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II – Conscience, Métacognition & Subjectivité

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 187-190)

« La pensée est un éclair au milieu d’une longue nuit mais c’est un éclair qui est tout. » Henri Poincaré, La valeur de la science Cette idée, avancée par Henri Poincaré en 1905, reste présente aujourd’hui en neurosciences : la conscience continue d’être la référence privilégiée pour l’étude de l’inconscient dans la recherche scientifique. Mais les choses semblent s’inverser. Le constat des neuroscientifiques quant à la conscience, c’est qu’il est finalement excessivement rare de n’avoir à faire qu’à un phénomène purement conscient, c’est effectivement un éclair. L’inconscient rode mais pas seulement. La conscience reste ainsi un phénomène à part entière, mais s’il est considéré comme

« plus vaste que le ciel »1 par certains, force est de constater que ses manifestations sont teintées par nombre de phénomènes sous-jacents ou associés. Force est de constater qu’il est aussi rare et difficile à étudier que le phénomène physique qu’est la foudre. Les neurosciences font face à un paradoxe saisissant : alors qu’elle occupe une place centrale dans l’étude du cerveau, la conscience est complexe à appréhender dans son unicité et sa spécificité. Si l’étendue de son existence dans les phénomènes cérébraux permet aux chercheurs de multiplier les expériences, en trouver qui n’étudient que la conscience n’est pas chose aisée. Isoler la conscience apparaît comme une gageure que les scientifiques s’emploient à réaliser. De plus, ce phénomène de part cette même étendue, poussent les scientifiques vers des champs de la recherche parfois difficiles à rendre scientifiques.

Parler de la conscience induit en premier lieu de savoir de quoi nous parlons lorsque l’on utilise ce mot. Car si la conscience est plurielle comme phénomène, la signification du mot l’est tout autant. Tout comme le « temps », le mot renferme en effet, divers aspects, phénomènes, erreurs.

Cela a été vu pour le mot « inconscient », les traductions d’une langue à l’autre du signifiant

« conscience » apportent leurs lots de confusions. Ainsi, Angela Jesuino-Ferreto et Denise Sainte Fare Garnot, dans le Dictionnaire de la psychanalyse, débutent-elles leur article sur la conscience, sur ce repérage des différences entre les langues et les manques de la langue française selon que l’on parle de « conscience morale », du « conscient » ou de la

« conscience ». Elles soulignent que l’anglais comme l’allemand ont des mots spécifiques pour tous ces états ou significations de la conscience. Le français reste la langue, parmi ces trois, à n’avoir pas de mot pour les différencier fermement sauf à les décrire longuement.

De même, la conscience a pu prendre diverses significations au cours des siècles. Dans l’antiquité, elle participait à la projection d’ombres sur le fond d’une caverne obscure.

L’homme, pour y avoir été enfermé, était condamné à toujours regarder du mauvais côté. Elle a pu être un manifeste pour expliquer l’existence d’une âme chez l’être humain ou encore, l’émergence causale des effets quantiques des microtubules au cœur de la matière cérébrale.

Mais ces rapides aspects historiques traduisent l’actualité : les conceptions de la conscience s’affrontent bien au-delà de la dualité corps versus âme. Car si les psychanalystes n’étudient plus cette notion, la science elle, en fait, avec l’inconscient, le socle des neurosciences modernes. Or, au sein de cette mouvance dans laquelle s’activent les plus éminents chercheurs, des positions opposées se font face et s’affrontent. Certains sont toujours partisans de la dualité

1 EDELMAN G.-M., Plus vaste que le ciel, Une nouvelle théorie générale du cerveau, Odile Jacob, 2004.

cartésienne. Ils supposent que le « saut » de la matière vers l’esprit échappe et qu’il faut donc, à l’image de ce que S. Hawking envisage pour la physique et la compréhension du monde, épuiser toute la recherche afin d’aboutir à une compréhension universelle de comment tout ceci fonctionne avant de se demander pourquoi. Wilder Penfield, un célèbre neurochirurgien, annonce par exemple, dans Mystery of Mind : A critical study of consciousness and the human brain que : « En ce qui me concerne, après une vie passée à essayer de découvrir comment le cerveau explique l’esprit, cela m’est comme une surprise de découvrir maintenant, à l’occasion de ce dernier examen de la question, que l’hypothèse dualiste (la séparation de l’esprit et du cerveau) semble la plus raisonnable des deux explications possibles ». Cette vision qui sépare l’esprit et le cerveau est précisément celle qui est remise en question par les neuroscientifiques du XXIème siècle. A. Damasio considère que c’est sur ce point que se situe « l’erreur de Descartes »1. Pour tout un ensemble de chercheur (Edelman, J.-P. Changeux, S. Dehaene, A.

Damasio…), la conscience peut s’étudier pleinement, de façon scientifique et en toute objectivité. Le dualisme cartésien qui voudrait que l’âme relève de l’immatérialité et donc impossible à étudier expérimentalement, rencontre ici un sérieux démenti. Pour eux, le paysage qui se dessine est celui d’une science de la conscience, avec ses équations à trouver, ses codes à déchiffrer et ses repères expérimentaux à définir. Il y a une véritable recherche des « corrélats neuronaux objectifs de processus subjectifs »2.

Pourtant, parmi ces chercheurs, certains s’opposent à « l’excès » de cette recherche. Ils avancent que l’on ne peut, sous le prétexte de la scientificité, ignorer certains aspects, certes complexes à objectiver, à prendre en compte comme variables, à mesurer, mais qui ont toute leur place, y compris dans les réponses à des stimuli les plus simples. J.-D. Vincent par exemple, considère que c’est « stupidement imbécile » et qu’il vaudrait mieux parler de « l’erreur de Damasio »3. Pour J.-D. Vincent, Descartes était un moniste : l’âme immatérielle était certes une substance à part mais Descartes n’avait pas exclu l’étude de ces phénomènes ni celle de la conscience. Les schémas de Descartes n’induiraient pas forcément une dualité : ce dernier décompose les éléments de la pensée mais reste un observateur attentif des choses de l’esprit.

Il faut donc prendre acte de toute cette complexité qui va du cerveau à l’esprit même si elle relève encore du mystère. Pour J.-D. Vincent, les liens sont encore à découvrir, mais que le trajet du cerveau vers l’esprit (et inversement) est un trajet sans rupture.

Ainsi, il y a ceux qui séparent définitivement l’esprit et le cerveau, étudient les phénomènes dans le cerveau, mais concluent (même après une carrière passée à étudier ces sujets) que l’un comme l’autre sont des entités à part entière et surtout éloignées l’une de l’autre. D’autres, les plus fervents défenseurs de l’approche neuroscientifique moderne, voient dans le cerveau et son fonctionnement la réponse à l’esprit et considèrent que l’étude approfondie de l’organe nous donnera les clés de l’esprit. Ces derniers sont profondément monistes mais accordent un primat au cerveau comme organe. D’autres enfin, monistes eux-aussi, admettent les liens entre cerveau et esprit mais élargissent les champs de ces liens (chimie du corps, physiologie plus générale que seulement cérébrale, effet de l’esprit sur le corps, etc.) pour avancer que cerveau et esprit ne font qu’un (lorsque l’on coupe une tête, il n’y a plus d’esprit). Mais ces liens nous échappent

1 DAMASIO A., L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Odile Jacob Poche, 2010.

2 DEHAENE S., L’accès à la conscience, Cours au Collège de France, 2010, Cours 1 « Introduction à l’étude expérimentale de la conscience ».

3 VINCENT J.-D., « De l’organisme au corps », in Le corps dans tous ses états, Journée d’étude des

187 encore dans leur intégralité et l’infinie complexité de ces mêmes liens ne donne, à ce jour, pas de réponse pour comprendre l’âme.

Dans cette mouvance, un autre point sur lequel s’affronte les chercheurs, est la primauté des émotions. Chronologiquement, J.-D. Vincent toujours, considère que ces dernières jouent un rôle massif et immédiat dans les prises de décisions, de conscience, etc. Elles agissent donc en amont, dans l’inconscient, influant sur nos réponses et il résume : « c’est l’affect qui précède l’acte et non pas l’inverse ». Il fait partie des partisans d’une prise en compte d’éléments moins tangibles, plus inconstants et plus difficiles à calibrer expérimentalement et s’oppose donc à ceux qui prônent une science (au sens ferme du terme) de la conscience. Mais, de son propre aveu, J.-D. Vincent se voit obligé, lorsqu’il échange avec certains de ses confrères scientifiques, de moduler son discours en parlant « d’âme » plutôt que de psyché autrement, dit-il, « ça les fait bondir »1. Se dévoile ici la réserve, au-delà des aspects purement scientifiques, de certains chercheurs en neurosciences à propos de la psychanalyse. Comme dit en introduction, ce même auteur définit le débat entre psychanalystes et neuroscientifiques comme une « querelle des bouffons » à l’image de celle qui opposa les partisans d’un opéra classique et ceux d’un opéra s’ouvrant à d’autres horizons comme « l’opéra-bouffe » précisément (1752-1754).

Ainsi, le débat sur la substance de la pensée ou sur la séparation entre conscience et cerveau perdurent au cœur de la recherche scientifique. Et lorsque certains s’autorisent quelques réflexions « hors champs », des thèmes plus sensibles mais fondamentaux apparaissent : « l’âme », la subjectivité ou la construction de notre unicité malgré tous les marqueurs neurophysiologiques, hormonaux, chimiques etc. qui eux, sont universels. Mais en neurosciences, tous avancent dans le sens d’une observation objective des phénomènes neuronaux sur lesquels reposent la conscience et l’inconscient. Les scientifiques s’évertuent à prendre le temps de différencier ce qui relève de la conscience et ce qu’elle est. Peu à peu, ils ont précisé leurs propos en différenciant, au cœur de la conscience, plusieurs phénomènes qui lui sont spécifiques. Le travail sur les « concepts fondamentaux » montre également que si des phénomènes fondamentaux du fonctionnement cérébral ont une composante inconsciente importante, ils possèdent intrinsèquement un versant conscient qui, pour certains, est essentiel à l’existence même de ces phénomènes.

Ces considérations scientifiques sur la base des découvertes récentes entraînent les chercheurs vers des domaines abrupts que la psychanalyse a, en son temps, tenté de traiter elle aussi. Car si la psychanalyse est souvent perçue comme une approche de l’inconscient, Freud a abordé la problématique de la conscience. Dans sa métapsychologie, ses topiques et tout au long de ses écrits, il va y faire référence même si cela lui sert parfois à faire émerger la spécificité de l’inconscient. La position de Lacan est plus radicale : du fait (entre autres) de changements historiques chez les successeurs de Freud, il n’en fera pas un objet d’étude comme il a su le faire pour d’autres concepts. Pourtant, elle peut se lire à travers certains textes mais surtout dans ses mathèmes. Ainsi, après en être passé par les particules élémentaires (positon), les atomes (hydrogène), les molécules (H2O), la cellule (le neurone), les champs magnétiques et l’électricité naturelle du cerveau, la conscience invite à poser un regard plus global sur l’ensemble du cerveau et la spécificité de certaines aires dans le fonctionnement cérébral conscient. Pour autant, comme le démontre le débat chez les scientifiques mais aussi les

1 VINCENT J.-D., Voyage extraordinaire au centre du cerveau, Conférence à l’Espace des Sciences de Rennes, 2008.

hypothèses et avancées faites en psychanalyse sur ce sujet, il faut pouvoir aborder cet ensemble de façon plus globale afin de contourner le parfois réducteur « organo-centrisme ».

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 187-190)

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