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III - La ville comme territoire politique et scène de régulation locale

Dans le document Td corrigé Thèse Lyon 2 - Td corrigé pdf (Page 78-83)

Pour répondre à la question : « Comment et par qui la régulation économique locale est-elle organisée dans la métropole lyonnaise ? », il peut être intéressant de puiser dans les Sciences politiques un outillage notionnel permettant l’analyse des jeux d’acteurs et de relations de pouvoir au sein du système local. Les apports de la notion de gouvernance développée par les Sciences politiques, ses liens avec les théories de la régulation et son opérationnalité dans le cadre d’une analyse historique de l’émergence d’une politique économique au niveau local, sont notamment très importants pour comprendre la répartition des rôles entre les différents acteurs en présence.

Plus largement, l’approche de la ville en termes de société locale et de scène de régulation politique permet d’aborder la question de la territorialisation de la politique économique sous l’angle de la réorganisation des échelles de gouvernement en Europe en lien avec le changement de contexte économique d’ensemble depuis la survenue de la crise. Elle ouvre l’analyse à la prise en compte des nouvelles logiques de concurrence et de compétition entre les territoires d’un point de vue politique et pas seulement économique. Elle favorise également la mobilisation de la notion de gouvernance comme grille de lecture des nouveaux rapports entre sphère politique et sphère économique existant au niveau local.

1- La ville comme société locale (incomplète)

D’après P. Le Galès (2003), les villes, comme l’Europe ou les régions à des échelles différentes, constituent des niveaux territoriaux possibles d’organisation de la société, des « sociétés incomplètes potentielles » (à condition de les inscrire en interdépendance avec les autres niveaux). Le rapport entre société et territoire est établi par la reconnaissance du territoire comme construit sociopolitique. Les villes européennes peuvent ainsi être vues comme des territoires à part entière au regard de leur fonctionnement actuel, mais également en référence à leur riche « passé de lieux d’échanges, de culture, de rapports sociaux originaux et d’invention de techniques de gouvernement » (p.20).

Cette affirmation rejoint l’approche du géographe P. George, pour qui « une ville ne constitue jamais une réalité géographique totale » (George, 1952 ; 1974). Elle est en effet inséparable de son environnement spatial immédiat et plus lointain, c’est-à-dire de sa région d’inscription sur laquelle elle exerce son influence, mais aussi du pays, voire du continent auquel elle appartient. Elle joue vis-à-vis d’eux un rôle de place centrale et de pivot de relations diverses, notamment économiques. Cette vision des territoires urbains s’inscrit dans un courant de la géographie fortement imprégné des travaux d’inspiration marxiste, développé en lien avec l’école historique des Annales chère à F.

Braudel. Elle place les évolutions structurelles de l’économie et de la société, ainsi que les rapports sociaux, au centre de l’analyse des villes.

Les sociétés européennes sont ainsi profondément territorialisées (notamment en comparaison avec les sociétés nord-américaines) : il existe un lien organique très fort entre les formations sociales européennes et leur espace géographique d’inscription, les sociétés locales européennes étant profondément ancrées dans les territoires européens.

De plus, la relation entre les villes et l’Etat est fondamentale pour comprendre le rôle et

la position des villes dans le système de régulation politique des sociétés européennes (Le Galès, 2003). De ce constat, l’auteur déduit que la situation actuelle, caractérisée par le retrait relatif des Etats-nations au profit des niveaux territoriaux supranationaux comme l’Union européenne ou des territoires infranationaux que constituent notamment les villes, offrent de nouvelles possibilités de développement de formes d’autonomie et d’intégration sociopolitiques, ainsi que de nouvelles capacités stratégiques de gouvernement (induisant cependant des tendances à l’éclatement et à la fragmentation).

P. Le Galès pointe également le caractère fortement institutionnalisé et territorialisé des formes d’encastrement du capitalisme dans les sociétés européennes. « Les acteurs au sein des villes européennes s’adaptent aux nouvelles conditions afin de contribuer activement à la formation de cette voie européenne, à l’élaboration de nouvelles formes de territorialisation et d’institutionnalisation, de compromis entre intégration sociale, culture et développement économique » (p.23). Il précise que ces acteurs de la transformation des villes européennes sont des associations, des entreprises, des groupes d’intérêts, ainsi que les gouvernements locaux et les leaders politiques, le conduisant à identifier des modes de gouvernance différenciés et particuliers dans les villes européennes.

La perspective de recherche ainsi poursuivie renoue donc avec l’analyse weberienne, qui envisage la ville « comme une société locale intégrée (incomplètement la plupart du temps), comme une formation sociale complexe » (p.24). P. Le Galès envisage les villes européennes comme des sociétés locales incomplètes, car elles sont des scènes d’interactions multiples entre acteurs (coordination, opposition…), produisant des représentations qui institutionnalisent des formes d’action collective.

Cependant, « dans les villes européennes, cette notion de société a un sens à condition de désagréger les éléments de cet acteur collectif et d’analyser le jeu des groupes sociaux et des organisations en leur sein» (p.27). Il s’agit ainsi de ne pas céder aux risques de dérive contenus dans l’analyse en termes de « new localism », qui consiste à envisager les stratégies de régulation locale déployées par les acteurs locaux indépendamment des évolutions de la structure politique et économique aux niveaux national et supranational (Lovering, 1995). P. Le Galès envisage ainsi les villes européennes en lien avec « les transformations de l’Etat, de l’économie, de la société, qui bousculent le modèle de l’Etat-nation et modifient les contraintes et les opportunités des territoires infranationaux » (p.28).

P. Le Galès s’appuie sur des travaux européens20 pour préciser que « l’on peut parler de société locale lorsqu’on peut identifier des constellations relativement stables dans le temps d’acteurs, de processus, de cultures sociales et politiques, de caractéristiques économiques mais aussi de structures familiales et de formes d’organisation de la société civile » (p.27). En bref, l’existence d’une société locale est déterminée par l’épaisseur, l’historicité et la structuration des interactions entre les acteurs locaux, et par les formes d’intégration de leurs stratégies dans des logiques de coopération, de partenariat, de gestion des conflits au service des ressources propres du territoire local.

Toutefois, la spécificité du contexte français nous oblige à observer une certaine prudence quant à la caractérisation de la métropole lyonnaise en termes de société locale, même incomplète, en raison notamment de l’ancienneté et de l’intensité des

20Saraceno C., Bonny Y., Garcia M., Guftasson B., Mingione E., Oberti M., Pereirinha J., Voges W.

(eds), « Evaluation of social policies at the local urban level : income support for the able bodied », Research report for DX XII, European Union, 1998.

processus sociopolitiques d’intégration et de centralisation du pouvoir au niveau national. Il est par contre possible d’aborder la métropole lyonnaise comme un système d’action local, c’est-à-dire un système d’action localisé ou territorialisé (i.e. ancré dans le territoire), au sein duquel différents acteurs entrent en relation pour organiser une forme particulière de régulation, propre au territoire local. Dit plus simplement, une société locale incomplète comme la métropole lyonnaise, en tant que système d’action territorialisé spécifique, peut alors être caractérisée par une forme de gouvernance particulière, c’est-à-dire une forme de régulation économique, politique et sociale locale, ancrée dans le territoire.

2- De la régulation économique à la régulation politique

Pour P. Le Galès (1999), la mise en évidence des liens entre économie et politique s’inscrit dans une approche visant à éclairer la crise de l’Etat-providence, à suggérer des voies de sortie de crise, vers un nouveau régime susceptible de stabiliser l’évolution du capitalisme : elle rejoint ainsi directement les travaux développés par l’Ecole de la Régulation, dont certains portent précisément sur les systèmes locaux de régulation économique et sociopolitique. Nous avons déjà évoqué la dimension territoriale de la régulation et les formes locales de régulation (partielles) de l’économie, qui passent par le marché (échanges, concurrence/émulation, sous-traitance), par la réciprocité (proximité géographique, coopérations, partenariats), mais également par l’organisation politique au niveau local.

Cette dernière forme nous intéresse tout particulièrement dans l’analyse du cas lyonnais, car elle fonde l’hypothèse de l’émergence d’une régulation locale (ou territoriale) de l’économie dans la métropole lyonnaise, concrétisée par la politique économique que conduisent la Communauté urbaine de Lyon et ses partenaires sur le territoire de l’agglomération, c’est-à-dire à l’échelle du système productif local. Les sociologues italiens ont mis en évidence le rôle croissant des structures politiques locales et de certaines structures de représentation des intérêts économiques dans les dynamiques de régulation économique locale observées dans les districts industriels et autres systèmes productifs locaux, ce rôle étant notamment exercé par le biais de l’action publique et collective.

L’influence et le rôle d’accompagnement du gouvernement local sur le développement économique territorial sont en effet souvent liés aux institutions et organismes qui représentent les intérêts économiques locaux (syndicats salariés et patronaux, organismes consulaires, associations, …). Les formes de régulation territoriale de l’économie conjuguent ainsi des aspects politiques, institutionnels – c’est-à-dire non marchands et de l’ordre du sociopolitique – et des aspects plus ou moins marchands liés aux relations économiques entre les entreprises locales (marchés, réciprocité).

Selon P. Le Galès (1999), l’approche politique de la régulation permet de rendre compte de la perte du pouvoir de contrôle de l’Etat sur le fonctionnement de l’économie, au gré d’une recomposition des rôles et des découpages institutionnels classiques de la régulation entre l’Etat, le marché et la société civile, s’opérant au profit des niveaux territoriaux intermédiaires (Union européenne en tête), et plus particulièrement des territoires infranationaux, dont font partie les villes. Les nouveaux modes de gouvernance issus de l’évolution des formes de régulation sont ainsi dominés par la fragmentation institutionnelle et mettent en scène le jeu des groupes sociaux, des intérêts, des entreprises au niveau des territoires. Cette démarche offre une clé de

compréhension de l’articulation des différents types de régulation sur différents types de territoires ; elle nous permet d’appuyer notre analyse du cas lyonnais sur le corpus théorique issu des sciences politiques et de la sociologie des organisations.

Cette approche des territoires urbains et locaux par la régulation politique entre donc particulièrement en résonance avec celle que l’Ecole de la Régulation développe dans le champ de l’économie, à propos des sociétés capitalistes nationales. L’analyse de leur régulation économique et politique par le territoire nécessite alors, de fait, une approche pluridisciplinaire : la géographie et l’aménagement convoquent ainsi à la fois les sciences économiques et les sciences politiques, selon une conception socio-historique, afin de saisir les logiques de territorialisation de la régulation économique locale qui sont à l’œuvre dans la métropole lyonnaise depuis la survenue de la crise économique au début des années 1970.

La grille d’analyse développée pour saisir les rapports entre économie et territoire (voir supra, Section 1) rejoint la grille d’analyse esquissée à travers la notion de gouvernance, grâce à la mise en évidence du lien existant entre le déclin de la régulation opérée au niveau étatique et l’exacerbation de la concurrence économique, politique et culturelle entre les territoires, et notamment entre les plus grandes villes. Les logiques de concurrence tendent en effet à réguler, non seulement les relations entre les territoires urbains, mais également les relations entre les villes et le marché, entre les villes et l’Etat, ainsi qu’entre les différents acteurs et groupes impliqués dans le développement économique au niveau local. Cette situation concurrentielle conduit à l’émergence de stratégies et d’initiatives locales de développement dans les villes, fondées sur le modèle de la « coopétion »21 (création de réseaux, renforcement des innovations et des niveaux territoriaux intermédiaires, jeux de positionnement stratégique au sein du système d’acteurs).

De la même manière que les économistes pointent l’inégalité des chances des territoires et des villes face aux enjeux de la concurrence économique et des nouveaux modèles de développement ancrés dans le territoire (voir supra, Section 1), les politistes pointent aussi l’inégalité des ressources et capacités d’action entre ces mêmes territoires ou villes, ainsi qu’entre les acteurs de la régulation territoriale : seuls les plus grands, les mieux dotés en ressources financières, en pouvoirs, en organisations des intérêts et en acteurs, sont susceptibles de « tirer leur épingle » de ce jeu économique et politique fortement concurrentiel.

Le problème d’une métropole comme Lyon face aux enjeux et contraintes de la régulation économique et politique est donc d’abord d’arriver à gérer en interaction la nouvelle répartition des pouvoirs, des compétences et des moyens entre le niveau local, l’Etat et l’Europe, et les processus de globalisation, qui accompagnent l’avènement de nouvelles formes concurrentielles de développement économique, plaçant le territoire local et ses attributs socio-productifs spécifiques au centre des dynamiques de croissance. Ensuite, le défi à relever pour le gouvernement local est plus interne au territoire local : il s’agit de réguler le dissensus politique, résultant de la pluralité d’acteurs concernés par la régulation économique et de la fragmentation institutionnelle croissante.

21 Barbarisme issu de la compression des termes « coopération » et « compétition », qui sont les nouveaux paradigmes de la gestion publique locale (Bouinot, Bermils, 1995).

3- Territoire, régulation économique et gouvernance

La géographie économique a élaboré le concept d’économie-territoire pour rendre compte précisément de l’existence d’un lien entre le système productif localisé et le système politique local – ou système d’action collective – à l’échelle d’un territoire local (Le Galès, 1999). Le territoire apparaît alors comme un niveau pertinent de coordination économique et politique, qui, au-delà de la réduction des coûts de transaction entre les firmes, permet de résoudre des problèmes d’action collective, notamment par le biais de la planification et des politiques urbaines (Scott, 1992).

La coordination institutionnelle et l’organisation politique au niveau territorial, s’appuyant sur différents mécanismes liés à l’action publique, est ainsi susceptible de produire des effets décisifs sur le développement économique du territoire : « la qualité du développement dans une région, mais aussi son succès dans la compétition économique seront plus grands dans les aires où le développement est mieux planifié et organisé et qui sont moins régulés par le marché » (Dunford, 1992, p.264). Ces différentes formes de régulation territoriale, fondées par la proximité des acteurs, groupes et institutions locales et par les interactions territorialisées de ces organisations, peuvent être assimilées à la notion de gouvernance.

La régulation économique locale s’apparente à de la gouvernance, car le rôle de la sphère politique et sociale se trouve progressivement renforcé et acquiert une dimension centrale dans les dynamiques de régulation territoriale. L’analyse en termes de gouvernance nous semble donc être appropriée à cette démarche, dans la mesure où « la régulation locale dont il est fait état est de fait un processus qui résulte de l’articulation de différents types de régulation. Cela correspond assez exactement à ce que nous entendons par

« gouvernance (…). Or, dans gouvernance, on garde l’idée de pilotage, de direction » (Le Galès, 1999, p.218).

Cette vision rejoint également celle de la géographie économique : la gouvernance selon G. Benko (1995) correspond en effet à « l’ensemble des modes de régulation entre le pur marché et l’Etat, c’est-à-dire ce que Gramsci appelait la « société civile » : les institutions locales, les municipalités, les élites » (p.39).

Avec le retrait de l’Etat, les villes apparaissent comme des niveaux de régulation possible des intérêts, de groupes et des institutions, car elles constituent des sociétés locales attachées à des territoires spécifiques, bien qu’incomplètes car toujours intégrées dans la formation sociale nationale, voire désormais intégrées dans une formation sociale européenne en construction. La prise en compte des territoires infranationaux que sont les villes, comme construit social et politique, et comme niveau intermédiaire de structuration des acteurs, des groupes et des institutions, conduit alors à interroger la nature et le poids de la régulation politique et sociale dans l’économie au niveau du territoire local. Cependant, elle nécessite aussi de réfléchir aux avantages et aux limites d’une approche de la régulation économique et politique par le territoire (Le Galès, 1999).

Conclusion de chapitre

La sociologie de la gouvernance, comme grille d’analyse, permet ainsi de prendre en compte les évolutions économiques, politiques et sociales que connaissent les sociétés européennes à différentes échelles, en privilégiant l’entrée par le niveau local, territorial.

Cette approche est donc tout à fait adaptée à notre questionnement sur les conditions d’émergence et les caractéristiques d’une forme nouvelle et territorialisée de régulation de l’économie dans la métropole lyonnaise. Nous ne reprenons toutefois pas ici la généalogie de la notion de gouvernance urbaine, amplement détaillée par d’autres (Le Galès, 1999 & 2003 ; Jouve, 2003 ; Gaudin, 2002), mais nous retenons la perspective de la gouvernance de l’économie développée par la sociologie économique et l’économie politique, en référence aux écrits de Max Weber, à l’histoire et à la sociologie des organisations.

Méthodologiquement, nous souhaitons nous inscrire dans cette même perspective d’analyse qui s’intéresse au jeu et aux rôles des groupes sociaux, des intérêts et des institutions locales dans la mise en place de formes de régulation par le territoire, induisant des conflits, mais également des logiques d’intégration entre les différents acteurs impliqués. Nous adoptons donc un angle d’analyse qui envisage la métropole lyonnaise comme une société locale incomplète, développant des formes de régulation de l’économie spécifiques, à travers un système d’action politique et institutionnel territorialisé. Cette analyse de la structuration politique et institutionnelle de la régulation économique au niveau local s’effectue également au regard de l’évolution du capitalisme et de la restructuration de l’Etat en France depuis cinquante ans.

Nous avons choisi de concentrer notre réflexion sur le volet politique et institutionnel de la régulation économique territoriale à l’échelle de la métropole lyonnaise, c’est-à-dire essentiellement sur la définition et la conduite d’actions en faveur de l’économie sur le territoire de l’agglomération lyonnaise. Le territoire de la métropole lyonnaise est ainsi envisagé comme une société locale incomplète et un lieu de régulation économique et politique. Il constitue une scène locale où s’organisent des intérêts et où sont définies des stratégies d’action collectives. Il s’agit dès lors de mettre en évidence le rôle des autorités locales, des institutions et des élites politiques, mais aussi le rôle des structures de représentation des intérêts économiques locaux et des entreprises à titre individuel, dans l’organisation du développement économique sur le territoire de la métropole lyonnaise.

IV - La gouvernance urbaine et territoriale face à la question

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