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F ILIATION ET INTERTEXTUALITÉ : UNE PRISE DE PAROLE DE FEMMES

LA PROFESSIONNALISATION D’UNE VOCATION

F ILIATION ET INTERTEXTUALITÉ : UNE PRISE DE PAROLE DE FEMMES

Si L’oublié ne se vend pas comme l’avaient espéré Joseph Lavergne et l’auteure, le succès que cette dernière connaît paraît suffisant pour éclipser aux yeux de certains (et de la postérité) les femmes qui se sont manifestées avant elle dans le milieu littéraire canadien- français. Dans une lettre datée du 1er mai 1906 s’adressant au journaliste français Léo

Leymarie et signée Laure Conan, l’écrivaine corrige son correspondant quant à la « maternité des femmes de lettres du Canada » dont il la coiffe258 : « ne m’attribuez point

une influence que je n’ai jamais eue. D’ailleurs, bien des femmes ont écrit avant moi. Mme Moodie et Mme Leprohon ont eu beaucoup de succès. Mlle Chagnon259 a publié bien

avant moi un roman "Les fiancés d’outre-tombe". » (2002 [1906] : 298) Cette rectification, pour Julie Roy260, représente une manière de glorifier la mémoire féminine, une façon de

s’inscrire non pas comme référence, mais comme héritière des efforts de toute une lignée de femmes restées dans l’ombre : « [p]rivée de mères littéraires par le "père de la littérature québécoise", Laure Conan a pourtant une mémoire que l’on ne saurait négliger261 .» Les

lettres, seul matériau qui permette de retracer les intertextes et la « charge dialogique262 »

des lectures à l’œuvre, révèlent le rôle clé joué par de grands modèles de femmes

257 Le prix Montyon lui rapporte 500 francs.

258 Nous avons placé ce même extrait en exergue de ce chapitre. 259 Il s’agit de Clara Chagnon.

260 Julie Roy, « Laure Conan et "Les fiancés d’outre-tombe" de Mlle Chagnon. Une filiation littéraire

inédite », dans H. Jacques, K. Larose et S. Santini [dir.], Sens communs. Expérience et transmission dans la

littérature québécoise, Nota Bene (Coll. Convergence), 2007, p. 259-272.

261 Ibid., p. 271.

canadiennes-françaises et françaises dans le parcours et l’œuvre de la romancière canadienne.

Quelques influences canadiennes-françaises

Cette mémoire de celles qui ont ouvert la voie, toujours selon Julie Roy, serait valorisée par le choix du roman patriotique comme genre de prédilection :

à une époque où l’histoire et la mémoire sont les gages de la préservation d’une identité et de sa quête pour la société canadienne francophone, où les femmes en tant que collectivité commencent à se chercher une histoire et des racines, Laure Conan ne fait que rendre justice à celles qui l’ont précédée et s’inscrit parfaitement dans cette quête d’autorité discursive qui marque la situation des femmes de son époque263.

Ainsi, le rapport qu’entretient Angers avec les femmes de lettres se fonde sur la connivence, le respect et la solidarité, notamment pour les femmes pionnières, celles qui l’ont influencée et pour qui elle manifeste de l’admiration. Félicité Angers se permet de réactualiser la mémoire collective à l’égard de ces modèles de façon explicite, dans la sphère intime et dans la sphère publique, en leur consacrant notamment des articles (Marie de l’Incarnation, sœur Catherine-Aurélie, Julie Lavergne, Jeanne Mance, sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus, Jeanne Le Ber et Gemma Galgani, entre autres), des brochures (Elizabeth Seton, Jeanne Le Ber et Marguerite Bourgeoys), en leur dédicaçant des romans (Thérèse Bentzon et la princesse Czartoryska) et même en se faisant préfacière pour Joyberte Soulanges264. Selon Lucie Robert, le roman célèbre Angéline de Montbrun est voué à

libérer la parole féminine et ainsi à la rendre autonome. L’imbrication des genres de l’intime et de la correspondance, reconnus comme féminins à l’époque, met l’accent sur l’intimité des relations et sur les décisions des personnages féminins, Angéline, Mina et Emma, qui refusent « un univers masculin superficiel265 » en « se retir[ant] du monde266 ».

Selon la chercheure, aucune des différentes voix de ce roman polyphonique ne répond à

263 Julie Roy, « Laure Conan et "Les fiancés d’outre-tombe" de Mlle Chagnon », art. cit., p. 276.

264 Laure Conan, « Préface », dans Joyberte Soulanges [Ernestine Pineault-Léveillé], Dollard, l’épopée de

1660 racontée à la jeunesse, Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1921, p. 7-8. Ce texte semble en

tout point conforme à ce que Félicité Angers demandera tout au long de sa carrière, soit que le péritexte (préface, critiques littéraires ou conférences) d’une œuvre littéraire soit destiné au propos du texte plutôt qu’à son auteur.

265 Lucie Robert, « D’Angéline de Montbrun à la Chair décevante. La naissance d’une parole féminine

autonome dans la littérature québécoise », dans Études littéraires, vol. XX, nº 1 (printemps-été 1987), p. 103.

une narration omnisciente, ce qui « représente une individualisation du regard qui s’oppose notamment au regard social, pré-déterminé, du roman à thèse267. »

De surcroît, le roman Angéline de Montbrun témoigne de la mémoire féminine de son auteure en étant profondément marqué par « Les fiancés d’outre-tombe268 ». Julie Roy

note l’abondance de liens entre les deux textes littéraires dont le surnom « Ma Fleur des Champs » employé par Maurice pour décrire Angéline qui semble une allusion à la jeune héroïne mohawk de Chagnon du même nom269. De fait, l’expression, qui désignerait tout à

la fois Angéline et l’Amérindienne, renverrait à « l’amoureuse fidèle jusque dans la mort270. » Chacune est également orpheline de mère, élément significatif pour Julie Roy :

La mémoire, tant pour Mlle Chagnon que pour Laure Conan, n’est pas

uniquement cette mémoire des héros de la Nouvelle-France vantée par les lettrés de l’époque, mais aussi et surtout une mémoire de femmes, mais une mémoire coupée de ses racines. […] Ces mères disparues, dont il est également peu question dans ces trois romans271, témoignent de manière métaphorique de

cette absence de lignée féminine que les deux auteures s’emploient à réinventer par le recours à la fiction272.

Angéline de Montbrun se poserait alors comme la réunion d’une parole féminine, celle

émise par Clara Chagnon et Félicité Angers, qui s’inscrit dans le champ littéraire canadien- français en tant que prise de parole féminine autonome.

Un point intéressant de cette filiation entre les deux œuvres est également relevé dans une comparaison soulevée par la chercheure : « Comme Chateaubriand, Mlle Chagnon

semble croire que la vie terrestre n’est qu’une succession d’épisodes de souffrance et que l’humain ne trouve de repos que dans la tombe273. » Cette perception du monde trouve écho

non seulement dans Angéline, mais également dans la correspondance de Félicité Angers, où l’ennui revient en leitmotiv et découlerait de la nostalgie de transcendance avec Dieu

267 Ibid., p. 108.

268 Clara Chagnon, « Les fiancés d’outre-tombe », dans La Revue canadienne, Montréal, E. Sénécal, vol. 6,

nos 5-7 (mai-juillet), p. 376-392, 436-452, 493-507.

269 Nicole Bourbonnais énumère, dans l’édition critique du roman, les textes ayant influencé Angers et qui

présentent cette expression, soit L’Imitation et le Journal d’Eugénie de Guérin, mais ne mentionne pas le roman de Chagnon (l’article de Julie Roy ayant été publié la même année).

270 Julie Roy, « Laure Conan et "Les fiancés d’outre-tombe" de Mlle Chagnon », art. cit., p. 269.

271 Plus qu’Angéline de Montbrun, Julie Roy relève À l’œuvre et à l’épreuve comme continuité de cette

parenté littéraire en notant les ressemblances avec l’œuvre de Chagnon.

272 Julie Roy, « Laure Conan et "Les fiancés d’outre-tombe" de Mlle Chagnon », art. cit., p. 270. 273 Ibid., p. 267.

ainsi que d’un « mal de siècle274 »propre aux auteurs romantiques, tel Chateaubriand. Ce

rapport au monde commun à Chagnon et à Angers est probablement influencé par l’auteur français, certes, mais aussi par la vague de romantisme présente alors au Canada français. Ainsi, le roman Angéline de Montbrun s’ouvre sur une citation de Lacordaire qui exprime bien la quête de vérité chez Angers, combinée à une conception du terne assez prononcée qui mène cette dernière vers un certain regret du monde : « L’avez-vous cru que cette vie fût la vie275 ? ».

Dans le même esprit, Angers puisera dans les textes mystiques de Marie de l’Incarnation la force d’une voix féminine intrinsèquement vouée à Dieu, le « Bien-Aimé » à qui cette grande contemplative dédie ses souffrances intériorisées et sublimées. Si la vocation d’écrire, par laquelle Félicité Angers dit vouloir répandre l’amour de Dieu, peut être considérée comme l’une des influences qu’auraient eues les écrits mystiques sur l’écrivaine276, nous pouvons attester que l’œuvre littéraire de cette dernière se situe

également dans le prolongement des lectures de Marie de l’Incarnation, notamment par le vocabulaire mystique qui s’y déploie et que conditionne également la correspondance avec les sœurs du Précieux-Sang. En exergue d’un article sur les premières ursulines paru dans

La Voix du Précieux-Sang, Angers choisit d’apposer une citation de Marie de

l’Incarnation : « Ne vous portez à rien qu’à suivre Dieu. Qu’il est doux de suivre Dieu ! Que cette dépendance des desseins de Dieu sur vous est importante277 ! » Également, dans

sa correspondance, quelques traces de l’affection envers Marie de l’Incarnation prennent place. À l’abbé Bruchési, elle décrira l’envie des ursulines quant au voyage de ce dernier en France, envie que l’on sent partagée : « Quand les religieuses Ursulines vont savoir que vous vous êtes promené dans le jardin de la mère de l’Incarnation ! ! Je voudrais entendre M. Lemoine [aumônier des Ursulines de Québec] vous interroger sur vos impressions. » (2002 [1885] : 195) De plus, dans une lettre datée du 16 décembre 1887 et adressée à Mgr Hamel, Angers évoque son roman À l’œuvre et à l’épreuve sur lequel elle

travaille et qu’elle voudrait faire paraître dans la revue le Canada Français. Elle lui

274 Voir Chapitre I.

275 Henri-Dominique Lacordaire, « De la création du monde par Dieu », 47e conférence, Œuvres du

R.P. Henri-Dominique Lacordaire, t. IV, Paris, Librairie Poussielgue frères, 1872, p. 318.

276 Voir Chapitre II.

277 Laure Conan, « Arrivée des Religieuses Ursulines au Canada », dans La Voix du Précieux-Sang, 3e année,

annonce avoir choisi d’intégrer une citation de Marie de l’Incarnation, dont le fort capital religieux est peut-être un argument en sa faveur : « Pour épigraphe, j’ai pris cette pensée de la mère de l’Incarnation : Le cœur humain est une forte pièce. » (2002 [1887] : 206) Absorbée par les écrits de cette dernière et consciente de la renommée de la religieuse, dont pourtant « la béatification [lui semble] bien lente à venir278 », Félicité Angers décidera

d’accorder une place dans ses Silhouettes canadiennes non pas au portrait de Marie de l’Incarnation, mais à celui de sa compagne fidèle, mère Marie de Saint-Joseph. Comme l’écrivaine l’explique, « la mémoire de la vénérable Marie de l’Incarnation […] est chez nous en bénédiction. Ces insignes bienfaitrices du pays vivent et vivront à jamais couronnées de reconnaissance et de respect. Mais la jeune religieuse qui partagea leurs périls, leurs labeurs, leurs héroïques misères n’est guère connue. Qui songe à cette aimable et douce mère Saint-Joseph ? … 279 » Encore une fois, le besoin de constituer une mémoire

pour les femmes parvient chez Angers à initier un projet littéraire. En citant la correspondance de Marie de l’Incarnation pour présenter Marie de Saint-Joseph, Angers montre que « [l]a mémoire de la littérature lui fait retenir une histoire, qui n’obéit peut-être pas aux mêmes règles que l’histoire du monde, mais qui la sort d’un immobilisme réducteur280 ».

Une « charmante parenté281 » : Eugénie de Guérin282 et Pauline de La Ferronnays Outre ces influences canadiennes, il faut rappeler que le milieu lettré féminin français demeure aussi lié à l’écrivaine. D’ailleurs, dans son étude sur Angéline de

Montbrun, l’abbé Casgrain affirme que la protagoniste éponyme « est évidemment une

sœur d’Eugénie de Guérin, et [qu’elle] a vécu dans l’intimité d’Alexandrine de la Ferronnays283. » Il précise cependant qu’Angéline « y gagnerait aux yeux de tous les

278 Laure Conan, « Lettres inédites », dans Angéline de Montbrun, édition critique préparée par Nicole

Bourbonnais, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal (Coll. Bibliothèque du Nouveau Monde), 2007, p. 393.

279 Laure Conan, « La mère Saint-Joseph », dans Silhouettes canadiennes, Québec, L’Action sociale, 1917,

p. 37.

280 Tiphaine Samoyault, L’intertextualité : mémoire de la littérature, op. cit., p. 87.

281 Henri-Raymond Casgrain, « Étude sur Angéline de Montbrun par Laure Conan », Œuvres complètes, tome

I, Montréal, Beauchemin, 1884, p. 416-417.

282 Eugénie de Guérin, née en 1805 et morte en 1848, est l’auteure du Journal (1862) destiné à son frère

Maurice de Guérin et des Lettres (1864) adressées à celui-ci qui seront publiés à titre posthume.

lecteurs canadiens, si elle descendait en ligne directe de Mlle de Verchères ou de Madame

de la Tour284 ! » Cette remarque ressemble à celle de René Bazin qui, comme nous l’avons

vu, conseille à l’écrivaine de « faire » canadien.

Selon Charles ab der Halden, « [r]arement deux femmes de lettres [Félicité Angers et Eugénie de Guérin] ont eu des dispositions plus identiques285 ». En accord avec Halden,

Casgrain aurait même prolongé la filiation dans une lettre adressée à Angers, à laquelle l’écrivaine répond : « [q]uant au rapprochement entre Eugénie et moi, je souhaite de tout mon cœur qu’elle vous le pardonne. » (2002 [1882] : 139) Le prénom d’Eugénie employé par l’écrivaine est un signe de familiarité d’autant plus surprenant que cette dernière n’a jamais été en contact avec la concernée, décédée en mai 1848 alors que Félicité Angers n’avait que trois ans. Mais il est certain que celle-ci connaît Eugénie de Guérin, que ce soit par les écrits intimes de cette dernière ou par le biais de Casgrain, qui fait le récit de ses voyages au Cayla286 : « J’avais déjà lu et relu avec un vif plaisir le récit charmant de votre

pèlerinage au Cayla, mais l’avoir de votre main m’est fort agréable. » (2002 [1882] : 139) La proximité ainsi tentée par l’utilisation du prénom plutôt que du nom se ferait l’écho de la généalogie littéraire de Félicité Angers : outre leur relation commune avec l’abbé Casgrain, leurs écrits intimes sont rédigés sans prétention à la publication. Si Angers est consciente de sa condition d’écriture singulière en tant que femme, Eugénie de Guérin l’est tout autant, en dépit de sa profonde résilience. Le 3 mai 1837, elle écrit : « Le rossignol chante, le ciel est beau, choses toutes nouvelles dans ce printemps tardif. C’est de quoi dire un mot, mais je te quitte pour des occupations utiles. Ceci n’est que passe-temps : joujou du cœur qu’une plume, pour une femme ! Vous autres hommes, c’est différent287. » Encore :

leurs écrits font preuve d’un profond engagement dans la foi catholique — toutes deux ont pensé au cloître — et puisent aux mêmes sources « édifiantes et romantiques288 ». Les deux

femmes trouveront une échappatoire dans l’écriture, qui les éloigne des mauvaises

284 Ibid., p. 417-418.

285 Charles ab der Halden, « Laure Conan », dans Nouvelles études de littérature canadienne, Paris, Rudeval,

1907, p. 201.

286 Eugénie de Guérin habite dans un château de Cayla, en France, près d’Albi, où l’abbé Casgrain serait allé

visiter la famille de Guérin.

287 Eugénie de Guérin, Journal et fragments, publiés avec l’assentiment de sa famille par G. S. Trebutien,

trente-huitième édition, Paris, Librairie Victor Lecoffre, 1887, p. 120-121.

288 Nicole Bourbonnais, « Angéline de Montbrun de Laure Conan : œuvre palimpseste », dans Voix et images,

dispositions : « Rien ne me fait du bien comme d’écrire, parce qu’alors je m’oublie289 »,

confie Eugénie de Guérin à son frère au moment où elle apprend la mort d’un proche, alors qu’Angers, nous l’avons vu, trouve sanctifiant l’acte de prendre la plume en ce que cela l’éloigne de ses regrets quant à sa défunte mère290. Ce n’est donc pas un hasard si, dans sa

lettre du 26 septembre 1883 adressée à Henri-Raymond Casgrain, Angers réactualise la comparaison avec la femme de lettres française : « Je suis sûre qu’à ma place, mademoiselle Eugénie en aurait pour longtemps à s’examiner. » (2002 [1883] : 157) Félicité Angers connaît bien l’humilité dont se couvre l’auteure et tâche elle-même de se prémunir contre la vanité, la vantardise, et ses lectures de L’Imitation de Jésus-Christ viennent nourrir cette inclination.

Mais la piété exemplaire d’Eugénie de Guérin qui transparaît dans ses lettres ne peut trouver le même prolongement dans les lettres de Félicité Angers, dont l’âme bouleversée ressent souvent l’impossibilité de se rapprocher de Dieu. Si, pour Eugénie de Guérin, la fortification de la foi peut se concevoir par l’écriture intime, cette avenue s’avère irréalisable pour Angers. Elle fera cesser la correspondance privée entamée avec Mgr Raymond qui lui permettait de se confesser par écrit, et s’en désolera à sœur Catherine-

Aurélie : « Je ne lui écris plus parce que je crains de lui faire perdre son temps. Si vous saviez, quelles sottes lettres je lui écrivais ! La direction par lettres n’est pas ce qu’il me faut. Je n’y trouve pas la grâce du Sacrement. Je veux dire que les lettres me laissent faible et froide. » (2002 [1879] : 106) Les questions relatives à la confession, plus précisément au confesseur, feront aussi partie intégrante des écrits intimes des deux femmes de lettres, Eugénie de Guérin évoquant l’importance des confessions dans son journal le 28 avril 1835 : « On ne sait pas dans le monde ce qu’est un confesseur, cet homme ami de l’âme, son confident le plus intime, son médecin, son maître, sa lumière ; cet homme qui nous lie et qui nous délie […] : la foi le fait véritablement Dieu et père. […] La confession n’est qu’une expansion du repentir dans l’amour291. » Plus modérée, Angers accorde, dans sa

lettre adressée à sœur Catherine-Aurélie, une grande importance en la valeur du confesseur, mais envers le titre de ce dernier peut-être davantage qu’en sa capacité à se faire « Dieu et père » comme l’entend Eugénie de Guérin : « Mr le curé ne me convenant pas, je me

289 Eugénie de Guérin, Journal et fragments, op. cit., p. 201. 290 Voir Chapitre 1.

confesse toujours aux vicaires. Ces jeunes prêtres ne m’inspirent pas de confiance pour la direction, mais notre nouveau vicaire me paraît avoir le tour, comme disait feu Mgr

Baillargeon. Serais-je imprudente en lui livrant mon âme ? Au fond, il n’est pas nécessaire d’être un si grand docteur pour me conduire. » (2002 [1879] : 106-107)

Les lectures saintes feront de l’une comme de l’autre des femmes enclines à la mélancolie. Chez Angers, cette mélancolie sera même le motif du refus de son entrée au cloître. À la suite d’une lecture de Saint-Augustin, Eugénie de Guérin notera dans son journal que « Dieu est le lieu des saints ; mais nous, terrestres, nous ne connaissons que la terre, cette pauvre terre noire, sèche, triste comme une demeure maudite292. » La diariste

exprime à quelques reprises cet ennui qui s’insinue en elle, « Je suis demeurée trop tranquille aujourd’hui, ce qui fait mal, ce qui donne le temps de croupir à un certain ennui qui est en moi293 », et qui paraît découler des deux mêmes motifs qui se profilent dans la

correspondance de Félicité Angers, soit la nostalgie de ne pouvoir s’unir à Dieu et celui du « mal du siècle » : « Quelquefois je pense que c’est la pensée du couvent qui fait cela, qui m’attire et m’attriste. J’envie le bonheur d’une sainte Thérèse, de sainte Paule à Bethléem. […] Le monde n’est pas mon endroit294 ». Encore, à propos d’une soirée mondaine, elle

proclame : « Je l’ai fait dans la meilleure volonté du monde ; mais cette complaisance m’ennuierait bientôt, comme tout ce qui se fait dans le monde où je me trouve étrangère295. »

Outre le caractère des deux femmes, plusieurs études296 soulignent les

ressemblances formelles entre le Journal d’Eugénie de Guérin et Angéline de Montbrun et montrent qu’Angers serait inspirée non seulement des écrits d’Eugénie de Guérin mais également de sa posture d’auteure. Les nombreux emprunts textuels, les imbrications frappantes et la structure mettent en lumière les mouvements d’Angéline de Montbrun vers le Journal, bien que ce dernier n’en constitue pas tout l’intertexte297. L’abbé Bruchési se

montrera même sensible à une phrase d’À travers les ronces, « Ce pauvre cœur ! il est si

292 Ibid., p. 14-15. 293 Ibid., p. 201. 294 Ibid., p. 202.

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