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F IGURE 58 L’ INTRODUCTION D ’ UNE NOUVELLE ÉPREUVE AU BREVET : UN PROCESSUS INCRÉMENTAL

Ce n’est cependant pas la stratégie utilisée le plus couramment par l’institution lorsqu’elle veut introduire une réforme. Elle prend en effet rarement le temps de l’expérimentation préalable. Si la réforme peut se faire graduellement, niveau par niveau (par exemple un nouveau programme en Seconde en 2010, puis en Première en 2011 et enfin en terminale en 2012), elle peut aussi s’imposer à tous les niveaux en même temps, comme ce sera le cas en 2016-2017 au collège. C’est alors aux inspecteurs qu’est confiée la mission, en amont de rencontrer les professeurs et de leur présenter la réforme, puis en aval de se rendre dans les classes, pour y observer, sur place, la manière dont y sont interprétés les programmes. Cela pourrait être l’occasion d’y repérer les bricolages des enseignants, laissés relativement libres, nous l’avons vu, dans leur interprétation des programmes. Néanmoins, comme l’a montré le sociologue Philippe Lyet, si cette prescription faible permet aux acteurs de terrain d’avoir de l’autonomie pour produire des inventions non prévues et non encadrées, cela ne suffit pas à ce qu’elles réintègrent les dynamiques organisationnelles, c'est-à-dire que « les formes qui naissent de dynamiques instituantes puissent devenir des formes instituées »

(Lyet, 2012, §24). Si on a l’espoir que, comme dans le cas précédent, ces formes instituées se

BO n°41,

10 nov. 2011

Institution scolaire, partagée entre une volonté de stabilité (norme, maintien de la forme scolaire) et de transformation (innovation)

Acteurs de terrain : les équipes d’enseignants, au sein de chaque établissement, les chefs d’établissement

BO n°40, 29 oct. 2009 Note de service, 24 nov. 2010 Légende

Injonction de l’institution (de plus en plus forte)

Remontée de terrain, par des observations, des entretiens menés par la DGESCO, des inspecteurs

construisent de manière incrémentale144 (Pinson, 2003, in Lyet, op.cit., §13), c'est-à-dire de façon graduelle, en tenant compte des expérimentations des acteurs de terrains, sous la forme d’une co-construction. Cela s’explique pour Philippe Lyet par le principe même de l’innovation :

« Car l’innovation est mouvement avant d’être structure et l’instituant y est prépondérant sur l’institué. Aussi, elle apparaît fragile et semble manquer de ce qui fait la force de l’institution dans le modèle classique de celle-ci, en particulier la garantie de durée et le monopole du pouvoir légitime » (Liet, 2011, § 18).

Autres arguments, plus pragmatiques : d’une part, les acteurs de terrain, les enseignants, font rarement part à l’institution de leurs bricolages, trop incertains de leur légitimité, allant même, lorsqu’ils sont inspectés, jusqu’à des formes d’autocensure qui les conduisent à présenter des séances très normées. D’autre part les inspecteurs, dotés de multiples missions145, n’ont pas

les moyens matériels de voir sur le terrain l’ensemble des enseignants dont ils ont la charge. Cela rend la plupart des bricolages invisibles. Cela n’a cependant pas été le cas du nôtre. Concours de circonstances146, j’ai été inspectée en novembre 2011, au moment où se déroulait

notre concours-photo. Si la séance sur laquelle j’ai été inspectée n’avait rien à voir avec le

concours-photo, j’en ai néanmoins parlé avec l’inspectrice au cours de l’entretien qui a suivi. C’est ce qui a permis la publication des productions des lauréats sur le site histoire des arts de l’Académie de Versailles147. La rubrique dans laquelle il a été publié, « témoignage » illustre

cependant bien le statut qui lui été donné, celui d’une expérience, singulière, menée par deux enseignantes avec des élèves. Il n’a pas connu cette année-là davantage d’échos.

144« Ces normes, identités, routines ne sont pas préalables à la mise en route du processus de projet. La préexistence d’un système normatif risquerait de figer l’interaction, voire de dissuader l’entrée d’une pluralité d’acteurs dans le processus. Les normes d’action sont sécrétées par les interactions qui jalonnent le processus de projet. (..) Elles sont la résultante de la répétition des interactions. Ainsi, des formes de construction de l’action collective basées sur l’apprentissage et la construction incrémentale des choix au fil des échanges d’informations et de connaissances contribuent à stabiliser des espaces d’action collective. » (Pinson, 2003, in Lyet, op.cit., §13).

145Comme en témoigne la lettre de rentrée publiée en 2014 sur le site d’histoire-géographie de l’Académie de Versailles : « Mais leurs missions sont nombreuses, comme le rappellent les inspecteurs de l’Académie de Versailles dans la lettre de rentrée 2014 : «[Notre mission est] de vous accompagner dans les diverses consultations nationales prévues cette année […] ;

dans la mise en place des conseils école-collège […] ; dans la mise en œuvre de la refondation de l’Education prioritaire […] ; dans la mise en œuvre des programmes et de l’épreuve de Terminale S. De vous rencontrer et d’échanger avec vous, dans le cadre des animations de bassin […] ; dans le cadre des inspections individuelles […]. » http://www.histoire.ac- versailles.fr/spip.php?article1199

146 Un concours de circonstance à nuancer cependant : j’avais en effet sollicité cette inspection

2. L’institution, pilote de l’innovation sur le terrain

Le deuxième cas de figure possible est lorsque l’institution pilote l’innovation, en la confiant à quelques enseignants sélectionnés par les inspecteurs. Le degré d’initiative laissé aux enseignants est alors plus important, même si la commande vient de l’institution. Ainsi chaque discipline dispose de groupes de travail formés d’enseignants, dirigés à l’échelle académique par le corps d’inspection. Le GEP par exemple148 est l’un d’entre eux, il a pour

mission de réfléchir aux usages du numérique en classe, pour développer l’innovation pédagogique, impulser de nouveaux usages et accompagner les évolutions liées au numérique dans les établissements scolaires. Par exemple, une des missions des GEP peut être de participer à la réalisation de « moments numériques » dans le cadre d’un appel à projet pour les Travaux Académiques Mutualisés (TraAM), dont la mission est formulée ainsi sur Eduscol :

« Que ce soit dans les situations pédagogiques de travail individuel ou collaboratif, de travail autonome ou guidé, les TraAM proposeront en relation avec des capacités un usage simple du numérique. Cet usage apportera une plus-value didactique et pédagogique et sera sur un temps de classe court. Il sera testé par un(e) professeur(e) disposant d’un palier de maturité numérique simple. La restitution de ces « moments numériques » sera sous la forme d’une courte captation. Précisons que parmi les attendus, les équipes devront proposer des productions en lien avec les ressources Éduthèque notamment."149

Cet appel à projet nous en apprend beaucoup sur la stratégie de l’Institution pour favoriser l’innovation : on voit ici en effet qu’elle s’intéresse aux contenus d’enseignement, par discipline, et qu’elle attend des enseignants ou groupes d’enseignants qui répondront aux appels à projet des mises en œuvre, sur le temps de l’heure de cours, et facilement exportables ensuite dans les pratiques. On observe aussi que la demande est très cadrée, et que l’initiative vient de l’institution, les enseignants étant des relais, invités par un autre relais, le groupe académique du GEP, à tester de nouvelles pratiques dans leur classe. On est donc sur un modèle descendant, qui se fait de relais en relais, selon le schéma suivant :

148 Groupe d’Expérimentation Pédagogique

149 Site Eduscol, http://eduscol.education.fr/cid56227/un-accompagnement-au-developpement-des-usages-du-

Résultat : en 2013-2014, 126 groupes répartis sur 29 académies ont participé à ces TraAM150. En géographie par exemple, cela a donné lieu à un « moment numérique » sur

Roissy, en classe de Première : les élèves ont ainsi été invités à créer un croquis de Roissy à partir d’une carte IGN, à l’aide du logiciel Xia qui permet de réaliser des images actives. Cette activité, filmée, a ensuite été publiée sur le site histoire-géographie de l’Académie de Versailles (Strabon)151 permettant ainsi à tous les enseignants d’en prendre connaissance, et

de la reproduire dans leur classe.

150 Chiffres donnés sur Eduscol http://eduscol.education.fr/cid56227/un-accompagnement-au-developpement-

des-usages-du-numerique.html#lien0 ; les chiffres pour 2014-2015 ne sont pas encore disponibles (consultation le 21 / 10 / 2015).

151 Christine Fiasson, De la carte IGN de Roissy au croquis une activité interactive réalisée avec Xia, 3 juin 2015,

http://www.histoire.ac-versailles.fr/spip.php?article1290

*GEP Groupe d’Expérimentation Pédagogique. **TraAM Travaux Académiques Mutualisés

***Eduscol Portal National d’informations et de ressources de l’Education Nationale

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