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III - L’OPPOSITION SUNNITE – ALAOUITE MARQUE LA REPARTITION DE LA POPULATION ACTUELLE

LA REGION COTIERE : UN ESPACE MARQUE PAR L’OPPOSITION PLAINE - MONTAGNE

III - L’OPPOSITION SUNNITE – ALAOUITE MARQUE LA REPARTITION DE LA POPULATION ACTUELLE

Les mohafaza-s de Lattaquié et de Tartous sont, avec celui de Damas, les plus densément peuplés de Syrie. Au total, la région côtière possède une densité de 318 hab/km2, 2,3 fois supérieur à la moyenne de la partie de la Syrie qui est habitée193 (140 hab/km2).

La région côtière se distingue dans l’ensemble syrien par son climat levantin : douceur des températures et fortes précipitations hivernales. Passé la barrière du Djebel Ansaryeh, les précipitations ne dépassent guère les 500 mm/an et s’amenuisent rapidement vers l’Est. Cependant, si les conditions naturelles n’interdisent pas l’existence de fortes densités de population dans la région côtière, elles ne sauraient suffire à les expliquer. C’est en effet principalement à l’histoire qu’il faut faire référence pour les comprendre. Le confinement des tribus alaouites dans le Djebel Ansaryeh et, plus généralement, l’opposition plaine – montagne durant la période ottomane continuent de marquer jusqu’à aujourd’hui la répartition des densités, les modes d’habitat et l’organisation du réseau d’agglomérations.

A - Le Djebel Ansaryeh : une montagne densément peuplée.

Dans les pays industrialisés du bassin méditerranéen, l’exode rural a entamé fortement le capital humain des montagnes riveraines, au point que de véritables déserts humains sont apparus, par exemple, l’arrière-pays provençal ou languedocien. Les activités économiques se concentrent dans la plaine côtière et la montagne n’est plus qu’un espace de loisirs. Dans les pays en voie de développement, les montagnes n’ont été délestées que d’une partie de leur croît démographique, leur capital humain étant demeuré pratiquement intact. Bien que le poids démographique de la montagne dans ces ensembles régionaux ait diminué, la densité n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui194. Ainsi dans la région côtière de Syrie, si la part de la montagne195 (figure 16) dans la répartition de la population régionale est passée de 57%

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La superficie de la Syrie est de 184 000 km2, mais 40% du territoire est quasi - inhabité. Par conséquent, il est plus pertinent de comparer la densité de la région côtière avec celle de la zone habitée en Syrie : 140 hab/km2 et non avec la densité calculée en rapport avec la superficie totale du pays : 75 hab/km2.

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COTE Marc : op. cit., 1987.

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Dans Le pays des Alaouites, Jacques Weulersse avait élaboré un découpage entre la plaine et la montagne basé sur des critères physiques. D’autre part, il avait exclu de son domaine d’étude le Nord de la région côtière : Baer et Bassît, en raison de sa population turkmène et de sa non-appartenance géologique au Djebel Ansaryeh. Pour ma part, je pense que le critère de différenciation entre la plaine et la montagne ne peut s’appuyer sur des critères géographiques mais qu’il doit être établi d’abord sur des critères historiques. Avant la réforme agraire de 1963, la région côtière était divisée en deux domaines : « Dans la plaine littorale le principe fondamental était la

à 43% entre 1960 et 1994, la densité s’est élevée dans le même temps de 90 hab/km2 à 202 hab/km2.

Afin d’étudier la répartition de la population et son évolution j’ai réalisé différentes cartes de la densité de la population par unité administrative rurale et urbaine, telles qu’elles sont définies par le ministères des Affaires locales en 1980. Il n’existe pas, en Syrie, de communes au sens français du terme, des entités administratives dont les limités territoriales sont fixées depuis des siècles et dont l’unité est matérialisée par l’existence d’une municipalité avec son maire. En Syrie, les limites des unités administratives de base, les qarieh-s 196, ont été fixées arbitrairement par le ministère des Affaires locales dans le but de rationaliser l’état-civil et de mieux réaliser le recensement de la population. Mais, dans la réalité, les circonscriptions de l’état-civil ne correspondent pas à celles du recensement et les circonscriptions des moukhtar -s -se chevauchent en rai-son de-s différence-s communautaire-s, chaque communauté po-s-sédant son moukhtar. Dans le village de Sîsnyeh, au Sud de Safita, il y a un moukhtar pour les Alaouites du village et un moukhtar pour les Chrétiens, ce dernier ayant en outre en charge les familles chrétiennes des villages alentour.

dissociation de la propriété et de l’exploitation, ici (en montagne) au contraire, le fellah est en général, propriétaire de la terre qu’il cultive (…) La domination exploiteuse des villes cesse au contact de la montagne » (WEULERSSE Jacques : op. cit., 1940, p. 137). En montagne, l’appropriation privative des terres maintenait une agriculture largement autarcique alors qu’en plaine elle était intégrée à l’économie de marché. Nous nous trouvions en face de deux types de paysages agraires et de deux organisations sociales différentes. Le système tribal régnait en montagne alors qu’il s’était dilué en plaine. Bien que la réforme agraire ait généralisé le faire valoir-direct en plaine et que l’économie de marché se soit répandue dans toute la région, les différences sociales ne s’estompent que lentement. Je considère que le domaine littoral correspond à la zone qui appartenait aux propriétaires citadins des villes côtières avant 1963 : le Akkar, les plaines de Jablé et de Lattaquié, le plateau d’Aîn Al Baîda, les collines de Bahlûlyeh et de Henâdyeh. Par contre les micro-plaines littorales du nord (Bassît et Um al Tûyûr) appartiennent au domaine montagnard, car les paysans étaient responsables de leurs terres, en tant que propriétaires ou métayers permanents. Jacques Weulersse intégrait dans le domaine montagnard, la plaine littorale entre Banias et Tartous, car elle appartenait aux finages des villages du plateau, et que par ailleurs, elle n’était exploitée que de façon extensive en l’absence d’irrigation et de drainage. Depuis les années 1970, cette plaine est intensivement cultivée. L’activité agricole des villages de Dahar Safrâ et de Raûda est tournée vers la plaine littorale ; le piémont et le plateau sont délaissés. La majorité de la population a abandonné les villages perchés pour s’installer dans la plaine.

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En arabe classique le mot qarieh signifie village, mais ce terme, utilisé pour les recensements de population, ne correspond pas à un village au sens d’agglomération rurale, mais à une circonscription administrative contenant une ou plusieurs agglomérations rurales. Dans le cas où le qarieh comprend plusieurs agglomération, ces dernières n’ont bien souvent guère de liens (famille, paroisse, mosquée, municipalité…) entre elles.

Le découpage du ministère des Affaires locales s’avère donc plus facile à utiliser que celui du ministère de l’Intérieur, dont dépend l’état-civil, car les unités de base ne se chevauchent pas. Cependant, il présente l’inconvénient d’être modifié à chaque recensement. Les hameaux changent d’unité administrative d’appartenance ou deviennent eux-mêmes de nouvelles unités administratives de base. L’extension territoriale des villes sur les villages périphériques provoque la disparition d’unités administratives préalablement englobées dans celle de ces villes ; en milieu rural, le regroupement est plus rare, et j’ai plutôt été confronté entre 1960 et 1994 à la multiplication des entités. Ce maillage administratif mouvant rend impossible toute comparaison entre les recensements, à moins de choisir une trame et de l’appliquer à tous les recensements indépendamment du découpage valable à la date du recensement.

J’ai choisi de me baser sur la trame administrative définie par le ministère des Affaires locales en 1980, lequel a servi de support au recensement de 1981. Deux raisons ont motivé ce choix. D’une part, les résultats du recensement de 1994 n’ayant pas été disponibles avant l’automne 1997, j’ai commencé a réaliser des cartes sur la région côtière en utilisant les résultats du recensement de 1981 et, donc de la trame administrative de 1980. D’autre part, il s’avère que les matrices cadastrales qui m’ont permis d’établir le fond de carte des unités administratives de base n’ont pas été renouvelées depuis le début des années 1980, si bien qu’elles correspondent parfaitement avec les entités du recensement de 1981, mais pas du tout celles de 1994.

Le second problème méthodologique auquel j’ai été confronté fut de trouver comment comparer les situations entre les cartes des densités de 1994 et de 1960, alors que la population de la région a été multiplié durant ce temps par 2,3. Il était difficile d’apprécier la densité de la population en 1960 dans des termes qualitatifs : faible, moyenne et forte densité, car ces qualificatifs varient en fonction de l’évolution de la moyenne (figure 17). Une densité de 200 hab/km2 apparaissait comme forte en 1960 ; en revanche elle n’est plus que moyenne en 1994, puisque la densité rurale moyenne s’est élevée de 92 hab/km2 en 1960 à 199 hab/km2 en 1994. Par conséquent, j’ai établi une seconde carte de la densité en 1960 avec une échelle

d’amplitude plus réduite197, capable de faire ressortir des contrastes qui n’apparaîtraient pas en conservant les seuils statistiques établis pour dresser la carte des densités 1994 (figure 18).

L’étude des densités de population permet de mesurer de quel poids pèsent les structures spatiales héritées de l’Empire ottoman à la fin du XXème siècle. L’idéal serait de disposer d’une carte de la densité de population au début du siècle, afin de la comparer avec celle tirée du recensement de 1994. Malheureusement, il n’existe pas pour le début du XXème siècle de sources fiables à l’échelle des villages ; quant au colonisateur français, il n’a pas pratiqué de recensements aussi complets durant la période mandataire qu’en Afrique du Nord. Le premier recensement dont il est possible de dresser une carte à grande échelle date de 1960. Certes, la population régionale, tout comme la population syrienne, est à cette date deux fois plus importante qu’au début du siècle, mais excepté un léger exode rural, la répartition de la population ne s’est guère structurellement modifiée car depuis cette période, les structures socio-économiques régionales étaient au début des années 1960 semblables à celles du début du siècle. Par conséquent, je prendrai comme hypothèse que la carte de la répartition de la population en 1960 est quasiment semblable à celle de 1900.

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La population de la région côtière s’est élevée de 482 525 habitants à 1 333 955 habitants entre 1960 et 1994, soit une augmentation de 276% ; mais la carte des densité par qarieh mettant surtout en valeur les densités rurales, j’ai tenu compte de l’augmentation de la population rurale de la région : 218% entre 1960 et 1994. Pour obtenir des classes en 1960 correspondantes à celle de 1994, j’ai divisé ces dernières par 2,18. Les seuils sont donc établis, pour 1960, 35, 70, 105, 140 et 180 hab/km2

- Les densités de population en 1960 : le poids des structures foncières