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5. Variabilité moléculaire de la phase soluble par FT-MS

5.2. Résultat : attribution des formules brutes

5.2.1. Identification des composés inorganiques dans Orgueil

Le but de l’étude des composés solubles par Orbitrap-MS est avant tout de pouvoir décrire les

molécules organiques des chondrites. Les diagrammes MDvM de la Figure 5.1.2-5 et de la Figure

5.1.2-6 montrent qu’il existe des différences majeures entre les spectres des différentes chondrites.

Nous avons vu qu’Orgueil et Renazzo sont deux chondrites avec un histogramme de pente très

différent et relativement simple. En effet, Orgueil montre un histogramme essentiellement bimodal

avec beaucoup de pentes négatives et une légère surfréquence dans les pentes positives. Renazzo en

revanche ne montre pratiquement que des pentes positives. Les autres météorites semblent présenter

une combinaison de ces deux caractéristiques. La Figure 5.1.2-7 montre les pentes générées par

certains groupements où on peut voir que les pentes négatives sont généralement dues à la présence

d’hétéroatomes. Ainsi, un spectre dominé par les pentes négatives tel que celui d’Orgueil est

probablement pauvre en molécules organiques où les groupements générant des pentes positives sont

très fréquemment permutés, générant des surreprésentations positives caractéristiques. Le diagramme

MDvM d’Orgueil, en mode positif en particulier, montre également une pente positive surimposée à

une pente négative très dominante. On retrouve ces tendances directement sur les alignements de

points avec des segments de pentes positives espacés les uns des autres par une translation de pente

positive. La grille de lecture indique que la pente négative dominante correspond à un groupement très

riche en oxygène et la pente positive semble être très riche en hydrogène.

La stratégie employée pour l’identification se résume à tenter d’attribuer des formules brutes

en se basant sur les groupements les plus gros possibles, pour minimiser le temps de calcul. Les

premières étapes, non montrées ici, consistent à tenter des attributions sur les pics les plus intenses en

choisissant les masses exactes des groupements identifiables sur la base de l’histogramme des pentes

et de l’examen minutieux de certains points du spectre. Ces premières investigations permettent de

trouver quels sont les éléments ou groupements évidemment présents.

Figure 5.2.1-1 : Histogramme des pentes du spectre d’Orgueil+ (en mode positif)

représenté sur un diagramme MDvM avec les pentes générées par addition de certains groupes

chimiques.

Une étude minutieuse du spectre révèle une signature fréquente sur les pics les plus intenses.

Cette signature est caractérisée par deux pics à M+1 et M+2, identifiés comme étant dus aux

combinaisons isotopiques du magnésium. Une même signature dans l’espace (intensité × m/z) semble

se répéter plusieurs fois sur le spectre. On remarquera la présence de ce motif à M+1/2 et M+1,

correspondant à la présence de magnésium dans un ion doublement chargé. La comparaison des écarts

de masse mesurés sur le spectre (Figure 5.2.1-2) avec la base de données du NIST Figure 5.1.2-8

(p.121) permet d’identifier la présence du magnésium dans ces ions.

Figure 5.2.1-2 : Spectre de centroïdes d’Orgueil+ représenté en échelle linéaire dans

l’espace (intensité × m/z). L’intensité est normalisée au maximum du spectre, ici à la masse

entière 175. Les étiquettes noires indiquent la masse exacte mesurée au pic considéré. Les

chiffres en rouge mesurent l’écart en masse entre M, M+1 et M+2 pour le pic à M=175 et

entre M, M+1/2 et M+1 pour le pic à M=180. Ils correspondent aux écarts en masse des

différents isotopes du magnésium.

La présence de magnésium trahit la présence d’une espèce inorganique dans le mélange

d’Orgueil. Les écartements entre les structures bien définies dans le MDvM correspondent à des ajouts

successifs de groupements relativement lourds (>50u) ou à la permutation de deux groupements de

masses très différentes. Ces écartements entre les structures sont mis en valeur sur la Figure 5.2.1-1 et

correspondent aux plus fortes intensités du spectre (en rouge). Les pentes positives sont générées par

la permutation de molécules de méthanol et d’eau sous forme d’adduits. Cette abondance non

négligeable de matériel inorganique s’accompagne du phénomène d’adduction sodée, lors duquel les

ions sodium Na+ participent à la production des ions dans l’électrospray. En effet, la méthode

d’ionisation en mode positif est connue pour adjoindre parfois un cation alcalin aux molécules neutres

et ainsi produire des ions analysables par l’Orbitrap. Certaines molécules d’intérêt biologique ont une

affinité supérieure pour le sodium par rapport à l’hydrogène et se retrouvent ionisées par adduction de

Na+ dont la source est inconnue et probablement liée à la verrerie utilisée. Dans un contexte de roche

totale broyée, il est impossible d’exclure la présence de Na+ et à plus forte raison lorsqu’un ion

inorganique est fortement présent dans le spectre. La présence de sulfate de magnésium sous forme

d’adduit sodé au méthanol utilisé lors de l’extraction est confirmée par la série d’attributions possibles

avec les éléments répertoriés dans le Tableau 5.2.1-1 :

Tableau 5.2.1-1 : Tableau récapitulatif des groupements utilisés pour attribuer les

pics les plus intenses du spectre d’Orgueil en mode positif.

Groupe Masse exacte (u)

Na 22.9898

Mg 23.9850

CH4O 32.0262

SO4 95.9517

H2O 18.0106

Figure 5.2.1-3 : Spectre et diagramme MDvM d’Orgueil+ permettant de localiser les

spectres des formules brutes simulées et sélectionnées sur des critères de qualité d’ajustement.

La forte signature isotopique du magnésium et la forte structuration ont permis de limiter le

nombre de groupes permutant. On remarque l’abondance d’ions doublement chargés. Notons

également l’attribution de série à l’intérieur de chaque structure.

Les pics attribués en combinant ces groupements représentent 80±5% de l’intensité du spectre

d’Orgueil en mode positif. L’ensemble des pics ayant fait l’objet d’une tentative d’attribution

représentait 90% de l’intensité, soit 256 points. Toutes les attributions sont faites en limitant l’erreur

relative sur la masse entre +2 et -2 ppm. La stratégie d’attribution consiste à générer une série de

solutions possibles et à choisir parmi elles celle qui minimise l’écart au spectre comme expliqué à la

section 5.1.3. 70 simulations sur les 256 tentées ont été sélectionnées, dont 59 correspondant à des ions

doublement chargés. La Figure 5.2.1-3 montre leur disposition sur le spectre et dans un diagramme

MDvM.

Le maintien d’un taux de succès d’attribution, à l’intérieur des limites fixées, pour l’ensemble

des structures repérées précédemment est gage de la cohérence et de la simplicité du mélange. Le

spectre d’Orgueil peut être décrit avec peu de groupements différents. L’étude du groupe des

molécules attribuées permet de calculer une formule brute moyenne en tenant compte des intensités

relatives de chaque contribution identifiée. On trouve la stœchiométrie suivante :

Soit, en ôtant d’éventuelles contributions alcalines du sodium et de l’hydrogène et en

représentant sous forme de combinaisons des groupements utilisés lors de l’attribution :

Les coefficients stœchiométriques sont donnés avec une incertitude de 5% maximum. On note

que la formule n’est pas celle d’un sulfate minéral, ce qui dénote certainement une remobilisation du

minéral par le méthanol utilisé comme solvant.

Peu de pics représentent l’essentiel de l’intensité cumulative. De plus, il n’existe pratiquement

pas de pics (un seul) non-attribués qui soient plus intenses que le moins intense des ions magnésiens, à

trois ordres de grandeurs par rapport à l’intensité maximale. Cela revient à examiner un éventuel

signal organique dans les deux derniers ordres de grandeur de la dynamique de détection de l’Orbitrap.

Cet état de fait conduit à estimer que la présence d’adduits magnésiens constitue un artefact obstacle à

la détection des organiques. Les effets de cette forte présence inorganique sont indépassables à l’heure

où nous rédigeons et concentre tous les efforts de développement analytique. Seule l’élimination

moléculaire des espèces magnésiennes permettra d’accéder aux molécules organiques des météorites

considérées.