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B. Apport de notre étude pour comprendre l’épidemiologie du paludisme dans la zone

3. Déterminants entomologiques des résistances médicamenteuses

Le développement des résistances médicamenteuses s’effectue en deux phases discrètes : l’émergence d’un clone du parasite de novo résistant et sa dissémination lorsque les parasites résiduels sont exposés à des concentrations sous-thérapeutiques du médicament, donnant ainsi un avantage sélectif pour la transmission au vecteur (White, 1999). L’émergence de parasites de novo résistant a lieu principalement chez l’hôte humain pendant la phase sanguine de l’infection. Plusieurs facteurs sont particulièrement importants notamment la pharmacologie des médicaments antipaludiques, l’immunité de l’hôte et des facteurs parasitologiques (White et al., 2009). La dissémination des résistances a fait l’objet d’une revue par Barnes et White (Barnes and White, 2005) mais les études de modélisation sont plus rares (Pongtavornpinyo et al., 2008). Les facteurs entomologiques sont particulièrement importants pendant la phase de dissémination mais ils sont peu documentés. Dans ce paragraphe, nous allons identifier des pistes de réflexion pour l’entomologie.

Le rôle de l’intensité de la transmission dans la dynamique des résistances a fait l’objet de plusieurs publications (Pongtavornpinyo et al., 2008, Talisuna et al., 2007, Artzy-Randrup et al., 2010). En zone de forte transmission, la majorité de la transmission a lieu par les porteurs asymptomatiques qui ne sont pas exposés aux traitements (94% des infections) (Pongtavornpinyo et al., 2008, Yekutiel, 1960). Le facteur déterminant pour la dissémination

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des résistances est la proportion de la population qui a une concentration résiduelle sub- thérapeutique de médicaments. En zone de faible transmission, le degré de prémunition diminue : 85% des infections sont symptomatiques et généralement traitées (Yekutiel, 1960, Pongtavornpinyo et al., 2008). La proportion des cas symptomatiques qui sont traités est le principal facteur qui détermine la dissémination des résistances (Pongtavornpinyo et al., 2008). D’une manière générale, les modèles et les observations épidémiologiques convergent et s’accordent sur le fait que la dissémination des souches résistantes est plus rapide en zone de faible transmission (Pongtavornpinyo et al., 2008). En zone de faible transmission, une proportion plus importante des infections transmissibles est traitée et le degré de prémunition est moindre, ce qui augmente la probabilité d’échecs thérapeutiques.

Une spécificité du développement de plasmodium dans le vecteur anophélien par rapport à l’hôte vertébré est l’étape de reproduction sexuée qui permet des échanges génétiques entre différents clones par un mécanisme de recombinaison chromosomique pendant la méiose, soit homologue (Su et al., 1999, Samarakoon et al., 2011, Freitas-Junior et al., 2000), soit hétérologue (Hinterberg et al., 1994, Freitas-Junior et al., 2000). Ce mécanisme est essentiel pour assurer le bon déroulement de la ségrégation chromosomique pendant la méiose. Il permet aussi de générer de la diversité génétique en mélangeant les haplotypes et d’homogénéiser les allèles par un mécanisme de conversion génique (San Filippo et al., 2008, Chen et al., 2007). La recombinaison de différents génotypes nécessite la rencontre entre différents clones pendant la méiose. Cela est favorisé par la diversité clonale intra-hôte (Nair et al., 2014, Anderson et al., 2000) et par des facteurs entomologiques. Sur le plan entomologique, plusieurs éléments sont à considérer. Premièrement, lorsque la charge parasitaire est élevée (nombreux oocystes), cela favorise la probabilité de recombinaison entre différents clones. Dans notre étude, la majorité des échantillons ont une charge parasitaire très faible qui correspond à 1-2 oocystes. Seulement 5% des échantillons positifs ont une charge parasitaire élevée >10000 parasites (nombreux oocystes). Cette observation est concordante avec d’autres études réalisées dans la zone qui ont montré par microscopie que le nombre médian d’oocystes dans les populations sauvages d’anophèles est de 3-5 et qu’une minorité d’échantillons ont un nombres élevé d’oocystes (Sidavong et al., 2004, Rahman et al., 1993). Par ailleurs, nos données suggèrent des différences entre les vecteurs. Pour An. dirus (s.l.), la charge semble supérieure (mais la taille de l’échantillon est faible). Au

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contraire, la charge parasitaire semble plus faible chez An. maculatus (s.l.) que chez les autres espèces vectrices. Nous suspectons que les charges parasitaires élevées reflètent probablement un repas infectant pris sur un hôte symptomatique. Plus d’études sont nécessaires afin de caractériser les modalités de la reproduction sexuée du parasite ainsi que la contribution des échanges génétiques entre differents clones pour comprendre l’évolution du paludisme dans la zone.

Un autre aspect de la biologie des vecteurs qui pourrait favoriser la rencontre de différents clones pendant la méiose est le phénomène des repas sanguins multiples au cours d’un même cycle gonotrophique. Le phénomène est connu depuis longtemps lorsqu’il s’agit de deux types d’hôtes différents (ex. homme et bétail). Des méthodes plus sophistiquées sont nécessaires pour documenter ce phénomène losqu’il s’agit de repas sanguins multiples pris sur le même type d’hôtes (ex. humain-humain). A notre connaissance, les premiers à avoir mentionné ce phénomène sont Boreham et al. en 1973 (Boreham and Garrett-Jones, 1973) avant de le démontrer formellement en 1979. Les auteurs ont utilisé le phénotypage de l’haptoglobine comme marqueur polymorphique permettant de distinguer le sang de deux hôtes humains différents dans un moustique (Boreham et al., 1979). Depuis, d’autres études ont été réalisées et ce phénomène a été observé chez plusieurs genres de moustiques et chez plusieurs espèces d’anophèles (peu de données sont issues d’ASE). Les repas sanguins multiples ont peut-être un rôle important pour expliquer la fréquence de recombinaison entre un parasite résistant importé et des souches locales sensibles, favorisant ainsi la dispersion des résistances.

L’apport de l’entomologie pour comprendre la dynamique de l’émergence et de la dissémination des résistances médicamenteuses chez P. falciparum est donc majeur. Ce champ de l’épidémiologie du paludisme a été très peu étudié. Plus d’études sont nécessaires pour caractériser ces mécanismes.

C. IMPACT DE L’INTERVENTION SUR LA TRANSMISSION DU