4.1 Constats 50
4.1.1 Constats sociétaux généraux 50
4.1.2.4 Impact du design sur l’environnement 83
Il apparaît évident depuis les trente dernières années que l’activité humaine dégrade l’environnement. Si c’est le plus souvent les industriels qui sont pointés du doigt, les designers participent grandement à ce phénomène d’altération en proposant des produits inadaptés et dangereux pour la préservation de l’environnement. Bien que cette conscience environnementale ait évolué en trente ans, les auteurs rendent compte du rôle du designer dans la destruction de l’environnement naturel.
Papanek
Concernant l’implication du designer et des professions liées à la discipline dans la dégradation de l’environnement, une fois de plus le point de vue de Papanek est extrême. En effet, l’auteur considère que « la meilleure chose que le designer puisse
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faire pour l’humanité est d’arrêter de travailler complètement » 239. Il apparaît donc
clairement que Papanek tient les architectes, les designers industriels et les urbanistes comme responsables de la destruction visuelle, physique et chimique de l’environnement.
Selon Papanek les facteurs d’obsolescence, de « jetabilité », et d’autodestruction ont participé à la détérioration écologique alors que des tentatives ont été menées en vue de protéger/sauver des zones désertiques à l’aide de nouveaux paradigmes au sein du design240. Papanek met ici en évidence deux aspects contradictoires : alors
que d’un côté les designers participent à la dégradation écologique de l’environnement humain et naturel, de l’autre, ils tentent de mettre en place de nouvelles mesures visant à protéger des zones non-‐habitées.
Papanek dénonce vivement la société de gaspillage de son temps, mais reconnaît pourtant les avantages de certains produits jetables241. Cependant, ce qu’il reproche
aux industriels c’est d’abord, de profiter de la facilité de vendre des produits jetables et ensuite le peu de discernement dont ils font preuve au regard de ce qui devrait être jeté ou non.242 En effet, l’auteur considère que l’on jette ce à quoi on n’a pas su
accorder d’importance et que les produits qui sont conçus pour être jetés souffrent d’un manque d’attention de conception ou de négligence des facteurs de sécurité.243
Papanek dénonce clairement le rôle des designers, des architectes et des industriels dans la dégradation de l’environnement. L’auteur explique cela d’abord par la
239 « In an environment that is screwed up visually, physically and chemically, the best and simplest
thing that architects, industrial designers, planners, etc., could do for humanity would be to stop working entirely. » Papanek, V. (1971). Op. cit. p. xxv-‐xxiv.
240 « The component factors of obsolescence, disposability, and self-‐destruction have been used for an
ecological alteration, and attempt has been made to salvage desert areas by introducing new thinking into design planning. » Ibid. p. 80.
241 « There is no question that the concept of obsolescence can be a sound one. Disposable hospital
syringes, for instance, eliminate some of the need for costly autoclaves and other sterilizing equipment. In underdeveloped countries, or climatic situations where sterilization becomes difficult or impossible, a whole line of disposable surgical and dental instruments will become useful. Throw-‐away Kleenex, diapers, etc., are certainly welcome.» Ibid. p. 77.
242 « (…) we see readily that certain aspect of our Kleenex Culture are unavoidable and, in fact,
beneficial. (...) Obviously, it is easier to sell objects that are thrown away than objects that are permanent, and the industry has done little or nothing to decide what should be thrown away and what should not. » Ibid. p. 84-‐85.
243 « That which we throw away, we fail to value. When we design and plan things to be discarded, we
négligence de ces professionnels dans la conception de leurs projets, mais aussi par leurs choix de la facilité. En effet, selon lui de nombreux produits et projets sont mal conçus et les industriels de même que les designers et les architectes accordent peu d’importance à l’impact de leurs productions sur l’environnement.
McD+B
McD+B expliquent que dans l’histoire de la discipline, l’impact du design sur l’environnement remonte jusqu’au moment de la révolution industrielle. Selon eux, les moyens techniques élaborés à cette époque sont à l’origine d’une rupture entre l’Homme et la Nature. L’Homme maîtrise dès lors son environnement et n’est plus à la merci des vicissitudes climatiques : l’Homme domine la Nature.244 Celle-‐ci devient
alors un réservoir de ressources dans lequel l’homme puise ce dont il a besoin pour alimenter les machines d’un système basé sur la production de masse.245 Les
préoccupations des premiers industriels, tournées vers le profit et l’efficacité, ont participé, selon les auteurs, à créer une certaine vision du monde focalisée sur l’économie.246 De plus, pour McD+B, si la révolution industrielle est à l’origine d’une
certaine vision du monde, elle a aussi participé à tracer les lignes directrices de la discipline du design ; dont la prise en compte de « la santé des systèmes naturels, la conscience de leurs délicatesse, complexité et interdépendance » ne fait pas partie.247 Pour autant, les auteurs mettent en avant les tentatives de solutions que la
discipline a tenté d’apporter aux problèmes qu’elle-‐même crée. Ils qualifient ces solutions comme « une approche du moins pire » (« less bad approach »).248 McD+B
expliquent cette approche du fait, d’abord, que la majorité des designers de premier plan fuient les préoccupations environnementales. Ils dénoncent ensuite « les designers industriels et les architectes qui favorisent des solutions superficielles,
244 « With the new technologies and the brute force energy, the Industrial Revolution gave humans
unprecedent power over nature. No longer were people so dependent on natural forces, or so helpless against the vicissitudes of land and sea. » McDonough, W. et Braungart, M. (2002). Op. cit. p. 128.
245 « Early industries relied on a seemingly endless supply of natural "capital". Ore, timber, water, grain,
cattle, coal, land -‐ these were the raw materials for the production systems that made goods for the masses, and they still are today. » Ibid. p. 24.
246 « For obvious reasons, the design goals of early industrialists were quite specific, limited to the
practical, profitable, efficient, and linear. Many industrialists, designers, and engineers did not see their design as a part of a larger system, outside of an economic one. » Ibid. p. 24.
247 « Neither the health of natural systems, nor an awareness of their delicacy, complexity, and
interconnectedness, have been part of the industrial design agenda. » Ibid. p. 26.
248 « Since then (industrial revolution) the typical response to industrial destruction has been to find a
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esthétiques, qui sont faciles à obtenir et qui ne coûtent pas cher».249 Ces solutions
qu’évoque McD+B, sont à l’origine selon eux de la création d’un environnement inadapté à l’homme. En effet, ils constatent que malgré le soin que les individus apportent à leur environnement direct, celui-‐ci n’est pourtant ni sécuritaire ni sain du fait de nombreux objets mal conçus ou contenants des matières toxiques pour l’adulte et surtout l’enfant.250
Un autre phénomène que relèvent les auteurs est la quantité de déchets que produit le système « du berceau à la tombe » mis en place à la révolution industrielle. En effet, ils notent que si l’on se préoccupe des « déchets qui s’accumulent en véritable montagne, leur quantité -‐ l’espace qu’ils occupent -‐ » n’est pas encore à l’ordre du jour.251 La solution de traitement de ces déchets mise en place jusqu’à présent est
l’incinération. Pourtant, selon les auteurs, « si les déchets brûlent c’est uniquement parce que des matériaux de valeur, comme le papier ou le plastique, sont inflammables ».252 Autrement dit, d’une part, nous brûlons des matières premières
qui pourraient être réutilisées et d’autre part « dans la mesure où ces objets n’ont pas été conçus pour être incinérés, leur combustion peut entrainer des émanations toxiques ».253 Selon le point de vue des auteurs, toutes activités humaines issues de
la révolution industrielle et qui font perdurer ses principes sont en opposition avec le fonctionnement naturel. Pour mettre en avant cette opposition, les auteurs comparent « la croissance de la nature (et celle d’un enfant) généralement perçue comme belle et saine »254, à la « croissance industrielle tournée vers son propre
249 « We tried to be less bad. Most leading designers eschewed environmental concerns. (...) Even as
architects and Industrial designers began to embrace recycled or sustainable materials, they still dealt primarily with surfaces -‐ with what looked good, what was easy to get, what they could afford. » Ibid. p. 9.
250 « That plastic rattle the baby is playing with – should she be putting it in her mouth? If it’s made of
PVC plastic, there’s a good chance it contains phthalates, known to cause liver cancer in animals (and suspected to cause endocrine disruption), along with toxic dyes, lubricants, antioxidants, and ultraviolet-‐light stabilizers. Why? What were the designers at the toy company thinking? So much for trying to maintain a healthy environment, or even a healthy home. So much for peace, comfort, and safety. Something seems to be terribly wrong with this picture.” Ibid. p. 5.
251 « Mountains of waste rising in landfills are growing concern, but the quantity of these wastes-‐ the
space they take up-‐ is not the major problem of cradle-‐to-‐grave designs. » Ibid. p. 98.
252 « But waste in incinerators burns only because valuable materials, like paper and plastic, are flammable. » Ibid. p. 55.
253 « Since these materials were never designed to be safely burned, they can release dioxins and other
toxins when incinerated. » Ibid.
254 « The growth of the nature (and of children) is usually perceived as beautiful and healthy.” Ibid. p.
intérêt et non celui des individus »255. La croissance industrielle ou urbaine est
critiquée par McD+B en raison de son « utilisation avide des ressources » et la « désintégration de la culture et de l’environnement ». Les auteurs soulignent d’ailleurs que les croissances urbaine et industrielle sont souvent comparées à des cancers.256 Finalement, les auteurs attribuent cette confrontation permanente entre
environnement et industrie, et plus précisément entre environnementalistes et industriels, à un conflit d’intérêts, mais aussi aux préjugés, souvent infondés, de part et d’autre.257
Dans leurs constats de l’impact du design sur l’environnement, McD+B replacent la discipline dans un système économique plus large datant de la révolution industrielle. On a pu se rendre compte au travers des différentes citations choisies que les auteurs reprochent aux designers de perpétuer des principes archaïques fondés sur une logique économique et de proposer des solutions souvent inadaptées aux problèmes écologiques ou pour le moins insuffisantes. Il faut tout de même noter que pour les auteurs, la responsabilité des designers dans le processus de dégradation de l’environnement, naturel et humain, doit être comprise selon la logique plus large des systèmes de valeurs des sociétés occidentales. Autrement dit, les designers ne sont pas seuls responsables des problèmes environnementaux, mais cela ne justifie pas le manque de vraies solutions proposées.
Comparaison
Une fois encore, la critique émise par McD+B rejoint celle formulée trente ans auparavant par Papanek. En effet, ils s’accordent sur la responsabilité du designer dans le processus d’altération de l’environnement dû en grande partie à la négligence des designers.
255 « Industrial growth on the other hand, has been called into question by environmentalists and other
concerned about the rapacious use of resources and the disintegration of culture and environment. »
Ibid.
256 « Urban and industrial growth is often referred to as a cancer, a thing that grows for its own sake
and not for the sake of the organism it inhabits. » Ibid.
257 « Our questioners often believe that the interests of commerce and the environment are inherently
in conflict, and that environmentalists who work with big businesses have sold out. And businesspeople have their own biases about environmentalists and social activists, whom they often see as extremists promoting ugly, troublesome, low-‐tech, and impossibly expensive designs and policies. » Ibid. p. 149.
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Pourtant, les auteurs font ce constat à des niveaux différents. Pour Papanek, les projets mal conçus et le peu de discernement entre ce qui devrait être jetable et ce qui le devient par la faute d’un mauvais design sont à l’origine du phénomène de gaspillage et donc de pollution. Pour McD+B, en revanche, le gaspillage et la pollution résultent des principes mis en place à la révolution industrielle qui continuent d’être perpétués. L’argument économique placé en priorité à la fin du XIXe siècle dicte encore les décisions des designers et relègue les problématiques environnementales au second plan.
Les auteurs constatent également chacun l’inefficacité des solutions proposées. Papanek explique la contradiction qui existe entre la pollution de l’environnement humain et la volonté de protéger des zones non habitées. McD+B mettent, quant à eux, en avant l’aspect superficiel des solutions proposées. Dans les deux cas, il faut retenir le constat commun de fausses solutions proposées par la discipline qui ont pour but de déresponsabiliser les designers de leur rôle dans la dégradation de l’environnement. Ce dernier aspect que soulignent les auteurs est révélateur d’une certaine léthargie au sein de la discipline qui continue de perpétuer des principes dont l’impact est pourtant connu comme négatif à court et long terme.
4.2 Attentes et positionnement théorique