• Aucun résultat trouvé

l'identification de résidus de protéines dans les amphores par protéomique

1. Introduction

1.1. Les amphores: généralités

Le terme grec « amphoreus » a donné le mot latin « amphora » qui signifie: « que l’on porte par deux anses ».Mentionnées par le poète Homère, les amphores sont apparues dans le monde grec dès le VIème siècle avant J-C. Une amphore est un vase en terre cuite, fabriqué avec de l'argile et de l'eau et utilisé pour le transport et le stockage de nombreux produits, principalement des produits alimentaires tels que le vin, l’huile, le poisson en saumure, les olives, le miel, les fruits secs (amandes, dattes...), etc. L’amphore était donc le conditionnement d’un grand nombre de produits appelés à circuler par voie terrestre, fluviale et maritime. Elle est parfois réutilisée: soit broyée afin d'entrer dans la composition du mortier au tuileau romain, soit telle quelle comme canalisation ou pour ménager un vide sanitaire mais le plus souvent elle est jetée dès que son contenu est consommé: c'est ainsi que s'est formé le mont Testaccio à Rome, résultant de l'accumulation de débris d'amphores.

Figure 4-1: Mont Testaccio, Rome

- 196 -

La première classification est l’œuvre de l’archéologue et épigraphe allemand Heinrich Dressel (1845-1920) qui a rédigé une typologie recensant 45 types d’amphores romaines suite aux fouilles entreprises sur le mont Testaccio 1. Ces amphores, dites Dressel 1 à 45, sont datées entre le Ier siècle avant J-C et le IVème siècle après J-C. Elles ont été classées en fonction de leur contenu, leur origine, et leur époque de fabrication. On distingue 3 grandes sortes d'amphores: les amphores à vin, les amphores à huile et les amphores à salaisons et sauces de poisson (garum, hallec, muria, liquamen). Cette classification a été complétée et remaniée au fil du temps. En particulier Pélichet ajoute les types 46 à 49 en 1947, Almagro (1955) ajoute les types 50 à 57 et subdivise le type 26 (a et b) et le type 27 (a à c), Beltran fait la typologie générale des amphores espagnoles en 1970 alors que Keay crée 93 types en 1984

2. Au total, après la publication de Dressel, on a subdivisé (ex. Dressel 1 a, 1 b, 1 c), regroupé (ex. Dressel 2-4, Dressel 7-11) et surtout complété par de nouveaux types dénommés selon des noms d’auteur (Pélichet, Almagro, Beltran, Pascual, Lamboglia), de site (Haltern, Oberaden, Pompei) ou d’aire culturelle (Gauloise, Africaine, Massaliote, Byzacène).

Figure 4-2: Table de Dressel extraite de:

- 197 -

L’intérêt archéologique pour les amphores est dû à 3 facteurs principaux. Tout d’abord les amphores bénéficient d’un bon état de conservation. Effectivement, comme toutes les terres cuites elles se dégradent peu et même cassées elles gardent leur intérêt puisque de nombreuses informations peuvent être obtenues à partir des tessons. Ensuite, les amphores présentent des formes spécifiques qui dépendent de 3 variables : le contenu, la région de production et l’époque de production. Enfin, des inscriptions sont généralement trouvées sur les amphores. Il en existe 3 types : les estampilles imprimées dans la pâte avant cuisson qui sont les marques de l’atelier de production de l’amphore, les graffiti, généralement gravés sur la poterie à l'aide d'un outil, où encore au doigt, et ce, avant où après cuisson de l'amphore et les marques peintes après cuisson par les commerçants. Ces différents éléments permettent d’obtenir des renseignements sur l’artisan ayant façonné l’amphore, le commerçant, et parfois d’autres mentions font état de la contenance de l’amphore et de son lieu d’origine.

Figure 4-3: De gauche à droite : estampille, graffito et marque peinte (Source: http://www.cealex.org/sitecealex/amphores/amphores_F.htm)

L’amphore est donc un excellent marqueur archéologique et représente un instrument de mesure privilégié du commerce antique 3. Toutefois, même si leur typologie et leur lieu de production sont de mieux en mieux connus 4, de nombreuses incertitudes subsistent quant à la nature de leurs divers contenus 5, conduisant parfois à des interprétations erronées sur les proportions des différentes denrées échangées (huile, vin, salaisons de poissons). Les approches traditionnelles (forme, épigraphie, contexte économique de la région d’origine, situation des ateliers, présence ou non d’un revêtement intérieur de poix) ne parviennent plus à résoudre ces problèmes et le recours à l'analyse chimique des résidus organiques présents dans l’amphore s’avère nécessaire.

1.2. L’analyse de résidus organiques archéologiques

L’analyse de résidus organiques archéologiques représente un véritable challenge analytique pour deux raisons principales. D’une part, ces résidus sont souvent des mélanges

- 198 -

complexes composés de différentes substances et, d’autre part, les conditions de conservation des objets archéologiques, souvent enfouis sous terre depuis des siècles, dégradent la matière organique préservée dans ces objets ce qui en rend l’analyse assez compliquée. Afin d’identifier les différentes structures moléculaires présentes dans les résidus organiques archéologiques, l’utilisation de méthodes chromatographiques et/ou de spectrométrie de masse sont impératives. L’analyse de résidus organiques archéologiques a donc connu un véritable essor dans la seconde moitié du 20ème siècle grâce aux avancées techniques qui ont été réalisées en matière d’instrumentation. En particulier, l’émergence de nouvelles techniques analytiques telles que les méthodes chromatographiques couplées à la spectrométrie de masse, offrant la possibilité de séparer et de caractériser différentes molécules présentes au sein d’un même échantillon, a ouvert la voie à ce type d’analyses, désormais considérée comme une véritable discipline.

1.2.1. Le concept de bio-marqueur archéologique

En 2008, le concept de « bio-marqueur archéologique » est proposé par Evershed 6 pour définir toutes les substances retrouvées dans les résidus organiques et fournissant des informations sur les activités humaines passées. Ce concept peut être appliqué à toutes les classes de biomolécules (lipides, ADN, protéines, etc.). Toutefois, dans certains cas, la structure entière de la molécule n’est pas conservée et les bio-marqueurs associés prendront la forme de fragments. Par exemple, en ce qui concerne les protéines anciennes, les bio-marqueurs seront principalement des peptides ou des acides aminés.

Parmi ces bio-marqueurs archéologiques, certains ont été largement étudiés au cours des dernières années et parfois l’identification d’un seul constituant suffit pour retrouver le composé d’origine. C’est le cas par exemple des di- et tri- terpènes, leur seule identification témoigne de la présence de résine dans les résidus organiques archéologiques 7, 8. De la même manière, la cire d’abeille est facilement reconnaissable, notamment à cause du mélange caractéristique de composés aliphatiques la constituant 9, 10. D’autres composés tels que les graisses animales et les huiles végétales sont plus difficiles à caractériser. En effet, leurs constituants majeurs sont des triglycérides (également appelés triacylglycérols ou triacylglycérides ou TAG) mais ceux-ci ont tendance à s’hydrolyser laissant derrière-eux des acides n-alcanoïques 11. La seule identification de ces acides n-alcanoïques n’est donc pas suffisante pour retrouver l’origine du composé initial. Le plus souvent, une analyse isotopique au carbone 13 est également effectuée et les informations paléo-environnementales sont prises en compte 12-14. En général, les structures moléculaires sont dégradées et on se retrouve dans

- 199 -

des cas de figures similaires au cas présenté précédemment. La capacité à identifier la source d’un résidu organique sur la base de ses structures altérées est donc un aspect primordial du concept de bio-marqueur archéologique. En conséquence, la connaissance des mécanismes chimiques et biochimiques impliqués dans la dégradation des biomolécules est nécessaire. En effet, la connaissance de ces mécanismes nous permet de savoir, par exemple, que les acides n-alcanoïques identifiés dans les résidus organiques archéologiques proviennent principalement des triglycérides, eux-mêmes issus de l’hydrolyse des graisses animales et/ou des huiles végétales. De la même façon, l’identification d’acides gras hydroxylés dans les résidus organiques archéologiques permet de retrouver de quels acides gras monoinsaturés ils dérivent. En effet, la position de deux groupes hydroxyles voisins est liée à la position d’origine de l’insaturation. Cette information combinée au nombre de carbones de l’acide gras permet de remonter à la source (animale ou végétale) et fournit donc des informations sur les ressources qui furent exploitées dans le passé 15.

En résumé, la seule identification des structures chimiques des composés présents dans les résidus organiques n’est pas suffisante et l’étude des mécanismes d’altération de ces biomolécules dus à leur exploitation par l’être humain ou à leur enfouissement sous terre pendant des siècles s’avère nécessaire pour révéler les ressources exploitées par nos ancêtres. Les résidus organiques retrouvés dans les poteries ou tout autre type de vaisselle archéologique constituent une véritable source d’informations concernant l’utilisation de la vaisselle, les activités économiques locales mais également les techniques de production employées.

1.2.2. Les différentes formes de résidus organiques

Les résidus organiques conservés dans les poteries archéologiques sont principalement retrouvés sous 3 formes :

Les résidus d’origine préservés in situ (à ne pas confondre avec des résidus intrusifs provenant de l’enfouissement archéologique). Ce cas d’étude est relativement rare et jusqu’à présent seul l’exemple des vases funéraires antiques (retrouvés dans les tombes égyptiennes) peut être mentionné 16.

Les résidus visibles apparaissant en surface à l’intérieur et/ou à l’extérieur de la vaisselle. Les résidus les plus couramment identifiés en poterie sont des particules de suie à l’extérieur et des résidus carbonisés à l’intérieur dont on suppose qu’ils proviennent principalement de la cuisson d’aliments, alors que dans les lampes les