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L’intervention mise en œuvre dans cette étude pilote pour éliminer et interrompre la transmission des souches de P. falciparum résistantes aux artémisinines a consisté à (i) diagnostiquer et traiter précocement les cas symptomatiques incidents (DTP), (ii) administrer

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un traitement de masse à l’ensemble de la communauté (TdM) et (iii) saturer la couverture en moustiquaires imprégnées à longue durée d’action. La mise en place d’une surveillance entomologique a permis de monitorer l’infectivité des vecteurs et l’intensité de la transmission dans le contexte de l’intervention.

1.

Le traitement de masse

a)

Accélérateur de l’élimination

Nous avons démontré que le TdM diminue fortement et rapidement l’infectivité des vecteurs (IS) et donc l’intensité de la transmission (TIE). Pour P. falciparum, l’impact du TdM sur la transmission perdure après l’intervention. Pour P. vivax, il est transitoire : les indicateurs entomologiques de la transmission retrouvent rapidement leurs valeurs initiales lorsque l’EPPT de pipéraquine disparaît. L’impact de l’intervention sur P. falciparum est également reflété par la mesure du rapport Pf/Pv dans la population anophélienne. Il est passé de 0.62 (13/21) avant et pendant le TdM à 0.07 (5/68) après le TdM. Malgré le caractère pilote de l’étude et le faible nombre de villages inclus, des différences ont été mises en évidence. Le taux de couverture du TdM et le bon fonctionnement du poste palu sont des facteurs essentiels à la réussite de l’intervention. Cela montre l’importance de l’engagement communautaire. Une abondance importante de vecteurs en période post-élimination a également été associée à un risque accru d’épidémie lorsque le taux de couverture du TdM et le fonctionnement du poste palu sont médiocres (cas du village de TOT).

b)

Considérations pharmacologiques

Le protocole thérapeutique utilisé dans le protocole Mahidol-Oxford du TdM repose sur l’association du traitement combiné dihydroartémisinine-pipéraquine et de la primaquine en dose unique à faible posologie. Plusieurs considérations pharmacologiques sont à prendre en compte pour expliquer l’effet du TdM sur la transmission. Outre l’efficacité intrinsèque du traitement sur les souches résistantes du parasite (prérequis indispensable), l’impact du TdM s’explique par deux propriétés du traitement : l’effet sur les gamétocytes et l’effet prophylactique post-traitement (EPPT). Nous avons vu en introduction que le traitement combiné dihydroartémisinine-pipéraquine est le seul CTA épargné par les résistances médicamenteuses à la molécule partenaire dans la zone. Le taux de guérison de 100% a été

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confirmé dans cette étude (Landier et al., 2017). L’effet des CTA et de la primaquine à faible dose sur les gamétocytes et la transmissibilité de P. falciparum a été détaillé en introduction. L’importance de l’EPPT dans le cadre du TdM et de l’interruption de la transmission a été suggéré par des travaux de modélisation (Gerardin et al., 2015). Dans le cas du protocole Mahidol-Oxford, les participants recoivent le TdM trois fois à un mois d’intervalle afin de prévenir toute réinfection pendant trois mois dans la population cible. Etant donnée la durée de vie du moustique (3-4 semaines au laboratoire et 10-15 jours dans la nature), cela permet d’interrompre le contact parasite-vecteur pendant 3-9 générations et donc d’interrompre le cycle de transmission. Cependant, les résultats présentés dans cette étude n’ont pas permis de mesurer la contribution de l’EPPT de la pipéraquine à l’interuption de la transmission. L’effet transitoire sur P. vivax était attendu car le TdM ne permet pas d’éliminer les hypnozoïtes qui sont responsables de rechutes dès lors que la concentration sanguine de la pipéraquine diminue (30 jours après le traitement). Il renforce l’idée que le TdM est efficace pour interrompre la transmission de P. falciparum.

c)

Résistances médicamenteuses

Des travaux récents réalisés dans la zone d’étude ont montré que le TdM n’était pas associé à une aggravation des résistances médicamenteuses (Malaria Elimination Task Force, 2017). Au contraire, la proportion de parasites ayant une mutation du marqueur kelch13 de la résistance à l’artémisinine a légèrement diminuée et aucune résistance à la pipéraquine n’a été détectée (Malaria Elimination Task Force, 2017, Landier et al., 2017). Cela était prévisible du fait de la faible charge parasitaire dans les porteurs asymptomatiques et du taux d’efficacité de 100% du CTA utilisé (White, 2017). Sur le long terme, la diminution de l’incidence du paludisme diminue également ce risque car les porteurs symptomatiques sont la principale source de parasites de novo résistants (White, 2017, White et al., 2009).

2.

Le poste palu

Une originalité majeure du protocole Mahidol-Oxford d’EMC est le concept de poste palu (dispensaire animé par des agents de santé publique communautaires). Le rôle du malaria poste est de permettre un accès « universel » au DTP afin de traiter les cas symptomatiques incidents. Du fait du faible nombre de villages inclus dans cette étude pilote, de la conception

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de l’étude et du faible taux d’infection pour P. falciparum, il n’a pas été possible de décomposer l’effet du poste palu de celui du TdM. A noter que dans l’étude de Nosten et al., l’accès au DTP et l’introduction d’une CTA efficace en première ligne de traitement se sont traduits par une diminution rapide du taux d’infection des vecteurs dans le camp de réfugiés de Maela (Nosten et al., 2000). La mise en place d’un poste palu ne semble pas suffisante dans ces villages hotspots (où la prévalence de l’infection asymptomatique est élevée). En effet, des moustiques infectés par P. falciparum ont été détectés pendant les 9 premier mois de l’étude dans les villages du groupe B (qui n’avaient pas encore reçu le TdM). Cette observation montre que le seul recours au DTP ne permet pas d’interrompre rapidement le cycle de transmission de P. falciparum lorsque la prévalence de l’infection asymptomatique est élevée. Cela a été confirmé en modélisant l’incidence clinique du paludisme en fonction du temps d’ouverture du poste palu dans une quarantaine de villages hotspots : l’interruption de la transmission avec le DTP seul prendrait 42 semaines (Malaria Elimination Task Force, 2017). Dans le contexte de l’élimination (urgence), le TdM est donc un outil indispensable pour éliminer rapidement P. falciparum avant l’aggravation des résistances médicamenteuses. Le poste palu est particulièrement important après le TdM afin de maintenir la transmission à un niveau nul. En effet, le TdM est une intervention ponctuelle dont l’effet n’est pas rémanent dans le temps. Le parasite peut être réintroduit après le TdM et la transmission peut repartir sous forme d’épidémie. A noter que le réseau de poste palu est aussi un outil indispensable pour monitorer l’effet de l’intervention et savoir où le parasite a été éliminé (dans le cadre de la mise à grande échelle du programme d’élimination).

3.

Les moustiquaires

Enfin, l’effet des moustiquaires a probablement été marginal dans cette étude du fait de l’importance de la transmission résiduelle dans la zone. Les données accumulées pendant ces trente dernières années (Dolan et al., 1993, Smithuis et al., 2013a, Smithuis et al., 2013b, Luxemburger et al., 1994, Nosten et al., 2000, Somboon, 1993, Somboon et al., 1995, Somboon et al., 1998, Killeen, 2014) et celles qui sont présentées dans cette étude montrent clairement que les stratégies actuelles ne sont pas suffisantes dans cette zone où la transmission « résiduelle » représente plus de 65% du total des piqûres infectantes.

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D. PERSPECTIVES ET PISTES DE REFLEXION POUR LA SUITE