la productivité pour atteindre rapidement une concentration satisfaisante en anticorps. Comme évoqué précédemment, une culture en mode perfusion-alimentée avec une température de 30 oC pendant la phase de production n’a cependant pas été réalisée dans le cadre de cette thèse.

Les travaux menés dans ce projet ont permis de démontrer qu’en plus du moment d’induction dans le cas d’un système inductible, définir une stratégie de culture est tout aussi crucial. En effet, un procédé de culture bien établi contribue à amener les cellules dans un état physiologique plus efficace contribuant ainsi à l’amélioration des concentrations cellulaires et des rendements de production tout en garantissant un profil de glycosylation efficace. Enfin, en dépit du fait qu’augmenter la longévité des cultures soit souvent un objectif poursuivi pour maximiser le rendement en produit, ceci peut avoir des conséquences indésirables sur la qualité du produit et il

faut donc plutôt chercher un compromis acceptable. Il est donc primordial de toujours considérer ces deux facteurs simultanément (rendement et qualité) dans le choix d’un mode de culture et d’un temps de récolte appropriés.

Avec la demande croissante en protéines recombinantes, une capacité de production accrue est nécessaire. En 2001, la société Immunex par exemple, a rencontré un problème majeur lorsque la demande en Enbrel (protéine de fusion utilisée pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde) a dépassé les attentes donnant lieu à une capacité de production insuffisante pour répondre à cette demande. Cet épisode a mis en évidence que le portefeuille de produits biothérapeutiques s’étend plus rapidement que la capacité de production mondiale (Michael Butler, 2005). Durant la dernière décennie, des progrès importants ont été réalisés grâce à l’optimisation des procédés de production (USP : upstream processing). Aujourd’hui, des concentrations en anticorps de 3 à 5 g/L sont presque systématiquement atteintes et certaines productions rapportent jusqu’à 13 g/L en mode cuvée-alimentée et jusqu’à 25 g/L en mode perfusion (Michael Butler & Meneses-Acosta, 2012; Kelley, 2007). Ces procédés de production qui génèrent des titres élevés ont encore lieu dans les mêmes configurations de réacteur que les procédés antérieurs avec titres plus faibles. Par conséquent, les volumes traités sont les mêmes mais la quantité d'anticorps est augmentée. Il en résulte des volumes contenant de 15 à 100 kg d'anticorps par lot à raison de 5 g/L dans des bioréacteurs de 20 à 25 kL au lieu de 5 à 10 kg d'anticorps par lot (Gronemeyer, Ditz, & Strube, 2014). Le traitement en aval (DSP : downstream processing) de ces quantités de produits entraine une augmentation du temps de purification et des coûts. Par conséquent, les capacités de production en amont peuvent être augmentées sans accroitre les coûts, alors que les procédés de purification s’adaptent en raison des principes physiques de séparation sur lesquels ils sont basés. Ainsi, de hauts rendements déplacent les principaux coûts de production vers la DSP. D’ailleurs, on rapporte que les budgets alloués aux nouvelles technologies utilisées en DSP ont augmenté de 2.5% à 6.4% entre 2009 et 2011 (Langer, 2011). La production d’anticorps à l’échelle industrielle implique typiquement une série de clarification par centrifugation et/ou filtration. S’en suit des étapes de chromatographies qui débutent par une chromatographie de capture (généralement une chromatographie par affinité - Protéine A) pour réduire les volumes de récolte et éliminer la majorité des impuretés. Le second type de chromatographie, appelé également polissage, consiste en une inactivation virale à pH faible, une étape de filtration virale et échange de tampon/concentration. Cette seconde étape conduit à l’élimination de diverses impuretés comme l’ADN, les protéines lixiviées, les endotoxines, les virus, les agrégats, etc. Une purification efficace

doit conduire à une pureté > 95% ce qui inclut des quantités résiduelles de protéines de la cellule hôte < 100 ppm, des débris d’ADN < 10 ng/dose et une quantité d’agrégats hautement immunogènes < 5% (Chon & Zarbis-Papastoitsis, 2011). Comme résultante à l’augmentation des productivités cellulaires, les industries ont orienté leurs efforts vers l’augmentation des capacités des résines et l’élaboration de nouvelles membranes plus robustes (J. A. C. Lim, Sinclair, Kim, & Gottschalk, 2007). Vogel et al. (Vogel et al., 2012) ont développé une plateforme de séparation pour leurs productions en mettant en place des membranes d’absorption spécifiques. Les approches d’optimisation actuelles visent ainsi l’ensemble des opérations USP et DSP qui se concentrent sur les rendements en produit, les agrégats, la teneur en ADN et la présence d’isoformes. De plus, la demande en produits biologiques continuera à augmenter au cours des prochaines années. L’arrivée à échéance de brevets ainsi que les pressions réglementaires constituera un défi majeur, celui d’une intégration très minutieuse du développement des procédés USP et DSP et des coûts associés.

Dans ce contexte, un facteur important à considérer concerne l’applicabilité (incluant la mise à l’échelle) des stratégies développées dans le cadre de cette thèse. Le recours au mode cuvée- alimenté est déjà largement utilisé dans l’industrie biopharmaceutique. Cependant, l’utilisation d’une alimentation dynamique telle que décrite dans nos travaux, bien que relativement simple à mettre en œuvre, pourrait néanmoins rencontrer des difficultés d’acceptation par une industrie relativement rigide aux changements parce que soumise à un cadre réglementaire strict. Dans le cas de bioprocédés de fabrication déjà en place, l’application d’une nouvelle stratégie exigerait une démonstration de la comparabilité afin d'assurer la qualité, l'innocuité et l'efficacité du produit après les changements apportés au procédé. Bien que les solutions techniques existent déjà pour permettre l’implantation de stratégies dynamiques robustes (e.g. auto-échantillonneurs couplés à des analyseurs biochimiques pour une évaluation en-ligne des nutriments/catabolites), les pratiques continuent reposer surtout sur des protocoles d’alimentation préétablis afin de minimiser la variabilité entre lots et maintenir une conformité aux spécifications du produit.

Néanmoins, à partir d’un certain nombre de productions réalisées à petite échelle avec un régime dynamique, il serait aisé d’en inférer un protocole pré-défini applicable à grande échelle pour une culture dont le déroulement s’avère reproductible d’un cycle de production à l’autre (Aehle et al., 2011). Par ailleurs, les agences réglementaires, la FDA en tête, incitent de plus en plus l’industrie à adopter les concepts de PAT (Process Analytical Technologies) et de Qualité par Design, qui impliquent l’utilisation de nouvelles approches habilitantes permettant d’améliorer l’efficience de production et la qualité des produits. On peut donc penser que l’implantation de

stratégies dynamiques est appelée à connaître une plus grande acceptation dans l’industrie biopharmaceutique en général.

L’approche de culture reposant sur des changements de milieu qui a été effectuée en flacons serait bien sûr difficilement transposable à grande échelle et avait surtout pour but d’évaluer le potentiel d’un mode perfusion pour améliorer les rendements de production. Toujours dans une perspective de transposition à l’échelle industrielle, le recours à un mode de production en perfusion (ou le mode hybride fed-perfusion) qui opère à des densités cellulaires élevées a des conséquences au niveau des étapes de séparation et de purification en aval, en raison des volumes plus importants à traiter et de la présence accrue de débris/résidus cellulaires découlant des hautes densités atteintes. Néanmoins, il faut souligner que le mode perfusion décrit dans le cadre de cette thèse n’est appliqué que durant la phase de croissance (i.e. seulement durant quelques jours) et le taux de perfusion employé (20 % de volume par jour) était relativement faible en comparaison avec les procédés en perfusion classiques qui perfusent parfois de 1 à 2 volumes par jour pendant plusieurs semaines et parfois plusieurs mois. D’autre part, le développement continuel de modules de rétention efficaces comme l’ATF pouvant supporter de hautes concentrations cellulaires a permis de faciliter les procédés de perfusion à grande échelle (John Bonham-Carter & Shevitz, 2011). Enfin, le traitement DSP de ces cultures à haute densité cellulaire issues de procédés perfusion a fait l’objet de plusieurs études qui ont proposé des techniques de purification comme la filtration en utilisant des membranes de plus en plus performantes (Fahrner et al., 2001; P. Gagnon, 2010).

Pour conclure, les travaux de cette thèse ont été réalisés en utilisant un système modèle spécifique, soit une lignée cellulaire CHO inductible au cumate produisant du rituximab. Ceci soulève la question du caractère générique ou non des approches et des résultats présentés dans cette thèse. Nos travaux ont notamment mis en lumière l’importance de l’état physiologique des cellules au moment d’initier la production. Des observations similaires ont été faites auparavant dans le cas d’une autre lignée CHO inductible (non-GS) produisant un anticorps anti-CD20, ce qui suggère que le moment d’induction est un paramètre critique qui devrait toujours faire l’objet d’une attention particulière lors des efforts d’optimisation, quel que soit le clone/produit. C’est d’ailleurs également le cas pour les fermentations microbiennes. Plusieurs conditions ou stratégies opératoires utilisées dans le cadre de cette thèse seraient directement transposables à tout autre système (e.g. réduction de la température post-induction, alimentation dynamique basée sur la

consommation de glucose, etc.). Il est attendu que les rendements en produit sont susceptibles de varier d’un clone à un autre. Typiquement, pour maximiser un rendement, le protocole d’alimentation et la nature de la solution concentrée de nutriments doivent faire l’objet d’une optimisation spécifique à la lignée employée. Cependant, les entreprises se tournent de plus en plus vers le développement d’une « plateforme de production » qui ne procure pas nécessairement les productivités volumétriques les plus élevées pour des lignées cellulaires/produits donnés, mais qui s’applique à un large éventail de systèmes (lignée/produit) et peut s’implémenter avec un minimum de modifications au niveau du procédé et des stratégies d’opération. De la même façon, pour une lignée CHO exprimant un autre anticorps, les résultats de cette thèse pourraient servir de bon point de départ pour une optimisation plus fine des conditions.